Chapitre 18- Chrysentia

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Chrysentia

L’hiver ne sera pas aussi rude que je le pensais, songea Chrysentia.

Le ciel se ternissait alors que les heures défilaient. Vers la première heure de l’après-midi, la sorcière s’engagea dans le bourg de Valgur Raal. Peu la connaissait mais ses soieries et la robustesse de son cheval indiquait qu’elle venait du château. Quelques bonnes gens traversaient la ville avec un destrier, tous des nobles qui désiraient échanger quelques pièces d’argent contre du gibier que les chasseurs ramenaient.

Le chasseur. C’était à cause de lui que Chrysentia se trouvait ici. Elle était une étrangère parmi toutes ces personnes et les Reigiiens le savaient aussi bien qu’elle. D’un coup de talon, elle ordonna à sa monture de presser son allure. La sorcière avait pris soin de recouvrir sa chevelure d’un foulard pour cacher son étrange couleur mais quelques mèches réussissaient à s’échapper dévoilant sa nature. Beaucoup la dévisageaient avec curiosité et méfiance. Peu de femmes se déplaçaient sur un cheval mais beaucoup utilisaient des calèches. Chrysentia préférait aussi une voiture mais ce mode de déplacement était plus contraignant. Or aujourd’hui elle devait allier vitesse et discrétion.

Pour la discrétion, c’est loupé.

Chrysentia fleurait avec ce monde depuis bien trop longtemps pour se mêler aux sociétés humaines. Les plus jeunes de cette foule mourrait et leur fils après eux bien avant qu’elle ne s’éteigne à son tour, car immortelle elle ne l’était pas.

Elle connaissait le cycle d’une femme avant qu’elle ne meurt mais les années qui s’écoulaient pour les humains n’avaient pas la même emprise sur Chrysentia. Cilanna l’ignorait. Qu’importe, son adorée la quitterait aussi et une part d’elle-même avec elle. C’était là sa vraie malédiction. Non pas le poids des années mais la perte de son entité jusqu’à n’être qu’une coquille vide.

Cilanna voulait se mêler de tout mais seule Chrysentia pouvait porter ce fardeau. Son amante ignorait ce poids qui la rongeait, son cœur alourdi de reproches, de doutes et d’amertumes. Même si elle acceptait d’alléger un peu la souffrance de Chrysentia, elle ne comprendrait pas. Or cette malédiction voulait être comprise et seul le temps lui offrait la connaissance nécessaire.

Chrysentia sortit du bourg et s’aventura dans la forêt Les chênes cédaient la place aux sapins. La maison de la sorcière n’était plus très loin. Une dizaine de minutes tout au plus. La rivière avait gelé mais la fine couche de glace étincelait.

Aux yeux des humains, l’endroit était maudit, hanté par des fantômes. Chrysentia perçait avec facilité le sortilège qui environnait la demeure de la sorcière. Une enchanteresse reconnaissait toujours ses comparses. Les quelques millimètres de neige crissaient sous ses pieds.

Alors qu’elle s’apprêtait à frapper, la porte s’ouvrit. Une femme d’une cinquantaine d’années apparut sur le seuil.

–Je t’attendais. Entre.

Chrysentia ôta l’écharpe qui couvrait sa tête. De nombreuses étagères sillonnaient son habitacle mais la chaleur humaine restait présente.

–J’ai besoin d’aide, commença Chrysentia.

–Prends d’abord une tasse de lait chaud.

La jeune femme avait appris à ne pas la brusquer. Si cette sorcière était plutôt sympathique, vivre au fond des bois n’amélioraient pas ses rapports sociaux. Chrysentia se posta près de la fenêtre pour observer son cheval. Il n’aimait pas cet endroit, elle le voyait à l’inclinaison de ses oreilles.

–Tu as besoin d’aide pour supprimer leur malédiction je me trompe ?

–Non.

La sorcière lui fourra une tasse dans les mains. Avec ses cheveux bruns et sa peau blanche, elle semblait sortir d’un conte pour enfants.

–Je ne peux pas t’aider et tu le sais. Alors pourquoi es-tu là ?

