Faillite complète

7 minutes de lecture

La pluie tintait en notes tristes sur la fenêtre de ma chambre. Aux halos oranges qui se reflétaient sur les nuages bas, je compris que l'hiver, indifférent à nos sorts, étendait sa robe grise sur le monde en ces premières heures de décembre.

Assourdie par les battements de mon cœur, la tonalité de mon téléphone me parvenait faible et lointaine.

 " Allô ? me répondit-on.

 - Camille ? C'est Sean. Tu m'entends ?

 - Oh, Sean ! Je suis si heureuse de t'entendre.

 - Moi aussi, amor mío. Est-ce qu'on peut se voir ?

 - Bien sûr. Mais je ne sais pas où. Attends une seconde.

Je l'entendis éloigner le combiné de son oreille, parler avec quelqu'un derrière elle. Puis, de sa voix douce au vibrant accent portoricain, elle m'appela :

 " Sean ? Tu es toujours là ?

 - Bien sûr, Cam.

 - Minuit au West Bank Park, c'est bon pour toi ?

 - J'y serai.

 - Super ! J'ai hâte de te voir, Sean.

 - Moi aussi, Camille. Comment vont les filles ?

 - Ça va mieux depuis que nous sommes arrivées à Colombus. Mais tu connais Marisol, elle se pose beaucoup de questions. Les agents armés l'inquiètent.

 - J'en suis désolé, Cam. Je peux leur parler ?

 - Elles dorment, Sean, mais je les embrasserai pour toi.

 - Merci, mon amour. "

J'allai raccrocher quand elle me dit :

 " Sean ?

 - Oui ?

 - Je t'en supplie, sois très prudent.

 - Bien sûr, Cam. Mais pourquoi me dis-tu ça maintenant ?

 - L'agent Errico a évoqué ton arrestation avec moi. Et le fait que nous ayons quitté Boston avec les filles con tanta prisa me fait un peu peur, Sean.

 - J'ai peur moi aussi. Mais je ferai attention. OK ?

 - D'accord, Sean. Je t'aime. soupira-t-elle.

 - Je t'aime aussi, Cam. À tout à l'heure. "

Pendant que j'enfilais mon blouson et mon chapeau, je pensai aux fils qui me liaient aux miens. Étaient-ils eux aussi distendus à l'image de ceux que j'avais nourris avec le clan ? Je m'étais persuadé durant toutes ces années avoir accompli chacun de mes actes pour Camille et les filles, pour assurer leur sécurité financière, leur offrir un cadre protecteur exactement à l'instar de celui par mon père. Mais tout ceci n'était-il pas un obscur mensonge ? Étais-je prêt à raconter des histoires à ma femme et à mes enfants ? Dans quel but ? Pour une idée aussi basse qu'une trahison vieille de vingt ans ? Si tel était le cas, tout ce que j'avais construit au cours des années était aussi fragile qu'une ruine dans le sable. Depuis nos retrouvailles avec le vieux Galloway, mes convictions vacillaient, mais je pensais ma famille épargnée par ce marasme. Je considérerais mon plan comme une faillite complète si je ne réussissais pas à les mettre à l'abri sans heurts.

Dans le hall de notre hôtel, je ne trouvais que le réceptionniste à moitié endormi derrière son comptoir. Sur la radio en sourdine à côté de lui, je reconnus le célèbre riff à la guitare d'Eric Clapton " It's probably me ". " Foutue ironie du sort. " pensai-je.

À la pluie froide se mêlait des bourrasques de vent au cœur chargé de tristesse. Je pris le chemin des berges de la Scioto River. Comme prévu, l'un des quatre policiers en faction m'emboîta le pas, mais je ne m'attendais pas à voir deux autres silhouettes sortir d'une berline garée plus haut dans la rue et s'ajouter à la filature de l'agent fédéral. Des collègues à lui ? Mais, dans ce cas, pourquoi marchaient-ils à l'écart ? Un homme de Dillon ? Ou bien... ? J'ignorais qui me filait le train, mais je ne pouvais arriver au rendez-vous avec Camille avec quelqu'un qui me suivait.

En traversant le pont sur la rivière, je repérai d'abord le Lower Scioto Greenway puis une petite station d'épuration entre la rue et le chemin sous un long couvert d'arbres. Sans accélérer, je marchai vers la levée. Dès que je tournai à l'angle, je jetai un œil derrière moi. Ni le flic ni les deux invités surprise ne pouvaient me voir. J'avais quelques secondes pour me cacher. La futaie vers la berge était trop épaisse pour que je puisse me frayer un passage rapidement et sans bruit, mais il y avait un peu d'espace entre le mur extérieur du bâtiment et la haie. Je m'y glissai juste à temps ; déjà l'ombre de l'homme d'Errico s'interposait dans le carré de lumière des lampadaires. Sans bruit, je me tapissais au fond de mon goulet. L'agent du FBI passa devant moi, sans même ralentir. Une minute plus tard, vinrent les deux lascars. En les reconnaissant, j'eus toutes les peines du monde à réprimer un juron. " Fils de pute ! " pensai-je. À l'écharpe qui lui maintenait le bras, je reconnus Ron, l'un de nos deux renforts quand nous avions extrait le sergent at arms des Ghost Dogs pendant son transfert vers le bureau d'un juge. Celui qui l'accompagnait ne pouvait être que Stuart. Qu'est-ce qu'ils foutaient là ? J'entendis Ron râler :

 " Bordel ! Il est passé où, ce con ?

