Soleil de novembre

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Des volutes blanches, poisseuses d'humidité dansaient au milieu des arbres autour de la prison, pâlissant jusqu'à l'éclat du soleil de novembre. Je commençais une nouvelle semaine sous ces auspices tremblotants, je devinais dans les circonvolutions du brouillard qu'il me faudrait désormais agir comme la brume, visible mais intangible, masqué pour cacher mes véritables intentions.

Je claquai la portière de la Lexus de Phyllis. Tandis que je fouillais les poches intérieures de mon blouson pour trouver mes lunettes de soleil et mes cigares, je lançai :

 " Avant toute chose, trouve-moi un magasin où je peux changer de chemise. Et un chapelier s'il te plaît. J'ai besoin de faire peau neuve.

 - Et après ça ?

 - Un bon repas, du café et on attend Charlie. Des nouvelles de Reagan ?

 - Il est arrivé dans la matinée. Charlie devrait sortir dans l'après-midi.

 - Tu sais si lui aussi a passé un marché avec le FBI ?

 - Errico n'a rien voulu me dire à ce sujet mais ce ne serait pas impossible. Quelle confiance as-tu en Charlie ? Sois franc avec moi, Sean.

 - J'ai grandi avec Charlie donc il y a encore deux jours, je t'aurais dit que j'ai une confiance absolue en lui. Aujourd'hui, je ne sais plus trop.

 - Je ne te serai pas d'un grand secours si tu me caches des choses.

 - Je sais, Phyllis. Et concernant Camille ?

 - Trois agents du bureau de Boston ont décollé ce matin pour le Vermont. Si tout se passe bien, Camille et les petites seront à l'abri dans la soirée.

 - Merde ! De Boston ? Quel fils de pute ! explosai-je.

 - Errico assure que ce sont des agents de confiance et qu'un minimum de personnes ont été mises au courant de l'extraction.

 - Ah ouais ? Et, à ton avis, il faudra combien de temps à Dom pour apprendre la nouvelle ? Putain, c'est même peut-être déjà fait !

 - Du calme, Sean ! Nous n'avons pas d'autre choix que de jouer selon ses règles pour l'instant. Attendons de voir comment ça se passe. OK ?

 - OK, Phyllis. "

Les branches de mes lunettes étaient tordues, mes cigares écrasés dans leur étui. D'un geste rageur, je balançai le tout à mes pieds. Durant les silencieux kilomètres suivants, j'étais incapable de détacher mes pensées de l'agent Errico. Cet enfoiré était-il en train de m'entuber dans les grandes largeurs ? M'avait-il manipulé au-delà de ce que je croyais lors de nos entretiens ? Jouait-il sur les deux tableaux avec Charlie et moi ? Peut-être même avec Fergus et le vieux Galloway.

Il était un peu plus de midi quand nous arrivâmes à Colombus. Le temps restait maussade, l'hiver semblait bien parti pour prendre ses quartiers durablement. Je n'aurais pas été surpris s'il neigeait d'ici peu. Dans une boutique du centre-ville, j'achetai plusieurs paires de pantalon, des chemises neuves et un feutre gris. Puis je me débarrassai de mes vieilles affaires dans une benne pour nécessiteux.

 " Où veux-tu manger ? me demanda mon avocate.

 - Dans un endroit discret et simple. Rien de trop tape-à-l'œil. "

Nous nous arrêtâmes dans un restaurant asiatique presque désert à l'écart des artères principales. Par la fenêtre, j'observais un moment la ville indifférente et impassible. Les gens remontaient la rue, mentons enfoncés dans le col de leurs manteaux, bonnets et écharpes étaient de sortie. Dans le parc, une équipe d'agents municipaux nettoyaient la pelouse avec une souffleuse et des râteaux. Était arrivée la saison où le flamboyant des arbres avait laissé place à un brun terni et mouillé, à des gris déprimés et je me sentais en phase avec ce passage, presque en harmonie. Quelque chose en moi avait disparu pour être remplacé par une détermination froide. Je voyais cette évolution comme nécessaire pour un renouveau futur. Par là, j'abandonnais mes anciennes convictions. Restait à faire en sorte que l'esquisse du plan que j'entrevoyais se déroulât sans accrocs.

 " Tu es bien silencieux, Sean. Tout va bien ?

 - Qu'est-ce que tu voulais me dire au sujet de mon père, Phyllis ?

 - J'aimerais comprendre ce qui s'est passé avec Nate Galloway pour que tu te retrouves chamboulé à ce point.

 - Peut-être que ça m'a juste fait bizarre de me retrouver face à lui après tout ce temps.

 - Non, il y a autre chose. Pourquoi avoir fait appel à moi plutôt qu'à Reagan comme vous le conseille Dom ?

 - Parce qu'on sait tous les deux que Reagan sert d'abord Reagan. J'ai plus confiance en toi, Phyllis.

 - Toi, tu as une idée derrière la tête.

 - Ça se pourrait. Pour commencer, j'ai besoin que tu nous trouves un point de chute sobre, à Charlie et moi. Quelque part en périphérie. Quelque chose qui ne donne pas l'air de nous planquer mais nous permette de rester sous le radar des fédéraux.

 - Un motel où il y a du passage, par exemple ?

 - Dans l'idée, oui.

 - Très bien. Autre chose ?

 - Rencarde-toi sur Errico. Je veux tout savoir de sa vie perso, de ses habitudes, de ses petits secrets.

 - Tu veux le faire chanter ?

 - Pas exactement. À qui avons-nous affaire ? Et si je peux lui tourner la tête pour l'utiliser à notre avantage.

 - Acheter un agent du gouvernement, c'est un jeu périlleux, là. Mais tu le sais.

 - Il va aussi nous falloir des... "

Le téléphone de Phyllis sonna avant que je n'ai eu le temps de finir ma phrase. C'était Errico. En me contactant par l'intermédiaire de mon avocate, il respectait la procédure standard, ce qui laissait à croire qu'il agissait dans le cadre d'une opération d'envergure chapeautée par un chef de service. Ce qui pouvait compliquer l'affaire si j'avais besoin de le retourner. J'essayais de lire sur le visage de Phyllis lorsque mon téléphone se mit à sonner. Au bourdonnement qu'il y avait autour de lui, je compris qu'il était dans la circulation :

 " Sean, t'es où, bordel ?

 - Charlie ? T'es dehors ?

 - Ouais. Je suis avec Reagan. Et toi, t'es où ? Le flic m'a dit que tu étais sorti ce matin.

 - Avec Phyllis Frazier. Dans un resto thaï.

 - Qu'est-ce qu'elle fout là, elle ?

 - La même chose que Reagan, Charlie. répondis-je tandis que Phyllis raccrochait de son côté.

 - File-moi une adresse et on vous rejoint.

 - Accorde-moi une seconde, le temps que je la trouve. "

J'appuyais sur la touche "mute" de mon téléphone. Il me fallait gagner du temps.

 " Errico, il voulait quoi ?

 - Nous prévenir que Camille et les petites sont dans une de leurs planques. Tout s'est bien passé.

 - Où ?

 - Ici, à Colombus.

 - Je veux les voir.

 - Bien sûr. J'organise ça. Que veut Charlie ?

 - Il est sorti. Il veut nous rejoindre. "

À l'extérieur, les employés dans leurs uniformes kakis prenaient leur pause-déjeuner, assis sous une statue du parc. Vingt mètres et un monde d'enjeux nous séparaient. Je ne voulais qu'une chose : revoir les soleils de ma vie.

 " Tu ressembles de plus en plus à ton père, Sean. Fais attention à ne pas commettre les même erreurs. "

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