–J’ai besoin de contacter un Fae.

Ni humain ni peuple nature, les Fae étaient un point médian entre les deux races et les plus puissants des trois espèces. Si leur soif de puissance égalait leurs pouvoirs, ils pourraient gouverner Naarhôlia. Heureusement, la plupart des Faes détestaient les conflits et préféraient la compagnie du Peuple Nature dans les endroits reculés.

Les plus cupides et dangereux vivaient sur des îles, exilés et reniés par des plus puissants qu’eux. L’anarchie régnait sur ces bouts de terre et seuls les pirates plus courageux (ou les plus stupides) acceptaient d’accoster. Bon nombre mourraient, les survivants revenaient avec des morceaux en moins.

–Eux seuls peuvent me dire comment inverser le sort.

Les mortels les plus anciens racontaient que les sorcières descendaient des Faes mais si c’était le cas, leurs ridicules pouvoirs confirmaient une séparation depuis des centaines d’années.

–Tu te trompes de personne. Je ne sais pas comment communiquer avec eux.

–Et tous ces ingrédients, d’où les obtiens-tu ?

–Ces bricoles ? Ils les déposent sur le pas de ma porte. Détrompe-toi Chrysentia, je n’ai vu des Faes qu’à quelques reprises et seulement lorsqu’eux le souhaitaient. Peu étaient de la race supérieure. Des fées, pour la plupart. Ce sont elles qui m’apportent toutes ces herbes et ses pierres.

–Peut-être qu’eux savent comment les contacter.

Les plus puissants ne se mêlaient jamais aux humains. De temps à autres, les fées (le peuple le plus connu des faibles Faes) usaient de malice mais les grands ne tardaient jamais à les corriger.

La sorcière soupira avant de se laisser tomber dans un fauteuil. Le feu ronflait doucement dans l’âtre.

–Je n’ai jamais vu ceux que tu cherches, Chrysentia. Si je voulais leur demander telles ou telles plantes, je ne saurai même pas comment procéder.

–Je me dois d’essayer, répliqua l’immortelle.

Si elle ne dit rien, son hôte acquiesça.

–Ils ne m’ont rien apporté depuis plusieurs jours. Il y a de fortes chances qu’ils passent au courant de la nuit.

–Aujourd’hui ?

–Ou peut-être celle d’après.

–J’ai prévenu les Reines que je ne partais que pour une nuit, reprit la jeune femme inquiète de ne pas rencontrer les Faes.

–Fais comme bon te semble, Chrysentia. Tu ferais bien de dormir un peu. La nuit va être longue.

La brune lui prépara un lit de fortune. Composé de quelques draps pour amortir les lattes et les clous, l’immortelle se laissa happer par un sommeil sans rêve.

Chrysentia fut réveillée par une secousse sur son épaule. Elle ne reconnut pas tout de suite le visage penché au-dessus du sien.

–La nuit commence à tomber.

Se rappelant soudain la raison de sa venue, la jeune femme se redressa.

–Ton cheval est dans la cour. Je lui ai donné du foin.

L’immortelle la remercia d’un signe de tête.

–J’ai préparé un ragoût. Si tu veux veiller cette nuit, tu ferais mieux de prendre des forces.

–Et ensuite ? Demanda Chrysentia. Comment sauront-ils que je souhaite les rencontrer ?

–Ils le savent déjà. Certains Faes peuvent lire dans les esprits. S’ils veulent te parler, il ne te reste plus qu’à patienter.

Les premières heures, Chrysentia les passa avec la sorcière les yeux rivés tantôt sur le seuil de la porte tantôt sur les bois. Même si elle ne parvenait à distinguer chacun des arbres, le disque de lune éclairait les arbres qui projetaient des ombres menaçantes sur la neige. Aux alentours des neuf heures, son hôte l’abandonna et la jeune femme dut veiller seule, trompant le sommeil avec la douleur silencieuse qui la rongeait. C’était là son unique chance de sauver Cilanna de sa première malédiction. Elle ne tarderait pas à découvrir la seconde, tout aussi meurtrière que la première.

