Tristesse de décembre

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D'avoir erré deux jours durant dans les limbes des analgésiques, le sommeil me fuyait ; aussi me tournai-je vers les toits au-delà de ma fenêtre. Camille me trouva ainsi à son retour, plongé à la fois dans l'obscurité de la chambre face au ciel couleur d'ardoise mouillée et dans la contemplation des flocons drus qui s'écrasaient en délicates fleurs de gel sur le verre avant de s'évanouir dans le silence du crépuscule.

Dans le reflet de la vitre, un carré de lumière s'ouvrit et mon épouse entra. Elle posa un sac plastique sur le fauteuil à côté de mon lit, quitta sa parka et de son bonnet mouchetés de neige. Elle m'embrassa puis me déclara sur le ton qui me ravissait comme à chaque fois le cœur et m'éloigna du sentiment de débacle que je ressentais :

 " Je penserais presque que tu as choisi exprès ton moment pour rester alité, amor mío.

 - Qu'est-ce que tu veux dire ?

 - À la météo, ils ont annoncé qu'un front polaire en provenance du Canada allait s'abattre sur tout le nord-est du pays. Avec du verglas et beaucoup de neige.

 - Le premier blizzard de l'année. On dirait même que ça a déjà commencé. Comment vont les filles ? Elles n'ont pas voulu venir ?

 - Elles vont plutôt bien, compte tenu des circonstances, Sean. C'est moi qui ai refusé qu'elles viennent. Tu dois être épuisé et je ne tiens pas à ce qu'elles voient leur papa dans cet état.

 - Ma gueule est si effrayante à voir, Cam ?

 - No eres diplomático, Sean.

 - Excuse-moi, mon amour. Je crois que l'inaction me rend stupide. Je suis désolé.

 - Ningún problema. Mais je ne veux pas ajouter à leur preocupación en plus de ces agents qui nous entourent avec leurs plaques et leurs armes. Voir leur papa à l'hôpital, le visage couvert de coups ne ferait qu'augmenter leur incompréhension de la situation. Autant Elsa te couvrirait de besos, autant je ne sais pas comment réagirait Marisol.

 - Tu as raison, Cam. Merci.

 - Por qué me das las gracias, Sean ?

 - Pour rattraper ce qui m'échappe, pour protéger nos filles. De la vanité même de leur propre père.

 - Ne parle pas ainsi de toi, Sean. Ces médicaments et la somnolence qu'ils amènent te pèsent trop sur le moral. Et puis, j'avais envie de passer un peu de temps seule avec toi. Tu m'as manqué ces dernières semaines. " susurra-t-elle, en glissant ses doigts froids entre les miens, en effleurant mes lèvres entaillées des siennes ardentes de désir.

 - Cam, je suis attaché à mon lit.

 - Ce n'est pas la première fois que nous jouerions avec des menottes.

 - Et si quelqu'un entrait ?

 - Est-ce que ce serait pire que la fois où ton père nous a surpris ?

 - Ou celle où ta mère m'a chassé à coups de balai de ta chambre. "

Nous rîmes tous les deux de ces souvenirs d'adolescence puis ses baisers se firent plus appuyés et sensuels. Notre désir réciproque au fil des années n'avait jamais perdu de sa force et il n'en fallut pas plus pour que toute diplomatie charnelle soit oubliée. Je l'embrassai à pleine bouche, l'attirai contre moi, retroussai sa jupe pour venir caresser ses cuisses et ses fesses à travers le tissu de ses collants.

 " Tu m'as manqué, Cam.

 - Continúa, Sean. "

Elle se contorsionna au-dessus de moi pour enlever ses bas, sa culotte. Mes doigts coururent sur sa peau en longs soupirs fripons. Puis elle m'accueillit en elle, nos hanches se soudèrent. Dans notre étreinte, le remède estival tant à la sensation de gel qui figeait mes pensées depuis notre arrivée dans l'Ohio qu'au froid hivernal qui s'installait sur la Rust Belt. Je m'abandonnai au plaisir qui éclosait dans ma poitrine telle une fleur printanière. Nos soupirs devinrent halètements puis feulements orgasmiques, presque animaux que nous cherchâmes à étouffer pour ne pas attirer l'attention des policiers en faction devant ma porte. L'effusion nous laissa pantelants, mais heureux. Mes côtes blessées me lançaient comme jamais ; je chassai la douleur.

