IV - Chapitre 5

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Adossé contre le mur, Ludwill attendait la jeune fille qu’il avait entrepris de séduire toute la soirée durant. Il lui avait donné rendez-vous dans l’un des nombreux passages secrets du château, dans l’aile réservée aux membres de la noblesse. Il tenait son emplacement d’une servante plus agée, qui s’était vantée d’y avoir passé de bons moments en compagnie de membres réputés du conseil, à l’époque où la reine Mathilde les accueillait encore dans son château. Ludwill avait décidé que ce serait l’endroit parfait pour mettre en place la suite de son plan, l’étape la plus hasardeuse.

La jeune fille sur laquelle il avait jeté son dévolu n’était pas à proprement parler… discrète. Il craignait qu’elle ne sache pas tenir sa langue sur ce rendez-vous, où bien qu’elle révèle leur présence d’une manière ou d’une autre. Il avait bien précisé qu’elle devait le rejoindre lorsque toutes les autres prétendantes seraient couchées. Il lui suffirait ensuite d’actionner le mécanisme caché sous un petit tableau, ce qui lui permettrait d’ouvrir discrètement la porte dissimulée dans le mur. Ces instructions étaient parfaitement claires, alors Ludwill ne comprenait pas pourquoi il attendait depuis si longtemps. Il n’entendait plus le moindre bruit dans le couloir, ce qui signifiait que tout le monde était déjà couché.

Le jeune valet soupira et essaya de se détendre. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’on le faisait attendre. Il avait l’habitude de ces rendez-vous secrets : entre les jeunes filles vierges redoutant la colère de leurs pères et les femmes mariées redoutant celles de leurs maris… Il y avait souvent un long moment d’hésitation, où elles se demandaient si elles ne finiraient pas par payer très cher cet instant de plaisir, mais au final, elles avaient toujours fini par le choisir, lui, et le plaisir qu’il leur avait apporté les poussaient à revenir.

Néanmoins, la situation dans laquelle se trouvait Ludwill était différente : jusqu’à présent, il n’avait jamais fait cette proposition à une noble. Comme il l’avait admis à Théandre, le risque était trop grand, même en se faisant passer pour un baron. Il avait du esquiver autant que possible le regard du majordome et des autres serviteurs, qui n’auraient pas manqué de le reconnaître malgré la belle perruque du prince et son maquillage élaboré. Heureusement, ils avaient été bien trop occupés pour prêter attention à l’apparence des invités. Ludwill se sentait extrêmement chanceux et ,comme il aimait les paris, il était curieux de voir jusqu’où il pourrait pousser sa chance.

Le jeune homme était convaincu d’avoir choisi la cible idéale. Le prince ayant pris l’invraisemblable décision de be choisir aucune de ses prétendantes, il avait pu se réserver la plus belle, la plus stupide et la plus riche demoiselle du bal. Ces deux dernières caractéristiques étaient de loin le plus importante à ses yeux, mais il ne voyait pas pourquoi il devait s’abstenir de profiter d’un joli minois. De plus, cela lui rendrait la tâche bien plus aisée.

Le bruit d’un mécanisme que l’on actionne résonna dans le passage. Ludwill se redressa, épousseta sa chemise entrouverte et se prépara mentalement à assumer l’identité du baron de Chablis, un rôle improvisé dans lequel il se sentait de plus en plus a son aise.

La porte secrète s’entrouvrit, puis laissa passer la princesse Amélis di Lombardi. Elle tenait un petit chandelier qui projeta une douce lumière. Ludwill, resté dans l’ombre, laissait durer l’attente.
Lorsqu’elle prit enfin conscience de sa présence, la princesse faillit pousser une exclamation de surprise. Fort heureusement, elle ne laissa échapper qu’un faible couinement de souris avant de refermer vivement la porte derrière elle.

Le sourire aux lèvres, Ludwill se rapprocha de la jeune fille d’un pas félin, sans la lâcher des yeux. La flamme de la bougie rehaussait l’éclat de son teint halé. Ses cheveux avaient l’apparence d’une cascade d’or et les pierres précieuses qui ornaient sa robe brillaient comme les premières étoiles d’un ciel pourpre. Le valet faillit s’émouvoir de tant de beauté, mais ce n’était pas pour se contenter de l’admirer qu’il l’avait faite venir. Au moins, il ne manquerait pas d’inspiration pour lui dire des mots doux.