Durant ces vingt-six ans, elle avait cherché à retrouver la sorcière qui les avait maudites. Chrysentia avait fait chou blanc et son dernier espoir restait le rencontrer avec l’un des Fae.

Alors que la fatigue commençait à engourdit ses membres, elle décida de continuer sa ronde à l’extérieur. La froid la fit frémir mais le vent vif qui lui giflait le visage la réveilla. Elle inspira une goulée d’air, chassa les derniers vestiges de somnolence et étira ses jambes.

–Où êtes-vous ? Demanda-t-elle à la forêt. J’ai besoin de votre aide.

Chrysentia resta quelques instants dehors à marcher, scruter les sous-bois à la recherches d’ombres mouvantes, éventuels farfadets farceurs. Hormis les branches qui sifflaient dans le vent, le bois des arbres travaillaient arrachant quelques sinistres grincements, la forêt demeurait silencieuse. Si des yeux l’observaient, ils restaient invisibles.

–Pourquoi refusez-vous de m’aider ?

Sa voix n’était pas plaintive. Elle montrait une question, un constat. Chrysentia avait fait du chemin jusqu’ici, empruntant différents sentiers pour rebrousser de quelques pas avant d’en prendre un autre. Le dernier qu’il lui restait représentait les Faes.

Ces créatures se mêlaient peu aux hommes répugnés par leur cupidité, leur avidité, leur soif de sang de leurs propres congénères. Ils ne désiraient pas être craints. Le respect leur suffisait. De temps à autre, ils offraient des dons aux enfants comme ils l’avaient fait pour les trois Reines. Ils n’étaient intervenus qu’à cause de l’origine animale de leur mère.

La neige crissait sur ses bottes, emplissant le silence. Chrysentia se concentra sur sa respiration, sa poitrine qui se soulevait, ses poumons qui se dilatait. L’air traversa sa gorge pour rempli d’O2 ses bronches et inonder son corps d’un filet de vie. Son myocarde se contracta expulsant le sang dans plusieurs artères et veines pour nourrir ses organes. La sorcière se concentrait sur l’incroyable machine qu’était l’organisme humain composé de plusieurs éléments qui battaient en sœur. Lorsque le silence était le seul bruit à écouter, l’esprit se concentrait sur le corps. A chaque fois, Chrysentia s’émerveillait des multiples organes vivants qui la composaient. Les sorcières les plus audacieuses analysait ce corps mais chaque secret révélé en dissimulait un autre et a curiosité qui les animait se transformait en malédiction. Impossible de tout comprendre en quelques dizaines d’années.

A l’étonnement succéda la lassitude. Elle revenait au galop à chaque nouvelle étape qu’était la vie immortelle de Chrysentia. Le poids du chagrin pesait sur ses épaules mais une émotion plus présente encore : la folie. Elle guettait le moindre de ses pas, tantôt recluse au fond de son âme, muselée et emprisonnée et tantôt ondulante sous la surface de la raison. A l’aliénation s’ajoutait la peur. La crainte de céder à sa force qui troublait le calme de ses pensées. Un fardeau qu’elle devait affronter seule.

Chrysentia cueillit une poignée de neige. La froidure incendia ses jointures. Sa peau demandant grâce mais son esprit souhaitait tester ses limites. Son poing de referma avec brusquerie et les flocons entassés passèrent de solide à liquide. Chrysentia secoua les doigts pour se débarrasser des gouttelettes d’eau qui s’incrustaient dans les plis de sa main. Elles heurtèrent la neige et creusèrent de minuscules trous.

C’était une belle nuit. Les températures étaient agréables, la lune éclairait faiblement les bois et aucun vent ne présageait la tempête. Ses yeux dévièrent vers le porche de la cabane de sa comparse. Même si elle n’avait vu personne, elle préférait s’en assurer.

–Vous savez que je suis là, murmura-t-elle.

