V - Chapitre 2

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- Surtout, n’oubliez pas : compte tenu de votre rang, vous ne pourrez pas vous adresser à son Altesse le prince en premier. Veillez toujours à ce que ce soit lui qui commence à vous parler avant de répliquer. J’imagine qu’il est inutile de vous rappeler que vous devez, en revanche, être la première à vous incliner…

Fiona acquiesça de la tète, manifestant son agacement par un sourire pincé. L’organisatrice avait insisté pour l’accompagner vers le lieu du rendez vous avec le prince Théandre. La jeune duchesse ne se souvenait pas que les autres prétendantes aient bénéficié du même traitement. Dans son cas, il avait pris une tournure infantilisante, voire parfaitement humiliante. Néanmoins, soucieuse de faire bonne impression auprès d’une personne jouissant visiblement d’une certaine influence, Fiona avait choisi de ne pas s’en plaindre ouvertement.

Il fallait dire que son apparence ne donnait pas à penser qu’elle put être familière avec les usages d’une cour royale. N’ayant pas jugé utile d’accorder le même soin vestimentaire pour un rendez-vous que pour un bal, Fiona avait revêtu une simple robe noire en laine ornementée d’une fine ceinture d’argent et de labradorites. De telles pierres étaient rares et précieuses dans son pays, mais ici, leur éclat était pâle en comparaison des diamants et des saphirs que portaient les jeunes nobles plus fortunés.

La jeune duchesse pensa qu’elle ne pouvait donc pas en vouloir à l’organisatrice de partir de principe que ses mœurs étaient digne d’une paysanne des montagnes, et qui lui faudrait l’éduquer brièvement avant qu’elle ne cause un incident diplomatique par sa conduite. Quelque part, ses remarques incessantes partait d’une bonne intention : on voulait sans doute lui éviter un trop grand embarras. Fiona avait donc décidé de ne pas y accorder trop d’importance. Elle avait bien d’autres soucis en tète.

Une fois passée la porte menant vers la cour intérieure, la jeune femme et l’organisatrice entrèrent dans un jardin. Le temps, pourtant hivernal, y était encore très doux. De fins nuages blancs couvraient le soleil, créant ainsi une lumière subtile qui rehaussait à merveille les nuances vertes des plantes. Ici et là, des oiseaux ou se faufilaient dans les branches en quête des derniers insectes vivants. Fiona observait tous ces détails avec attention, le sourire aux lèvres. C’était toujours une telle libération de voir autre chose que de la roche…

- Superbe, n’est-il pas ?

L’organisatrice s’était approchée sans un bruit ? Fiona ne put s’empêcher de sursauter au son de sa voix.

- Ce jardin existe depuis de nombreuses générations. Notre reine bien aimée vient souvent s’y ressourcer. C’est un endroit très calme, très reposant. Ce sera parfait pour un rendez-vous.

Alors ce serait ici. La jeune duchesse n’avait évidemment pas eu le choix du lieu ou de l’heure. On lui avait demandé d’attendre dans sa chambre que l’on vienne la chercher. La journée précédente avait été terriblement longue. A son grand étonnement, la princesse Amélis avait été avare de paroles, préférant regarder par la fenêtre, l’air rêveuse, de nombreuses heures durant. Étant la princesse d’un royaume puissant, elle avait eu droit à une rencontre avant toutes les autres et pourtant, lorsque Fiona lui avait demandé comment elle s’était déroulée, Amélis avait bafouillé des banalités, son visage trahissant une honte immense. Le lendemain matin, elle avait trouvé un prétexte quelconque pour quitter le château, emportant ses serviteurs et son immense carrosse doré pour rentrer chez elle.

Bien qu’elle s’en fut d’abord étonnée, Fiona n’avait pas eu besoin de beaucoup de temps pour percer le mystère de cette disparition soudaine : ce baron de Chablis avait visiblement réussi à la soustraire au prince. Quelle autre raison aurait pu avoir la princesse de s’absenter de leur chambre commune pendant plus d’une heure pour se comporter d’une manière aussi inhabituelle par la suite ? Stratégiquement parlant, cette liaison était une véritable aubaine. Fiona voyait disparaître subitement une rivale. Humainement parlant, cependant, cette affaire avait quelque chose de tragique : Amélis devait avoir le sentiment d’avoir trahi sa famille. La jeune duchesse ne pouvait que compatir.

Le moment n’était pourtant pas propice à la compassion. Dans l’espace qui séparait la longue rangée d’arbres fruitiers, on pouvait distinguer la silhouette du prince Théandre, accompagné du majordome, qui avançait en direction de Fiona.

- Le voici… chuchota l’organisatrice. Pensez à tout ce que je vous ai dit et tout ira bien !

L’expression de la femme était à la fois empreint d’inquiétude et de bienveillance. La jeune duchesse ne parvenait toujours pas à dire si ces sentiments étaient sincères ou motivés par la crainte d’un faux pas.

Le prince Théandre était proche, à présent. D’un regard appuyé, il congédia le majordome, suivi de l’organisatrice. Suivant les recommandations de cette dernière, Fiona s’inclina profondément en fixant ses pieds. Théandre exécuta à son tour une révérence. La main posée sur le cœur. Il releva la tète et lui sourit.

- Je suis enchanté de vous revoir, Madame, dit-il d’une voix calme.

- Moi de même, votre Altesse, répondit Fiona du tac au tac, bien trop précipitamment à son goût.