- Je suis heureux que vous soyez venue, déclara Ludwill avec un timbre de voix plus grave qu’à l’accoutumée. Vous me faites un grand honneur en ayant accepté ma requête.

La princesse baissa les yeux, un sourire géné sur ses lèvres vermeilles.

- Je n’aurai pas eu le cœur de refuser, Monsieur. Vous avez été si généreux de m’avoir tenu compagnie alors que je ne connaissais personne. Il y a bien longtemps que je n’avais pas profité d’une conversation aussi… passionnante. Vous savez, dans mon pays, les hommes de la cour sont bien trop prévisibles. Leurs paroles ne sont jamais accompagnées d’actes.

Une vierge frustrée… c’était parfait. Ludwill comprennait mieux à présent pourquoi elle avait accepté si facilement ce rendez-vous secret. Il l’imaginait bien : petite princesse gatée, entourée de séducteurs incapables d’agir par peur des conséquences. Le jeune homme, lui, ne s’en était jamais soucié.

- Je pense pouvoir vous apporter un agréable changement, en ce cas…

Le valet s’était rapproché de la princesse, suffisamment pour sentir la chaleur de la flamme qui vacillait sous ses tremblements. Il saisit le chandelier en prenant soin d’effleurer délicatement la main de la jeune fille, qui ne put s’empêcher de déglutir.
Ludwill posa ensuite l'objet dans une ouverture sur le mur. Il fixa son regard dans les yeux de la princesse, avant de détailler ses épaules nues et sa poitrine. Elle ne semblait pas très à l’aise, respirait fort et tournait la tète pour dissimuler un profond embarras. Le valet comprit qu’il allait peut être trop vite en besogne.

- Vue de près, votre robe est encore plus belle, dit-il pour alléger une atmosphère alourdie.

- Vous l’aimez ? Répondit Amélis, soudainement plus enjouée. Vous n’allez peut être pas le croire, mais je l’ai brodée moi même ! J’aurai bien voulu pouvoir la coudre comme mes autres robes, mais mon père a insisté pour que notre couturier officiel l’assemble, car il souhaitait une coupe plus… classique. D’ailleurs, j’ai bien cru reconnaître que le prince portait un habit très similaire aux hommes de ma cour. Il faut dire que la renommée de ce couturier s’étend dans tout le monde éclairé et je ne serai pas surprise que d’autres monarques fassent appel à ses services…

Ludwill eut toutes les peines du monde à ne pas perdre patience. Qu’est ce qui lui avait pris de lui parler de sa robe ? Il avait déclenché un nouveau monologue, la princesse ayant passé une grande partie de la soirée à commenter les robes des autres prétendantes, s’attardant sur les moindres détails. Le valet estimait qu’il avait largement entendu parler chiffons pour les quatre jours à venir, d’autant plus que, enflammée par sa passion, la jeune fille s’était mise à parler plus fort. Il lui saisit donc la main, avec assez de douceur pour ne pas la brusquer, mais avec assez de fermeté pour détourner son attention.

- Je vous en prie, votre Altesse, chuchota Ludwill en se posant un doigt sur le menton. Ne parlez pas si fort. Vous pourriez alerter les autres de notre présence.

- Oh, vous avez raison, souffla la princesse dans un embarras sincère. Pardonnez-moi. Dès que je me met à parler de couture, le monde autour de moi disparaît.

Ludwill n’en doutait pas un seul instant. Il avait connu beaucoup de femmes bavardes, mais la princesse Amélis les surpassaient toutes. Cela n’aurait pas été un défaut en soi s’il avait été moins difficile de recentrer le sujet vers ce qui l’intéressait, lui. Il lui avait fallu longuement user de ses talents d’improvisateur pour ne pas donner l’impression de passer brutalement du coq à l’âne.

- Ne vous excusez pas, la rassura Ludwill. Un tel entrain montre que vous avez une passion dans la vie. C’est tout à fait admirable.

Amélis baissa les yeux et sourit à pleine dents. Son visage enjoué avait pourtant pris une teine mélancolique que le valet avait souvent observé chez Théandre.

- Vous êtes le premier à me dire cela, Monsieur. A la cour de mon père, cette passion est perçue au mieux comme un passe temps frivole, au pire comme une besogne de roturière qui ne servirait qu’à m’abîmer les mains.