Comme elle s’y attendait, nulle voix ne prit la peine de lui répondre. La sorcière resta dehors quelques heures, puis lasse, décida de continuer sa veillée à la fenêtre. Les minutes filaient, la nuit passait, lente et monotone. Aux premiers rayons de l’aube, Chrysentia sentit les doigts de la fatigue fermer ses paupières. Elle s’assoupit, se réveilla en sursaut quelques secondes plus tard et scruta le seul de la porte. La sorcière constata avec soulagement et une once d’inquiétude que rien n’était posé sur le porche. Elle ne pouvait rester une nuit de plus.

La sorcière brune lui ordonna de se coucher quelques heures avant d’enfourcher à nouveau son cheval. Chrysentia voulut protester mais elle acquiesça et s’endormit avant même que sa tête ne touche les draps.

–Le cheval t’attend dehors.

La sorcière n’usait pas de grands discours pour lui signifier de déguerpir comme les Reines le faisaient au château. Après de brefs remerciements, Chrysentia ordonna à son cheval de s’enfoncer dans les bois. Elle marchait depuis quelques instants déjà lorsqu’elle se sentit observée. Un regard pénétrant, invisible à ses yeux d’humaine, brûlait son dos. Sa tête pivota sur son cou mais l’unique constat qui s’imposa à elle fut la solitude. D’une pression des jambes, elle imposa à sa monture d’accélérer la cadence. Quelque chose l’épiait dans ces bois. Les battements de son cœur s’intensifièrent et un curieux sifflement (assez bas toutefois) s’éleva.

Un Fae se dressait devant elle. Le cheval s’arrêta de lui-même sans que Chrysentia n’ait besoin de tirer sur les rennes, comme si son contrôle lui avait échappé. L’étranger était ridiculement petit. Si elle avait été debout, il aurait à peine atteint la hauteur de ses genoux. Mais la sorcière ne s’y fiait pas : les korrigans étaient de loin les Fae les plus redoutables malgré leur curieuse apparence. Celui qui se tenait devant elle arborait une barbe blonde tressé, des habits rapiécés aux couleurs de la forêt en hiver et un nez aussi rouge que celui d’un alcoolique. La puissance due à son rang se traduisait par un regard fier et sévère.

–Je vous ai attendu toute la nuit.

Ce n’était pas une critique mais un constat.

-Je ne pouvais me présenter devant ton amie. Seuls quelques Faes bien choisis ont le droit de l’approcher.

–Pourquoi ? Ne put s’empêcher Chrysentia de demander.

–Une liaison interdite avec un Fae banni.

Il l’énonça comme s’il s’agissait d’une évidence. Chrysentia se sentait gauche face à ce Fae, stupide à cause de ses maigres connaissances humaines sur cette race qui lisait en elle.

–Tu veux sauver ton amante, n’est-ce-pas ? Tu as peur que le loup ne la dévore ?

–Je veux toutes les sauver, rectifia-t-elle.

–Il y aurait une solution, réfléchit le Korrigan. La sorcière qui les maudit était une Bannie. Elle a conservé quelques avantages dus à son ancienne race mais sa perfidie influença sa magie qui est supérieure à la nôtre. Les fées du ciel ont réussi à l’inverser. Ta réponse doit résider dans cet acte.

Ce qu’il tut à la sorcière fut le rôle de ces créatures dans la hiérarchie dans des Fae. Injustement considérées comme fées, ces êtres se rapprochait plus des enchanteurs de l’Ancien Temps qu’au bas peuple des Faes.

–Concrètement, que puis-je faire ?

–Réfléchir. Est-ce vraiment le don des loups que tu veux leur enlever ?

–Bien sûr, répondit Chrysentia sans comprendre où le Korrigan voulait en venir.

–Je suis déçu que tu sois venu à moi pour cette question. Tu possèdes toutes les clés pour résoudre cette énigme.

–C’est tout ? Vous vous êtes donné la peine de me trouver pour me dire que je détenais toutes les informations ?

Une lueur moqueuse dansa dans les yeux du Fae et un sourire sournois étira ses lèvres. Chrysentia eut la certitude qu’il lui dissimulait quelque chose. Pis, il s’amusait de cette situation.

–Parfois, il est utile que quelqu’un le fasse. Cherche ce qui vaut la peine d’être sauvé.

Le Fae disparu, laissant Chrysentia seule avec ces ruminations.

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