Camille resta un instant contre moi puis murmura :

 " Je ferais mieux d'aller me nettoyer avant d'en mettre partout. "

Elle attrapa ses sous-vêtements et fila à la salle de bains. La nuit était presque totale à présent, les toits des quartiers gris disparaissaient dans l'obscurité. Je ne distinguais plus que les flocons qui venaient s'échouer sur la vitre gelée.

 " Ne te laisse pas de nouveau envahir par le morose, Sean. me prévint Camille en revenant.

 - Bien, m'dame !

 - Je t'ai amené quelques petites affaires. Commence par enlever cette blouse ridicule. Je ne tiens pas à ce que toutes les infirmières de Columbus voient tes fesses, amor mío.

 - Ils t'ont laissé passer avec ça ?

 - Ils ont fouillé le sac, bien sûr. Tout comme l'agent Errico s'est assuré que je ne tenterai rien pour te permettre de t'évader.

 - Il est où d'ailleurs, cet idiot ?

 - D'après ce que j'ai compris, il essaie de requalifier ton arrestation auprès de ses supérieurs en mise sous protection policière en échange de ton témoignage.

 - Donc il ne fait pas cavalier seul sur cette affaire.

 - Ça, je l'ignore, Sean. "

Elle ouvrit la porte et demanda à l'agent de me retirer les menottes le temps que je me change. Sous les yeux du policier en uniforme, j'échangeai le morceau de tissu contre un survêtement bleu foncé. Quand je tendis mon poignet pour être de nouveau menotté, le jeune flic me répondit :

 " Ce ne sera pas nécessaire, Mr. Fogarty. Nous avons reçu d'autres consignes vous concernant. Vous êtes libre d'aller et venir comme bon vous semble. Tant que vous restez sous notre surveillance.

 - OK.

 - Je serai dans le couloir si besoin.

 - Juste une question, officier.

 - Laquelle ?

 - Comment va Charlie ?

 - Votre ami ? Il ne s'est toujours pas réveillé de son opération, mais son état est stable.

 - Et sa famille ?

 - Je n'ai malheureusement aucune info à ce sujet, monsieur. "

Et il sortit. Je jetai un regard circonspect à Camille qui se contenta de hausser les épaules. Avant de lancer :

 " Est-ce que tu veux voir ce que je t'ai apporté d'autre ?

 - Bien sûr. "

Elle sortit un autre jogging du cabas, noir celui-là. Puis deux livres de poche. " La solitude est un cercueil de verre " de Ray Bradbury et " Les lumières de l'aube " de Jax Miller.

 " Je ne sais pas combien de temps tu vas rester ici, mais par contre je sais à quel point tu ne supportes pas de te retrouver sans livre.

 - J'apprécie grandement, Cam. Merci beaucoup.

 - De rien, mi corazón. "

Elle sortit aussi un étui de cigares du sac et quelques paquets de gâteaux qu'elle rangea dans la table de chevet.

 " J'ai besoin de prendre un peu l'air. Ensuite j'irai voir Charlie. Tu m'accompagnes ?

 - Bien sûr. "

L'agent nous emboîta le pas jusqu'au parvis de l'hôpital. Dans la lumière grise du crépuscule, au milieu de ce quartier d'immeubles ternes et sans âme, saisi par le froid descendu du Canada, je vis dans les titres des romans apportés par Camille comme un message. J'avais tout intérêt à ne pas me la jouer en solitaire si je ne voulais pas finir dans une tombe ou en prison. Quant à l'accord que négociait Stanley Errico avec ses chefs de service, quelle lumière apporterait-il sur mon aube et sur celle de ma famille ? Et mon fameux plan pour nous sortir de là, pouvait-il toujours fonctionner sans la complicité de Charlie ou allais-je devoir me plier sans broncher aux volontés du FBI ?

Dans chaque aurore, une nouvelle chance.

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