Chapitre 33- Cilanna

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Cilanna manqua défaillir. Que fichait-il ici ? C’était un Reiguiien, il ne pouvait être le champion de Shagal. Pire encore que les acclamations de la foule, les bruits étouffés de son cœur. Son rythme ralentissait, lui aussi surpris de cette apparition. Tous les secrets de Freya révélés au grand jour. Pire sournoiserie n’existait pas.

—Connaissais-tu les rudiments des armes avant la compétition ?

—Non.

—La compétition ? Grinça Cilanna.

—Qu’y a-t-il, ma chère ?

Shagal n’eut pas l’intelligence –ou la ruse- de dissimuler son sourire. Elle espérait qu’il avait rabattu cartes et dévoilé ses plans.

—Votre… Home. Il a rajouté « avant la compétition ». Notre chasseur n’a pas eu la même question.

—Le sens est le même. Cela pose-t-il un problème ?

Pourquoi tentait-il de la charmer tout à coup ? Hier, il ne s’intéressait qu’à elle uniquement à cause de son rang. La politesse et la courtoisie justifierait chez un autre roi, pas chez Shagal.

—Non, vous avez raison.

La différence, s’il y avait, pour l’audition était minime. Or, qui pouvait se vanter d’avoir suivi des cours de manipulation dispensés par des maîtres de cet art ? Le vieillard offrait la possibilité à Tiyliu de mentir. Seul l’entraînement comptait. Peu importait son lieu d’exercice ou de camp, ce qui indiquait un revers de veste de Tiyliu. L’angoisse rendait ses paumes moites.

—Vous avez l’air surprise.

Sur quelle carte jouer à présent. Naïveté ou vérité ? Maleïka ne lui donna pas l’occasion de se décider.

—N’avez-vous pas votre propre champion ? Faut-il que vous nous voliez les nôtres ?

—Quels vôtres ? Ce garçon m’a supplié de le prendre comme champion. Il s’est offert à ce rôle.

—Nous l’avons formé, pesta sa sœur.

—Mais pas gardé. Le contrat ne stipulait pas de closes de l’origine du champion. Vous avez aussi changé d’homme, Reine Maleïka.

—C’est un Reiguiien.

Shagal haussa les épaules dans un mouvement de désinvolture.

—Reiguiiens ou non, qu’est-ce que cela change-t-il ? Ils vont se battre et nous, admirer le spectacle.

—C’est de la triche, s’obstina sa sœur.

—Je ne vois pas comment. Ce n’est pas stipuler dans le contrat.

Cilanna le savait. Jamais elle n’aurait pensé que Tiyliu serait tant attaché à sacrifier sa vie. Freya lui avait donné un coffre d’or, que désirait-il de plus ?

—Sans indiscrétion, combien lui avez-vous promis ?

—Promis ? Je n’ai rien dû lui promettre en échange de ses services. Il m’a supplié de le prendre.

—Pourquoi

—Je n’ai pas écouté. Une histoire de vengeance et de donzelle pour ce que j’en sais.

Vengeance contre les Reines de la Reigaa, voilà ce que Cilanna retenait. Pour lui, Freya l’avait mis à la porte pour des raisons inexpliquées.

—Pourquoi l’engager si vous ne vous intéresser pas à ses raison ?

—Pour son talent et ses hachettes bien plus importants qu’un charabia, répliqua-t-il agacé. N’auriez-vous pas saisi l’occasion si elle s’était présentée ?

Cilanna réfléchit. Le chasseur les y avait contraintes et non suppliées. Qu’auraient-elles fait s’il venait à elles en leur parlant de vengeance ? La haine engendrait bien des folies mais était un moteur puissant.

—Je n’y ai pas réfléchi.

—Vous a-t-il livré nos secrets ? S’exclama Maleïka.

—Quelques-uns, oui.

Cilanna se retenait de le gifler. Si elle avait été à sa place, n’aurait-elle agi de même ? La Reine inclina la tête de manière à surveiller le visage de sa sœur de coin de son œil. Elle se désintéressait de Shagal. Elle observait les deux combattants qui s’affrontaient du regard. Soudain, elle se leva et s’appuya contre la rambarde de ses avant-bras. Oron surprit le mouvement du coin de l’œil et lui adressa un bref hochement de tête. Tiyliu ricana en surprenant l’échange entre la Reine et Oron. Cilanna vit ses lèvres s’agiter mais ne put retenir les mots prononcés. Le vieillard leva les mains.

