Désillusions d'automne

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À la remarque de Phyllis, je levai les yeux vers elle :

 " Bordel ! De quelles erreurs tu veux parler ?

 - Je ne suis pas certaine que ce soit le bon moment pour aborder ce sujet, Sean.

 - Fais pas chier avec tes considérations, Phyllis ! Crache le morceau !

 - OK ! Comme tu veux. "

Son regard alla se perdre dans les travées du parc jusqu'à deux amants qui s'embrassaient sur un banc public. Après une gorgée de son café, elle reprit, cherchant les mots justes et l'intonation idoine :

 " Ton père, sous l'impulsion de Nate, a commencé à douter de sa loyauté envers le clan. Je ne me rappelle plus exactement en quelle année mais c'était à la fin de l'été, j'en suis sûre.

 - Ce que je sais, c'est qu'il y vingt ans, cet enfoiré de Galloway a balancé tout le monde au FBI et a disparu avec un million en cash.

 - Est-ce que tu savais aussi que ton père était au courant et qu'il était même partisan de tailler la route avec Nate ?

 - Quoi ?

 - C'est pourtant la réalité, Sean.

 - Pourquoi, Phyllis ?

 - Tu te rappelles de Pete Halloran ?

 - J'ai lu ce nom quelque part. Qui est-ce ?

 - Un vieux compagnon de ton père et Nate. Tous les trois formaient une bonne équipe. Un peu comme Charlie et toi.

 - Et ?

 - Halloran était accro aux jeux. Poker, craps, courses de lévriers, Super Bowl tout y passait. Et la coke. Forcément, les fédéraux y ont vu une occasion de mettre fin aux activités de Jackie Hartwell. Ton père et Nate n'ont pas eu d'autre choix que d'abattre Pete avant qu'il ne balance tout au FBI. Et ça les a pas mal secoués.

 - Je connais cette histoire.

 - Par quel intérmédiaire as-tu appris ça ?

 - Quand nous sommes allés chez Galloway après avoir découvert qu'il vivait dans le coin, il m'a donné un carnet. Une sorte de journal intime.

 - Tu l'as lu ?

 - En partie. Nous avons été pas mal occupés ces derniers temps. Mais j'y ai découvert quelques petites choses très intéressantes.

 - Certaines choses mortes ne devraient jamais être déterrées, Sean.

 - Mouais mais c'est trop tard maintenant.

 - Là, il faut que tu sois extrêmement prudent, Sean. J'ai tellement l'impression de retrouver ton père dans ton comportement.

 - C'est-à-dire ?

 - Tu es certainement plus malin que lui mais tu es à peu près aussi têtu. Je suis désolée de te dire ça, Sean, mais c'est avant tout son obstination qui l'a perdu et l'a envoyé directement en prison.

 - J'ai du mal à comprendre comment il est passé d'une fuite avec Galloway à une longue peine à Walpole.

 - Avec Nate, ils ont essayé de maquiller le meurtre d'Halloran en règlement de compte. En faisant croire à une sombre affaire de paris frauduleux avec les Italiens du North End mais le poisson était trop gros pour les fédéraux. Rufus Thomas et ses agents n'ont pas avalé la pilule et Nate a chargé ton père pour sauver sa peau.

 - Bordel ! soufflai-je.

 - Sur la question du code d'honneur, ton père était intransigeant et, tout Irlandais qu'il était, il respectait l'omerta des Gambino et jamais il n'aurait balancé ce qui se passait à l'intérieur du clan. Pour ça et son palmarès, si je puis le dire de cette façon, le juge a prononcé une sentence de prison à vie à son encontre. Même rongé par son cancer, ton père s'est tu. Voilà la vraie raison pour laquelle la Cour du Massachusetts a refusé sa libération pour raisons médicales il y a dix ans. C'est sa fierté qui l'a achevé, pas un complot de l'État sur sa personne comme aime à le prétendre Dom. "

Je me reculai sur ma banquette, accusant le coup. J'avais plus que jamais envie d'un verre mais il me fallait garder la tête froide ; aussi me contentai-je de café froid. Dehors, l'automne s'envolait dans des tourbillons de feuilles mortes. Dans ce ballet de rouges et de jaunes vifs, mes dernières illusions se trouvaient balayées. Dans sa maison perchée au-dessus de la route, Galloway avait voulu me prévenir de l'envie de défection de mon père mais Charlie l'avait assommé avec un manche de pelle avant que le vieux n'ait eu le temps de me le raconter. Il devenait logique de me demander si mon vieil ami d'enfance connaissait déjà cette histoire et s'il n'avait pas cherché à me laisser dans l'ombre, de sa propre initiative ou suivant les instructions de Dom.

Quelque part, les propos de Phyllis me rassuraient car ils me prouvaient que mon ressenti après les découvertes des dernières semaines n'était pas uniquement une tournure de l'esprit. Ou les interprétai-je dans le sens qui m'arrangeait ?

 " Où est ce carnet, Sean ?

 - Il est resté dans la planque où nous avait emmenés Fergus.

 - Tu te rappelles de l'endroit ?

 - Oui, au bord d'un lac près de Fort Wayne.

 - Qui vous a renseigné sur cet endroit ?

 - Notre comptable de Cincinnati, une connaissance de Fergus. C'est lui aussi qui nous a fourni le cash pour la transaction avec les bikers.

 - Un gars avec une tarentule dans son bureau ?

 - Lui-même. Pourquoi toutes ces questions, Phyllis ?

 - Parce que, si je ne dis pas d'âneries, votre planque se situe en plein territoire indien. Ce qui pourrait légalement nous laisser le temps d'aller le récupérer.

 - Comment ça ?

 - Même le FBI ne peut entrer comme ça sur les réserves indiennes. Pas sans la coopération de la police tribale du moins.

 - Pourquoi le récupérer t'intéresse soudain autant ?

 - Parce qu'il peut t'apporter les réponses dont tu as besoin, Sean. Et je ne voudrais pas que tu connaisses le même sort que ton père.

 - Merci pour le vote de confiance.

 - De rien. Je dois bien ça à ton père. Nous avons gagné un peu de temps. Charlie sera bientôt là. Auparavant, j'aimerais que tu me dises comment tu veux procéder pour la suite. "

J'avais beau avoir une marge de manœuvre un peu plus souple, il ne me fallait pas gaspiller ce temps. Une longue discussion m'attendait avec Charlie, je voulais voir Camille et les petites et maintenant je devais prendre la route pour remettre la main sur ce carnet.

Dans le dos de mon avocate, la clochette au-dessus de la porte du restaurant tinta. Charlie, accompagné de Reagan, entra. À croire que les évènements s'imbriquaient d'eux-mêmes.

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