Chapitre VIII

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Le hall de son immeuble n’avait pas changé. Toujours aussi gris, déprimant et relativement propre –bien qu’un clochard ait vidé ses intestins contre le mur entre temps–. Alex jeta un bref coup d’œil à la tour d’à côté. Son hall était recouvert de jus d’ordures. Les déchets donnaient l’impression qu’ils vomissaient sur le trottoir. Cet horrible mélange macérait et semblait attirer du monde puisqu’un rat était en train de le lécher avec gourmandise.

L’adolescent jeta également un regard à l’HLM de l’autre côté. Le même spectacle. Puis il observa son hall à nouveau. Les poubelles étaient dans des sacs bien rangés et accrochés en hauteur pour empêcher les rats de s’installer. « J’suis quand même bien née » se dit-il. Un endroit presque propre dans une décharge où même les mouettes n’osaient s’aventurer.

Il monta les escaliers légèrement humides, sans être glissants pour autant. Sa mère venait probablement de les nettoyer. Une fois à son étage, une bonne odeur de produit ménager lui caressa le bout du nez. Un air sans fumée, sans cadavres et sans ordures, seulement rempli de produits toxiques essayant tant bien que mal de reproduire des senteurs naturelles imaginaires. Alex ouvrit la porte de son appartement et y vit sa mère qui était en train de nettoyer un vieux jean troué dans une bassine en fer. C’était une femme qui avait pour habitude de toujours sourire, mais les évènements de la veille lui avaient arraché cette coutume qui lui était si chère.

Quand elle vit son fils entrer, elle le regarda droit dans les yeux et esquissa un rictus. Alex balança un mot froid et dépourvu d’émotions dans la pièce : « Rebonjour ».

Il était fatigué. La nuit avait été courte et pleine de cauchemars, tous aussi morbides les uns que les autres. Et la journée n’avait pas réellement amélioré les choses. Cette dernière n’allait pas tarder à toucher à sa fin. L’adolescent devait donc aller à l’appartement de son ami –qu’il avait choisi comme prochain objectif dans son enquête– avant la tombée de la nuit. Mais rien ne pressait, trois heures pour marcher dix minutes aller-retour, c’était bien plus qu’il n’en fallait.

Alex se sentait toujours terriblement mal par rapport à la mort de son meilleur-ami. Cela pouvait se traduire par des migraines, des maux de ventre, de la fièvre. Parfois les trois en même temps. Et quand quelqu’un allait mal, la Ville le sentait. Il suffisait d’une seconde de faiblesse et n’importe quel habitant pouvait se retrouver coursé par des chiens ou par des violeurs. Même si la différence entre les deux était très mince. Cet endroit, tel un loup, sentait la peur de ses proies et en profitait pour les attaquer afin qu’elles ne se relèvent jamais.

« Bonjour », répondit-elle d’une voix chaude et faussement joyeuse tout en dessinant un sourire d’ange sur son visage pour essayer d’illuminer la journée de son fils. Ils se regardèrent un court instant, puis elle se remit à frotter frénétiquement le jean en comprenant que son fils n’avait pas envie de parler. Il alla donc dans sa chambre en trainant les pieds. Il adorait sa mère, elle arrivait à l’écouter quand il le fallait, mais aussi à le laisser seul quand il en avait besoin. Et là il en avait terriblement besoin pour mettre de l’ordre dans tout le bordel qui tournait dans son crâne et dans sa vie.

Alex s’écroula sur son lit tel un cadavre fraîchement abattu, s’allongea sur le dos et fixa le plafond blanc. Non, plutôt gris. Il tenta de chasser toutes les nouvelles horreurs qu’avaient pu enregistrer son cerveau, mais essayer de faire le vide dans sa tête ne fit qu’empirer les choses. Il avait l’habitude de tout ça. De la mort, de son odeur et de son visage. Mais il avait toujours espéré ne jamais la voir recouvrir Max de son voile noir.

