I - Chapitre 1
La chambre princière baignait dans la lumière. Dehors, la cloche du temple de l'Ordre Céleste sonnait les douze coups de midi. Théandre décida d'ignorer cet appel et s'enfonça plus profondément sous son édredon. Le prince héritier n'avait pas su trouver le sommeil ; il avait passé la nuit à se tourner et à se retourner, essayant tant bien que mal de se forcer à s'endormir, sans succès. Il avait bien sombré dans une légère torpeur aux premières lueurs de l'aube, mais rien qui ne vaille une nuit de sommeil digne de ce nom. Il avait réussi malgré tout à se lever, à s'habiller et à lire quelques pages d'un livre qu'il connaissait déjà par cœur ; cependant, la fatigue l'avait rattrapé.
A cet instant, Théandre était allongé sur le lit qu'il venait de refaire. Cet exercice l'avait épuisé. Il regardait l'épaisse draperie tendue en haut du baldaquin. Il pensait la voir flotter sous l'effet du courant d'air qui passait par la fenêtre ouverte, mais ce n'était qu'une illusion née du manque de sommeil. La brise qui survenait de temps à autre était très apaisante en ce jour d'intense chaleur, qui marquait la fin d'un bel été. Théandre regrettait que cette saison doive s'achever. Il l'avait toujours associée à l'insouciance et au bonheur, comme la plupart des gens de la cité.
Etant enfant, il passait ses journées dans les jardins aquatiques du palais, s'amusant à disparaitre derrière la cascade en laissant les trombes d'eau l'écraser. Malheureusement, le temps avait rendu ces plaisirs enfantins désuets, et les responsabilités qui lui étaient confiées étaient devenues trop nombreuses pour qu'il puisse se livrer totalement à la frivolité.
Le conseil des nobles le harcelait en permanence pour qu'il reçoive une éducation digne de son rôle de futur souverain. Par éducation, ils entendaient un bombardement de règles et d'usages à observer ainsi que des explications très détaillées sur les membres les plus influents de la cour. Il devait également connaitre les régions, les villes et tous les points importants du pays, probablement en cas d'invasion. Il allait sans dire que Théandre n'avait cure de tout cela, sans compter le fait que les enseignements de ces grands messieurs étaient en totale contradiction les uns avec les autres. Ils se chamaillaient encore plus que des petits enfants.
Théandre n'avait pas la moindre envie d'apprendre à devenir roi. En fait, il souhaitait ne pas être roi du tout, mais il n'avait pas son mot à dire à ce sujet : il était le fils unique de la reine, et il devait se préparer à prendre la place de sa mère lorsque sa mort surviendrait. Telle était la loi. Quand on lui avait annoncé pour la première fois qu'il règnerait un jour, Théandre n'avait pas eu la réaction attendue de la part d'un petit garçon, encore ignorant des inconvénients du pouvoir suprême. Il était resté pétrifié, incapable de concevoir que ce territoire immense, qu'il n'avait jamais vu ailleurs que sur les cartes de la bibliothèque, serait entièrement à sa disposition, que tous les gens qui l'habitaient allaient devoir lui obéir. Lui, Théandre, que pouvait-il bien leur dire ? L'idée de tenir les rênes du pays l'avait toujours terrifié. Il avait souvent essayé de prendre exemple sur sa mère, la reine Mathilde, mais elle avait une façon de gouverner particulièrement intimidante. Elle avait toujours refusé de laisser le conseil décider pour elle et personne n'osait remettre ses ordres en question. Théandre se sentait incapable de faire preuve d'autant de témérité. Il n'avait pas la moindre prestance, on lui reprochait souvent d'avoir une voix trop faible et de ne jamais se tenir droit.
La seule personne qui aurait pu lui donner des conseils et le prendre sous son aile aurait été son père. Mais il était mort depuis longtemps, tué dans un combat pour protéger la ville d'une invasion imminente. Théandre n'était alors qu'un bébé. La reine n'était pas sensée lui prodiguer des conseils, de peur que les gens reprochent au futur roi de « gouverner comme une femme ». Théandre trouvait que cette crainte était du dernier ridicule : la reine Mathilde gouvernait le pays bien plus durement que ne l'avait fait aucun roi avant elle. Elle était bien la preuve que douceur n'était pas synonyme de féminité.
La fatigue apportait un flot de pensée parasites dans l'esprit de Théandre. Sa peur de devoir faire face à une destinée dont il ne voulait pas augmentait de jour en jour, l'empêchant de trouver le sommeil, ou même de vivre, tout simplement. Il se sentait prisonnier d'une situation dont il ne voyait aucune issue.
On frappa trois coups à la porte. Théandre se redressa et s'assit sur le bord du lit.
- Entrez !
Baptiste, le vieux messager du château, entra dans la chambre princière. Il semblait hésitant, comme s'il s'apprêtait à aborder un sujet délicat. Il s'inclina respectueusement.
- Belle journée à vous, votre Altesse.
- A vous de même, répondit Théandre, que m'apportez-vous ?
- Oh, hum... juste un message de la part de votre valet... encore un autre...
Le majordome tendit un papier jauni et crasseux à Théandre. Un papier aussi répugnant ne pouvait provenir que d'un seul endroit.
- Bon sang, souffla Théandre avant même d'avoir lu le message, qu'a-t-il encore fait ?
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