—Que la Déesse vous protège.

Ses bras retombèrent contre ses flancs. Le duel commençait. Oron et Tiyliu se tournaient autour lorsque ce premier esquissa une grimace qui fendit son visage. Tiyliu en profita pour attaquer, visant les chevilles. Le chasseur l’évita d’un cheveu au dernier moment et porta la main à son front comme en proie à des démons intérieurs. Sa double faux pendait entre ses mains tel un poids mort. Freya se tendait, se léchait les lèvres pour s’empêcher de lui hurler des conseils. Cette tactique n’en n’était pas une. Oron était réellement en difficulté. Les attaques de Tiyliu restaient superficielles. Le chasseur aurait dû s’en défaire avec facilité. D’une pression sur les jambes, Cilanna se retrouva aux côtés de sa sœur.

—Il y a quelque chose qui cloche.

—Ne lui as-tu pas appris à feinter ?

—Ce n’est pas une feinte. Il a mal.

Oron encaissait les coups. Il ne ripostait pas et sa longue arme le handicapait. Dans les gradins, les Reiguiiens retenaient leur souffle. Aucune connaissance martiale n’était nécessaire pour comprendre que leur champion souffrait. Tiyliu n’argumentai que de faibles attaques.

—A quoi joue-t-il ? Il va mourir s’il continue.

—Ce mal de tête est-il soudain ?

—Il ne s’en plaignait pas avant le duel.

Freya s’interrompit. Tiyliu balançait ses bras au-dessus de sa tête. Le pied du garçon heurta la poitrine d’Oron. Déséquilibré, il chuta. Le jeune homme se tourna vers les Reines, pointa son regard sur la guerrière.

—C’est pour ça que vous m’avez remplacé ? Cracha-t-il. Qu’a-t-il de plus que moi à part la couardise ?

Il aplatit son pied sur la sur la gorge du chasseur.

—Tu chassais autrefois ? Que genre de gibier ? Plutôt rampant, tout comme toi ?

Avec sa hachette, il porta un coup fatal à la cuisse du chasseur. Plus des trois quart de la lame disparaissait dans la chair. Un cri lui échappa. Cilanna noua ses doigts à ceux de sa sœur.

—De la vermine, ni plus ni moins. Comment as-tu les berner pour me remplacer ? Regarde-toi ! Tu rampes comme une larve.

Le champion en référait à ses bras qui cherchaient une prise. Le pied de Tiyliu descendit le long de sa cage thoracique.

—Je vais te donner une chance. Je vais compter jusqu’à cinq. Une fois le décompte terminé, je te tuerai.

Il frappa trois fois encore. Chaque bras et jambes portait la marque de l’adversaire. Le jeune homme tourna sur ses talons pour faire face à la foule. Atterrés, les Reiguiiens ne réagissaient pas. Leur champion s’était à peine défendu !

—Cinq ! Comptez avec moi.

Il balança son bras au-dessus de sa tête et ses paumes se joignirent en un claquement sonore. Oron se contorsionnait sur le sol.

—Quatre…

Ce n’était plus des actions ni des phrases qui se succédaient sur la rétine de Cilanna mais des images et des mots. Tiyliu, en quête de reconnaissance, cherchait des applaudissements. Oron étirait ses bras malgré la douleur de ses biceps à vif.

—Encore un peu, chuchota Freya. Rien que quelques centimètres.

—Trois !

Tiyliu se prosternait devant Shagal, saluait les Reins avec un ignoble sourire. Oron criait.

—Deux !

Le champion traversa le terrain, ses hachettes reflétaient les rayons du soleil qui perçaient les nuages. Le chasseur prenait appui sur ses talons et poussai contre la terre.

—Un. Le compte à rebours est terminé. J’ai gagné.

Tiyliu écarta les jambes pour s’asseoir sur le torse de sa victime. Ses armes fendirent l’air. Si elles suivaient l’arc de cercle, elles se ficheraient dans le crâne du champion de la Reigaa.

—Gloire à mon Roi !