 - Tu veux bien être plus discret ? On n'est pas tout seuls. "

Le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine, tant de surprise que de colère, j'attendis qu'ils s'éloignent. Mes poings dans l'obscurité s'ouvraient et se refermaient, presque convulsivement. Comment ces deux salopards étaient arrivés jusqu'à nous, si ce n'est par l'entremise de Bob Reagan et bien évidemment sur les ordres de Dom. Pour nous surveiller ? Ou nous éliminer ? Je patientai deux ou trois minutes en écoutant avec toute mon attention le bruit autour de moi. Seuls les murmures de la rivière et de la circulations plus lointaine me parvenaient. Un oiseau quelque part dans la nuit lança son chant sinistre. Je repensai aux contes sur l'Irlande de nos aïeux telle que me la racontait ma mère. Quand les korrigans et les leprechauns, génies malfaisants de la lande, sortaient de leurs tanières pour jouer des tours aux humains. Puis, en grandissant, j'avais délaissé ces récits pour d'autres légendes, celles de mon père, d'oncle Nate et des autres figures du clan. Aujourd'hui, je cherchais une issue à tous ces mensonges.

Quand je fus certain que plus personne ne rôdait dans les parages, je partis dans la direction opposée et même rassuré, je jetai de temps en temps un œil par-dessus mon épaule. Trente minutes plus tard, je retrouvais Camille. Au moment où je franchis Washington Boulevard, elle sortit d'une voiture banalisée et me rejoingit sous les arbres qui bordaient le parc. Je l'embrassai avec une folie amoureuse :

 " Bon sang ! Que c'est bon de te retrouver, Cam ! "

Elle me rendit mon baiser avec la fougue latine qui la caractérisait. Pendant un instant, nous ne parlâmes pas. Nous profitions juste de la sensation, de la chaleur du corps de l'autre malgré la pluie.

 " Et si nous nous abritions, Sean ?

 - Bonne idée. Qui t'attend dans la voiture ?

 - Il s'appelle Stanley Errico. C'est lui le responsable de l'affaire ?

 - Oui.

 - Et vous avez un accord ?

 - De principe, oui. C'est ça ou on plonge avec Charlie.

 - Dios mío ! Sean ! Qu'est-ce qui s'est passé ?

 - Tout est parti en vrille ici, Cam.

 - Qu'est-ce que tu veux dire ?

 - Est-ce que tu te rappelles de l'histoire de Nate Galloway ?

 - De l'homme qui a vendu ton père à la policia ?

 - C'est ça. Figure-toi que nous l'avons retrouvé pas très loin d'ici. Depuis, les choses ne cessent de se détériorer et j'essaie de sauver les meubles. Mais c'est un fiasco absolu et une sacrée merde. "

Je lisais de la peur dans les yeux de ma femme ; aussi attrapai-je ses mains et les serrai. Fort.

 " Mais ça va aller. J'ai un plan pour nous sortir de là.

 - Qui, nous ?

 - Les filles et toi déjà. Moi aussi, avec un peu plus de chance.

 - Tu vas réussir, Sean. J'ai confiance en toi. Cette faillite n'est pas de ta faute.

 - Peut-être que je l'ai précipitée.

 - Ciertamente no. Tu ne peux pas être responsable de la chute de cet empire, Sean. Mainteant, fais ce qu'il faut pour que nous puissions retrouver une vie normale.

 - ...

 - Eres un león, Sean. Ni une oveja ni el perrito de Dominic. Si ?

 - Claro. "

La portière côté conducteur s'ouvrit et l'agent Errico sortit :

 " Madame Fogarty, nous devons partir. Mes agents ont repéré deux associés de votre époux. Sean, je compte sur vous. Ne m'oubliez pas.

 - Ça risque pas. " lui répondis-je, froidement.

Camille s'écarta du bras tendu par l'agent du FBI, s'approcha de mon oreille et y susurra d'une note ensoleillée à peine plus forte que la pluie sur l'abri bus :

 " Baila conmigo, Sean. Te doy lo que quieras, un masaje, tu cena favorita cunado lleguemos a la casa. Baila conmigo. Dorimos juntos, nos vamos de paseo, jugamos con tu juguete favorito. "

Les yeux de Camille brillaient d'une flamme qui ne vacillait jamais, celle de la détermination sans faille. Je me sentis gagné par une douce chaleur dans la poitrine. Elle désirait seulement que je réussisse à tout prix, peu importe la manière. Son amour me galvanisait et j'étais prêt à accepter les sacrifices demandés.

 " Allez-y maintenant. Je ne voudrais pas que vos amis vous surprennent ici. Je vous contacterai bientôt. " me dit Errico.

Je ne répondis pas. J'embrassai Cam une dernière fois et traversai le pont vers le centre-ville.

De retour à l'hôtel, j'avais l'impression que la main de ma compagne appuyait encore sur mon cœur. Une voix bourrue me fit sursauter :

 " Putain, Sean ! T'étais où ?

 - Sorti manger un morceau et prendre un peu l'air. Qu'est-ce qu'il y a, Charlie ?

 - Par ce temps ?

 - Ouais.

 - Je te cherchais, p'tit génie. J'ai toqué à ta porte, mais tu n'as répondu.

 - Normal, je n'étais pas là.

 - Faut qu'on discute, mon pote. Assieds-toi.

 - De quoi tu veux parler au milieu de la nuit, Charlie ?

 - J'ai appelé Lizzie. Tu devineras jamais ce qu'elle m'a raconté.

 - Quoi donc, Charlie ?

 - Tes filles ne sont pas allées à l'école depuis plusieurs jours et Camille ne répond pas à son téléphone. Tu sais quelque chose à ce sujet, Sean ? "

Il était temps d'abattre certaines cartes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Shephard69100 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0