L'heure du choix

3 minutes de lecture

Le temps jouait contre moi et l'agent spécial Errico le savait. Sous le regard d'acier du gardien, j'abandonnai ma chemise grise de boue séchée et mon pantalon en toile pour l'uniforme orange du Department of Correction.

Entre les trois murs d'un blanc impassible autour de moi et la lourde porte d'acier se jouait ma liberté. Le deal que me proposait le FBI était simple, ses conséquences terribles. Soit je me taisais en endossant l'entière responsabilité du deal avec les bikers tout comme je répondais pénalement la présence d'un témoin sous protection policière dans notre voiture et je ne revoyais Camille et mes filles qu'à ma sortie de prison au mieux dans trente ans. Soit je parlais et j'offrais à ma famille une possibilité de tout reconstruire loin de South Boston et de l'héritage vénéneux du clan.

Quelques semaines plus tôt, j'aurais envoyé les fédéraux paître sans l'ombre d'une hésitation. Mais les répercussions apportées par nos retrouvailles avec le vieux Galloway remettaient en question beaucoup de choses. Un clivage s'était creusé, irrémédiable et impossible à combler, entre mes convictions et les réalités de la "famille", entre ma place et ce que Dom nous imposait. Peut-être même entre Charlie et moi. Entre l'image que j'avais de mon père et qui il était réellement. Plus que mes habitudes, mon carcan de vie, j'assistais impuissant à l'écroulement de toutes mes croyances. Tout ce que j'avais construit jusqu'à aujourd'hui s'avérait aussi fragile qu'un château de cartes.

Depuis notre arrivée dans l'Ohio, les choses étaient allées de mal en pis. Au moment d'apporter une réponse définitive à la trahison d'oncle Nate que nous avions retrouvé par hasard, j'avais hésité. Nous conduisant, Charlie et moi, directement entre les mains du FBI. L'heure n'était plus au choix mais à la prise de la décision la plus viable.

Mon père n'avait-il pas traversé la même épreuve quand l'agent Thomas l'avait interrogé vingt-cinq ans auparavant ? Et était-ce uniquement l'appât du gain qui avait poussé Galloway à rompre avec Southie comme Dom Hartwell nous l'avait répété toutes ces années ? Me restait-il une autre alternative à la proposition de l'agent Errico ? Ou étais-je déjà en train de danser avec le Diable ?

Le passe-plat de ma cellule s'ouvrit à ce moment. Un garde aux mains épaisses comme des battoirs glissa un plateau repas dans l'ouverture, interrompant ma réflexion. J'étais, sans surprise, placé à l'isolement. Il était fort à parier que Charlie et Fergus se trouvaient aussi derrière ces mêmes murs. Quant au vieux Nate, Dieu seul savait où il se trouvait maintenant. Certainement définitivement hors de portée.

Pas besoin d'être devin pour comprendre que les fédéraux allaient nous pousser dans nos retranchements les plus extrêmes. Qu'ils allaient faire pression sur nous avec tous les moyens dont il disposait. Isolés comme nous l'étions, l'union qui faisait habituellement notre force ne valait rien.

Je n'avais pas faim mais je me forçais à manger.

 " Dans ce trou où le Tout-Puissant ne pose pas le regard, mange autant que tu peux dès que tu peux. Les repas sont peut-être à heure fixe mais les choses peuvent vite dégénérer et dans ce cas, tu ne sais jamais quand tu y auras droit à nouveau. " m'avait expliqué mon père un jour à sa sortie de Walpole. Au regard noir de ma mère, il avait répondu :

 " Laisse, le gosse a le droit de savoir. "

Ce soir-là, depuis mon lit, je les avais entendus crier. La porte d'entrée avait claqué puis le moteur de sa Dodge avait rugi sous nos fenêtres avant de s'évanouir dans la nuit de mars. La soirée s'était achevée sur les sanglots étouffés de ma mère. Mon père ne rentra pas durant les deux semaines suivantes.

La desserte se rouvrit. Le maton lança d'un ton chargé d'une écrasante neutralité, pas tout à fait de l'indifférence :

 " Fogarty, vous avez fini votre repas ?

 - Je veux passer mon coup de fil. Et dites à Errico que je veux lui parler. "

Il referma le capot d'un geste sec, une fois le plateau-repas récupéré. Toutes mes questions se résumaient en une seule : le jeu valait-il vraiment que je sacrifie ma femme et mes filles ? Au nom de quoi ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Shephard69100 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0