Cilanna ferma les yeux. Son royaume périrait avec lui. Pourtant ce n’est pas la mort qu’elle entendit mais le son aigu et plaintif de deux lames qui se heurtent. En rouvrant les paupières, son cœur se serra d’espoir. Oron avait réussi à attraper son arme à temps et s’en servait en guise de bouclier. Tiyliu ne lâchait rien et ce fut là son erreur. Afin d’accroitre sa force, il se redressa et le chasseur en profita pour lancer son genou dans ses parties intimes. Son adversaire s’écroula, plié en deux.

Haletant, blessé, Oron se releva en prenant appui sur sa double faux. D’un geste, il sectionna la main de Tiyliu qui hurla.

—Le jeu de la mort. C’est là où il est le meilleur, annonça Freya.

—Avons-nous encore une chance ?

—Oui. S’il ne perd pas son temps.

Oron n’en fit rien. Le sang qui se déversait pas vagues rouges échauffait son esprit. Le pic de la faux perfora son ventre puis son abdomen L’odeur cuivré excita son instinct de chasseur.

—Si je suis de la vermine, alors qu’est-ce que tu es, toi ?

Alors qu’il s’apprêtait à trancher la gorge de son adversaire, Oron lâcha son arme. Ses paumes se posèrent sur son front et un hurlement déchirant rompit ses cordes vocales.

—Lâche-moi ! Lâche-moi !

Oron s’écroula sur ses genoux en proie à des migraines d’origine inconnue. La douleur, indicible lui arrachait des cris d’agonis sinistres.

—Sors de ma tête !

—C’est un envoûtement ! Cria soudain Chrysentia. Il est ensorcelé.

—Quoi ? Rugit Freya.

—Y êtes-vous pour quelque chose ? S’adressait Maleïka à Shagal.

Un long murmure prit naissance chez les nobles. Un chuchotement grandit pour former un vague de colère destructrice.

—Tricheurs ! Braillaient les uns.

—Sauvez-le ! S’époumonaient quelques femmes.

Cilanna se pencha vers Oron qui gémissait. Lorsque sa tête pivota sur son cou, la vue de sa figure lui hérissa les poils sur les avant-bras. Des larmes de douleur roulaient sur ses joues et des gouttes de sueur perlaient sur son front et ses tempes.

—Cessez le duel ! Hurla Freya.

—Etiez-vous au courant ?

Maleïka se tournait vers Shagal. Ce dernier secoua la tête. Soudain, Oron cessa de gesticuler. Seule sa respiration rapide continuait. Le parasite partait.

—Il est libre.

—Nous voulons un autre combat.

—L’ensorcellement a cessé !

—Que s’est-il passé ?

—Les Reiguiiens ont vaincu. Redonnez-nous nos terres !

Les nobles de la Reigaa s’enflammaient mais ceux de Shagal n’étaient pas en reste.

—Mensonges ! Votre champion jouait la comédie.

—C’était une feinte.

Une chose incroyable se produisit alors. Oron se leva, chaque mouvement lui arracha un gémissement plaintif. Il tendit le bras, le poing en guise de victoire. La Reigaa triomphait, conservait titres et terres. Le cœur de Cilanna s’allégea et se gonfla d’espoir.

—Oron ! Hurla la Reine.

Ce n’était pas un cri de victoire ni même de reconnaissance. Cilanna perçut toute l’horreur dans cet avertissement. Malgré ses nombreuses blessures, Tiyliu s’accrochai à la vie. Il ramassa la double faux d’Oron qui essuyait les cris d’admiration de la foule. Son inattention causa sa perte. D’un geste, Tiyliu l’empala sur son arme. Sa réplique se termina dans un gargouillement de sang. Le hurlement de Freya fut si puissant et désespéré que tous se turent pour l’écouter. Encore une fois, Cilanna fut saisi par l’étendue de la tristesse et de la colère de sa sœur.

Comme son prédécesseur, Tiyliu leva le poing mais s’écroula, mort avant que Shagal puisse le déclarer vainqueur, mort. Freya sauta par-dessus la rambarde et traversa le terrain à toute allure, trébucha sur le cadavre de son ancien élève. Ses épaules se raidirent. Devant tant d’injustice, la guerrière ne put retenir son ire. Son talon s’écrasa sur le nez de Tiyliu dans un craquement terrible. Sa sœur, en proie à la haine et à la colère, ne cessa son geste. Les os du crâne se fissuraient sous ses coups et les gouttes de sang s’écrasèrent sur le visage et les vêtements de Freya.

