V - Chapitre 1

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Assis dans le canapé de sa chambre, Théandre profitait de quelques minutes de répit en attendant son prochain rendez-vous. Cela faisait maintenant deux jours que les rencontres individuelles avec les prétendantes s’enchaînaient à un rythme effréné. La journée précédente, le prince avait du faire face à sept jeunes filles, tout en veillant à leur proposer des activités susceptibles de leur plaire. Pour une personne aussi introvertie que lui, un tel enchaînement d’interactions sociales relevait du calvaire.

La fatigue provoquée par ces rendez-vous avait eu au moins un mérite : celui de lui avoir fait retrouver le sommeil. Suite au dîner désastreux en compagnie de sa mère, il n’avait pas réussi à fermer l’oeuil, mais cette journée de rencontres l’avait assommé, une fois la nuit venue. A cet instant, Théandre se sentait mieux préparé à affronter de nouveaux rendez-vous, malgré la colère froide qui l’habitait toujours.

Les mots de sa mère avaient, une fois de plus, anéanti son espoir d’avoir le moindre contrôle sur sa vie. Le prince savait qu’une épouse choisie hâtivement serait forcément décevante, mais il n’avait pas pensé à l’éventualité que d’autres pourraient réellement faire ce choix pour lui. Durant sa nuit blanche, Théandre avait maudit sa naïveté. Comment avait-il pu croire que sa mère lui laisserait choisir quoi que ce soit ? Depuis sa naissance, il n’était que son jouet, un petit pantin bien docile dont elle tirait les fils, controlant ses gestes, ses paroles, et maintenant, ses relations.

Par chance, elle n’avait pas encore écarté Ludwill de sa vie, sans doute parce qu’elle ne le jugeait pas assez menaçant. A l’inverse, elle limitait ses interactions avec les autres membres de la noblesse au minimum, saturant ses journées de cours et d’entraînements lorsque des personnages de marque venaient en visite. Quant au Haut Prêtre de l’Ordre Céleste, la reine n’avait jamais voulu que le prince s’approche de lui.

Théandre pensa qu’il devait plutot se réjouir d’avoir l’occasion de parler à autant de jeunes filles, pour une fois qu’on le laissait faire, mais c’était impossible. Il n’arrivait pas à apprécier le temps passé avec elles, même si certaines se révélaient charmantes. Maintenant qu’il savait que son choix n’aurait aucun poids face à celui de la reine, tous ces efforts lui paraissaient encore plus vains. Il avait pensé à s’enfermer dans sa chambre et refuser tous les rendez-vous, se contentant d’attendre le verdict final. Cela aurait été bien plus simple et aurait permis d’apporter un peu d’honnêteté dans ce maudit château. Toutefois, cette réaction aurait été puérile et égoïste. Théandre estimait qu’il avait mieux à offrir que du mépris affiché à ses prétendantes, qui n’avaient aucune responsabilité dans cette affaire.

En attendant l’appel du majordome qui l’avertirait de son nouveau rendez-vous, le prince réajusta ses vêtements et arrangea sa coiffure. En temps normal, Ludwill aurait du s’en charger, mais cela faisait bien longtemps que le valet ne venait plus dans sa chambre pour faire son travail. Le plus souvent, il se comportait comme un invité, se vautrant sur le lit et partageant le récit de ses journées aventureuses avec le prince. Théandre regrettait l’absence de son ami. Il trouvait toujours les bons mots pour le faire rire, ou lui donner du courage. En cet instant, alors qu’il sentait sa vie et tout espoir de bonheur filer entre ses doigts, le jeune prince aurait eu besoin de l’assurance et de l’optimisme de son valet. Il aurait pu avoir un aperçu de ce qu’était la liberté avant de faire face au devoir.

Mais c’était bien parce que Ludwill, lui, était libre qu’il était absent aujourd’hui. Théandre avait beau chercher à le protéger, il ne pourrait jamais lui ôter ce qui le rendait unique : son goût du risque et son mépris des conventions. Il lui faudrait donc accepter de passer ces moments difficiles seul. Quatre jours de solitude, seulement. Rien de bien insurmontable, en vérité.

Malheureusement, le prince ne pouvait s’empêcher de réfléchir à la suite des évènements : la femme que la reine lui donnerait ne serait certainement rien d’autre qu’un conseiller de plus, mais sous la forme d’une jeune fille. Quel meilleur moyen de le surveiller, jusque dans ses retranchements les plus intimes ? Que deviendrait son amitié avec Ludwill si c’était bien le cas ? Il devrait s’abstenir de passer ses soirées en sa compagnie et devrait peut être même se contenter de le traiter comme un simple valet… Cette pensée lui était insupportable.

Théandre se devait pourtant d’être réaliste : ses fiançailles changeraient sa vie. Au cours des quelques mois précédent le bal, il avait pu se renseigner sur le comportement attendu d’un prince héritier envers sa fiancée. Il devait passer une grande partie de son temps avec elle, assister aux mêmes cours, partager leurs heures d’étude ainsi que leurs repas. Seuls l’escrime et le coucher constituaient deux activités séparées, puisque les femmes n’étaient pas autorisées à manier l’épée et que de simples fiancés ne pouvaient pas partager le même lit. Le jeune homme ne voyait pas comment il pourrait consacrer un seul instant aux rares choses qui lui apportaient du bonheur. Il considérait qu’il avait bien assez de présences étouffantes autour de lui sans un rajouter une autre, qui plus est, une personne qui finirait par faire partie de sa famille.
Après dix-sept années passées à subir les manigances et les exigences de son entourage, Théandre songeait qu’il aurait mieux fallu essayer de s’y habituer, peut être même commencer à apprécier toute cette attention qui lui était apportée. Il voyait bien que les autres nobles, eux, n’avaient aucun problème à accomplir leurs devoirs, persuadés de leur propre importance, ils devaient se dire que tout cela était fait dans l’intérêt de leur sang, et donc, de leur confort. Le prince aurait aimé pouvoir ne pas accorder autant d’importance aux taches qu’on lui imposait. Il aurait voulu pouvoir éteindre cette voix dans sa tète qui le poussait à s’inquiéter pour tout, mais c’était plus fort que lui. Chaque évènement qui le rapprochait du trône était une source de souffrance, sans qu’il ne puise en expliquer précisément la raison.

Certes, son amitié avec un membre du bas-peuple avait une influence certaine sur sa façon de considérer le pouvoir, mais il y avait autre chose, une certitude qui s’apparentait à un instinct primaire… un besoin profond de fuir tout ce qu’il avait connu jusqu’à lors pour retrouver… il ne savait pas. Tout devenait confus à chaque fois qu’il tentait d’y réfléchir.

Trois coups contre la porte l’avertirent qu’il était temps d’accélérer sa préparation mentale. Le majordome venait le chercher. Le jeune prince fournit un ultime effort pour se tenir droit, exerça ses zygomatiques à équisser un sourire qui ne soit pas trop forcé, puis partit à la rencontre de sa nouvelle prétendante.

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