Ludwill sentit son coeur se serrer de colère. De tels commentaires lui rappellaient comment les membres de la noblesse percevaient sa mère, la couturière officielle de sa troupe de théatre. Il l’avait toujours vue faire de l’or avec ses doigts à force de courage et de persévérance, ce qui lui paraissait mille fois plus honorable que les pathétiques loisirs dont les nobles se vantaient à la moindre occasion. Un instant, il faillit oublier qu’il était devenu le baron de Chablis, qui ne connaissait rien à la valeur du travail du peuple. Il se contenta donc de sourire tout en saisissant délicatement l’autre main de la princesse.

- Ma famille attend sûrement de moi que je sache me préserver le plus longtemps possible, avait-elle repris. Du moins, en attendant mon mariage. Je voudrais simplement que ma vie ne soit pas faite uniquement d’interdictions. Comprenez-vous ?

Amélis avait levé les yeux pour mieux croiser le regard de Ludwill. Le jeune homme pressentit qu’il s’agissait d’une excellente occasion d’accélérer un peu les choses : cette petite princesse était visiblement curieuse de connaître ces fameux interdits.

- Nul ne peux le comprendre mieux que moi, votre Altessse, répondit Ludwill sur un ton faussement bienveillant. Nos vies sont toutes deux faites de contraintes si envahissantes qu’elles nous privent des joies simples, mais primordiales de l’existence. Et pourtant, n’avons nous pas une seule vie ? Pourquoi n’en profiterions-nous pas ?

Le valet pris bien soin de cloturer ce pathetique discours pseudo-philosophique par un de ces regards lourds de sens dont il avait le secret. Afin d’être certain que la princesse comprenne où il voulait en venir, il se permit de caresser ses douces mains du bout des doigts. Elle sembla réceptive à ce geste, puisque sa poitrine se soulevait sous l’effet d’une respiration plus intense.

- Vous dites vrai, Monsieur. Il faut en profiter, déclara la princesse avec assurance.

C’était le signal. Ludwill ne put retenir un soupir d’aise, moins en réaction à la montée du désir qu’au soulagement d’être débarrassé d’une conversation assommante. Il pouvait enfin faire ce qu’il savait faire de mieux : séduire et conquérir.

Il leva doucement sa main pour venir effleurer le cou d’Amélis. La princesse le prit de court lorsqu’elle se précipita pour coller les lèvres sur les siennes, entourant ses épaules de ses bras dans un bruissement de tissu. Une telle fougue ne désempara pas le jeune valet qui saisit la jeune fille par la taille pour la plaquer contre le mur. Le geste était assez fort pour couper le souffle de la princesse, mais assez doux pour ne pas l’effrayer. Livrée à la merci des baisers et des caresses de Ludwill, Amélis s’abandonnait totalement. Ses gestes devenaient plus lents, plus mous. Le valet avait la sensation de lutter pour la garder debout.

Alors qu’il s’abaissait pour profiter de la profondeur du décolleté de la jeune fille, Ludwill se saisit d’un pan de sa robe pour la soulever.

- Non... attendez ! glapit Amélis.

Ludwill masqua sa frustration sous un masque d’inquiétude. La conquète ne serait peut être pas si simple en fin de compte… Il interrompit immédiatement son geste et releva la tète.

- Que se passe-t-il, votre Altesse ? Me trouvez vous trop brutal ?

- Oh non ! Enfin… ce n’est pas le problême… balbutia la princesse en luttant pour reprendre son souffle. C’est simplement que… je pense savoir ce qui va se passer maintenant et… pour tout vous dire, j’ai peur que les conséquences finissent par se remarquer. J’ai déjà vu ça arriver à ma femme de chambre.

Ludwill comprit les insinuations de la jeune fille. Sa stupidité avait donc des limites ! Heureusement, il s’agissait là d’un problème facile a contourner pour qui avait l’expérience des corps féminins.

- Soyez sans crainte, susurra le valet en caressant la joue de la princesse. Il existe bien des façons de… profiter de tels instants sans subir les conséquences auxquelles vous faites allusion.

Le visage d’Amélis s’illumina, son inquiétude balayée comme la fumée dans le vent : « C’est bien vrai ? »

Ludwill lui offrit son plus beau sourire, puis s’agenouilla de nouveau : « Laissez-moi vous montrer... ».

Les défenses de la jeune fille enfin tombées, le valet s’engouffra à l’intérieur de sa robe, bien préparé à donner la preuve de son adresse.

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