Cilanna assista à la scène, étrangère et spectatrice de tant de fureur. Incapable de demeurer plus longtemps sur l’estrade, la jeune femme la contourna pour emprunter l’entrée des champions. Les nobles semblaient de trop dans cette scène, témoin du courroux de Freya. La Reine interpella un garde.

—Dites-leur de partir.

Elle n’attendit pas sa réponse pour se tourner vers sa sœur. Debout au-dessus de Tiyliu, ses yeux brillaient de larmes ou de colère. Peut-être les deux.

—La mort n’était pas assez douce pour lui.

Sa voix, étreinte par la douleur que lui inspirait Oron, tremblait. Elle s’agenouilla près du chasseur, l’enveloppa entre ses bras protecteurs. Sa tête roula sur sa poitrine. Le fin filet d’air qui sortait de sa bouche évoquait le peu de vie qu’il lui restait. Le compte-à-rebours était lancé. Freya posa son front contre le sien.

Cilanna, soudain gênée devant l’intimité de cette scène se tourna vers le cadavre étendu à seulement quelques centimètres d’Oron. Elle admirait son visage en sang, le rouge jurant sur le blanc de son visage, s’il était possible de qualifier cette horreur ainsi. Ses os brisés creusaient des valons sous sa chair.

—Ne meurs pas, le supplia Freya.

Chrysentia les rejoignit, enlaça sa taille et son posa son menton sur son épaule.

—Qu’allons-nous devenir maintenant ?

Quelle que fût la réponse espérée par Freya, elle ne vint pas. L’homme se mourrait. Cilanna attrapa la main de la sorcière.

—Conserver ce qui nous vient de droit. Oron a gagné.

Freya ne sanglotait pas mais son silence était aussi expressif que des pleurs déchirants.

—Tu… as… touj… toujours…aimé… donner….des ordres.

Sa sœur ne la coupa pas. Aucun guérisseur ne possédait de telles capacités.

—Je… ne… pourrai… pas… satisfaire… cet…

Sa poitrine s’immobilisa. Son cops se raidit et Freya resserra son étreinte. Le crissement du givre sous les chausses qui allait s’intensifiant les avertit d’une présence. C’était Kishâ, le magicien de Shagal.

—Vous avez raison, sorcière. Il s’agissait bien d’un ensorcellement.

—Comment en êtes-vous sûr ?

Le sourire qu’il lui offrit lui révéla toute la vérité.

—C’était vous ! Mais comment ? Vous ne sembliez même pas souffrir…

Cilanna et Chrysentia se séparèrent. La dernière enjamba le cadavre.

—Je suis déçu que vous me posiez cette question. Ceux qui s’emparent de l’esprit des autres ne ressentent aucune douleur mais une profonde attirance à s’y abandonner. Votre champion devait être partiellement résistant à la magie ; il ne cessait de se battre. En forçant un peu et en détruisant son esprit, j’y suis tout de même bien arrivé. (Il se tourna vers Cilanna) Ce n’est pas pour rien que nous sommes les sorciers les plus dangereux.

D’un geste de l’épaule, il rejeta sa veste en arrière et un petit éclat d’argent confirma les soupçons de la Reine.

—Maintenant, ma chère Chrysentia, je vais vous donner ce que la Déesse à rechigné vous apporter.

Kishâ sortit le poignard de son fourreau. Celui-ci émit un son métallique à mi-chemin entre la plainte et un grondement. Il lança son bras vers la sorcière mais au dernier instant pivota pour faucher la vie de Cilanna. Avec une résignation nouvelle, elle ferma les yeux. Elle refusait à ce que le visage de Kishâ soit celui qu’elle emporte vers le Paradis que lui promettait la Déesse. Elle entendit le crissement de la peau cédant sous la pression arme. Etait-ce ses téguments qui se rompaient ? Ce fut les derniers sons qui résonnèrent dans ses oreilles, vibrèrent ses tympans alors que les ténèbres s’abattirent sur sa personne et la précipitèrent vers une chute sans fin.

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