10.
Cher Monsieur Legrand,
Voici une petite lettre pour vous annoncer que vous n'avez plus de fils.
Malheureusement pour vous, celui-ci n'est ni mort, ni parti. Il a simplement décidé d'arrêter de vous parler pour un temps. Pour un temps très long, je pense.
D'ailleurs ce n'est pas votre fils qui vous écrit. C'est son copain, l'homme de sa vie. Le connaissant bien, je peux vous affirmer que cette décision est bien arrêtée.
Maintenant, il me semble quand même normal de vous expliquer ce brusque arrêt de relation. Si vous arrivez à vous en rappeler, vous devriez réécouter la conversation de la soirée d'hier soir.
Si vous vous souvenez bien, mon cher petit ami (votre ancien fils) est venu chez vous avec moi pour me présenter à la famille après sept ans de relation que j'espère pouvoir qualifier de durable.
Dans votre immense gentillesse, vous vous êtes retenu de tout commentaire devant nos mains croisées. Vous pensiez peut-être que nous étions deux bons amis.
C'est au dessert que tout s'est gâté. Vous veniez de servir votre "magnifiquement originalement fabuleusement délicieusement bon" tiramisu... Enfin selon votre fils. Sans vouloir vous vexer, je crois bien que cette avalanche de compliments venait de son inquiétude.
Au milieu de son gâteau, il a courageusement posé sa cuillère, et s'est mis à parler. Il a parlé de notre rencontre dans un café avec nos amis communs, de notre coup de foudre respectif, de notre seconde rencontre au cinéma, de notre troisième rendez-vous à la patinoire, de nos rires, de notre amour, de tout.
Je ne crois pas que ce sera utile de vous retranscrire vos insultes envers votre propre fils, et envers moi. Disons simplement que vous avez copieusement arrosé de votre salive l'assemblée "dégénérée" (selon vos propres mots), c'est à dire votre ancien fils et moi. Je crois bien que vous avez fini par nous mettre à la porte une bonne dizaine de minutes plus tard, une fois essoufflé et assoiffé.
Nous avons laissé sur la table nos deux tiramisus qui n'étaient plus si bons que ça selon votre ancien fils, et nous avons filé.
Quoi que vous en disiez, mon petit Axel est courageux. Vous ne pouvez pas savoir à quel point. Il a ravalé ses larmes et n'a rien dit. Il a simplement fait une blague sur votre cuisine avec une voix pâle, et s'est tu.
Je pense que vous ne méritez pas d'en savoir plus.
Votre dévoué,
Samuel.
P.S. : Pour vos prochains invités qui risqueraient de faire leur coming-back, évitez de servir le repas avant qu'ils vous le disent. Ça vous épargnera des dépenses inutiles.
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