La duchesse se sentit aussitôt gênée, son cœur se mettait à cogner dans sa poitrine tandis qu’elle observait le prince. En plein jour, elle pouvait distinguer plus nettement les traits de son visage. Il n’était certes pas aussi beau que le baron de Chablis, mais quelque chose lui conférait bel et bien un certain charme. « Les yeux. Ce soit être les yeux. »

Il était également bien mieux vétu que ne l’était Fiona. Ses vêtements étaient moins élaborés et voyants que ceux qu’il avait porté pendant le bal, mais les tissus précieux taillés sur mesure de son ensemble bleu nuit faisait honneur à la hauteur de son rang. Une fois encore, la jeune duchesse eut honte de ne pas pouvoir en dire autant.

Il s’ensuivit quelques secondes d’hésitation, où les deux jeunes gens ne surent comment entamer l’heure de leur rendez-vous. Fiona s’estima heureuse de ne pas devoir être la première à parler. Elle n’avait jamais été douée pour démarrer une conversation.

- Cet endroit vous convient-il ? Demanda Théandre. Je craignais que le temps froid ne soit pas propice à une sortie.

- Il me convient parfaitement, votre Altesse, répondit Fiona. Je suis habituée à un climat bien plus rude.

Le prince sourit, amusé par cette remarque : « Vous venez des montagnes du Nord, est ce bien cela ? Si c’est le cas, je ne doute pas que notre pays doit vous paraître chaud. »

La duchesse sourit en haussant les sourcils, approuvant les paroles du prince. Elle s’amusait à comparer sa situation présente à celle des pires hivers qu’elle avait connus. Elle aurait pu dire que le temps ici était parfait pour un bain en extérieur, mais la plaisanterie aurait été de mauvais goût. Elle décida de la garder pour elle.

Sans répartie de la part de Fiona, Théandre se mit à regarder nerveusement autour de lui. Ce détail n’échappa pas à la jeune femme, qui fixa de nouveau ses pieds pour lui éviter trop d’embarras.

- Voulez-vous visiter le jardin ? Proposa Théandre, comme frappé d’un éclair de lucidité. Il n’est pas très grand, mais il est bien entretenu.

- Avec grand plaisir, votre Altesse, répondit Fiona en hochant la tète.

Ainsi, le prince et sa prétendante marchèrent le long du petit sentier de pierres blanches, ponctuant leurs observations de la flore et de la faune par de courtes discussions. Les sujets abordés étaient trop changeants pour que la conversation ait un véritable sens, mais Fiona ne s’en souciait pas. Au contraire, elle trouvait assez miraculeux de pouvoir parler avec ce jeune homme malgré la position d’extrême inconfort dans laquelle ils se trouvaient tous deux. Une pression invisible à l’oeuil, mais d’une force titanesque les écrasait, comme s’ils pouvaient entendre leurs parents et leurs peuples respectifs les invectiver à chacun de leurs pas, à chacune de leur paroles. Le simple fait de pouvoir faire abstraction de tout cela l’espace d’une promenade était déjà une prouesse.

La jeune duchesse était également heureuse que le prince ait pris le temps de se soucier de son confort. Évidemment, il ne fallait pas prendre cela comme la marque d’un intérêt particulier envers sa personne, mais elle apprécier grandement qu’il trouve assez d’énergie et de patience pour rester courtois malgré cet enchaînement impitoyable de rencontres. Son éducation avait été manifestement exemplaire.

Au bout de quelques minutes, Fiona sentit une odeur étrange, qu’elle reconnaissait pourtant. Une odeur qu’elle avait sentie dans son enfance. Après quelques coups d’oeuil discrets, elle en identifia la source : une plante aux feuilles en forme de plume, qui poussait sur un treillis. Ses yeux s’écarquillèrent lorsque son nom lui revint en mémoire. « De la verveine ! »

- Qu’il y a t’il, Madame ? Demanda Théandre, à qui cette excitation soudaine n’avait pas échappé.

Embarassée, la jeune duchesse ne sut comment justifier cet intérêt démesuré pour une simple plante, alors que le prince devait faire l’objet de toute son attention. Il fallait pourtant bien trouver quelque chose à dire… Dans le doute, Fiona préféra présenter les choses telles qu’elles l’étaient.

- Je vous prie de m’excuser, votre Altesse. Simplement, j’étais fascinée par ce plant de verveine. Il n’en pousse jamais par chez moi.

Fiona s’attendait à ce que le prince lui sourie poliement, puis oriente la conversation vers un nouveau sujet. Cependant, il n’en fit rien. Il s’approcha de la plante odorante pour l’observer de plus près.

- Je vois. De nombreuses plantes aromatiques ont été plantées dans ce jardin. Les serviteurs s’en servent pour préparer des tisanes et des plats.

La jeune duchesse sentit un large sourire se dessiner sur son visage. Elle imaginait quel bonheur ce pouvait être de pouvoir profiter d’herbes fraîches tout au long de l’année. Dans les cuisines du château ducal, toutes les plantes étaient séchées et conservées dans des bocaux. Comme il n’y avait pas eu de réapprovisionnement depuis plusieurs années, les réserves diminuaient à vue d’œil.

L’enthousiasme de la duchesse sembla déteindre sur le prince, qui lui proposa de bon cœur :

- Souhaitez vous que nous les observions ensemble ?

A ces mots, Fiona ne put s’empêcher de fixer Théandre droit dans les yeux. Elle savait qu’il s’agissait d’un manquement à l’étiquette mais, en cet instant, sa gratitude était trop grande pour n’être manifestée qu’a travers des mots. Néanmoins, elle se ressaisit rapidement et hocha la tète.

- J’en serais honorée, votre Altesse.

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