Il se pencha puis passa une main sous son lit pour attraper une petite boite métallique. La boite avait des griffures et des bosses un peu partout, témoins d’une vie passée très mouvementée. Il l’avait récupéré après avoir aperçu quelque chose briller dans une ruelle. Et comme l’aurait fait une pie, il avait ramassé l’objet pour le ramener dans son nid.

Il l’ouvrit pour en sortir un joint qu’il avait soigneusement roulé quelques jours plus tôt. Il y en avait trois autres dans la boite, accompagnés de feuille et d’un grinder. Alex renifla la douce odeur de l’herbe qui picota ses narines, puis mit le bout entre ses lèvres. Pas de filtre, juste de l’herbe pure enroulée par une feuille de mauvaise qualité. Il prit son briquet noir et alluma l’autre extrémité. Après quelques secondes, une légère fumée s’échappa et l’herbe commença à se consumer lentement, libérant son pouvoir ancestral.

L’adolescent remplit ses poumons de ce nuage magique, le bloqua, puis l’expira. Il tira une deuxième latte, puis encore une autre pour ressentir les effets le plus rapidement possible. Après quelques minutes, son plafond gris commença à se métamorphoser. Non pas qu’il changeait de couleur ou qu’il se déformait. C’était simplement un gris plus joyeux. Les couleurs de son drap devinrent plus éclatantes et les posters aux murs semblèrent briller. Il se sentit enfin relaxé, enfin détendu. Il se sentait bien. Les mauvais esprits s’étaient enfuis, chassés par ce médicament –plus ou moins– naturel. L’adolescent prenait son temps, savourant cette clé de papier qui le libérait de sa cage de béton.

C’est l’esprit moins lourd et la tête reposée qu’il finir par se lever après avoir profité de son libérateur jusqu’à s’en brûler les doigts. Alex sortit de sa chambre les yeux vitreux. Sa mère était toujours en train de nettoyer des habits, avec elle aussi un joint dans la bouche. L’odeur lui avait probablement donné envie. Dans cette Ville, il était plus facile de trouver de la weed ou du shit que de la nourriture, donc pourquoi se priver ? Il n’y avait que des effets positifs et de toute manière, avec une espérance de vie autour des vingt ans, les problèmes que cela pouvait provoquer semblaient bien loin pour les habitants.

Une fois dehors, le choc entre l’odeur du propre et celle des ordures lui frappa les narines avec une telle violence qu’il songea à rester à l’intérieur. Mais sa capacité à tolérer ces tortures olfactives avait été démultipliée par la drogue. Certes, la Ville était toujours pourrie et son ami était toujours mort, mais c’était déjà beaucoup plus supportable. Ses pieds prirent la direction de chez Max.

« C’est fou comment une plante nous fais voir la vie différemment. Bon, c’est vrai qu’y a pas que des plantes là-dedans, mais tu m’as compris. C’est pas des produits trop dangereux, sinon ça nous aurait déjà tués. » C’est ce qu’il avait dit un jour à Max alors que les deux amis fumaient assis sur un trottoir.

« ça viendra p’tet. » avait répondu son ami avant de rire.

Mais depuis sa mort, il avait l’impression que ce temps bénit remontait à plusieurs siècles.

Il se mit à marcher dans les rues, toujours dans le même décor qui se répétait en boucle tel un vieux jeu vidéo japonais. Jusqu’au moment où il arriva à l’endroit où tout avait commencé. Ou plutôt, où tout s’était terminé. C’était il y a un peu moins d’une journée, et le sang était toujours au milieu de la route, comme pour rappeler au monde qu’un être humain était mort ici.

Un clochard dormait sur le trottoir qui avait servi de lit de fortune à l’adolescent, sans même se rendre compte que devant lui se trouvait le sang de quelqu’un d’important. Quelqu’un qui avait changé une vie, quelqu’un d’incroyable, d’exceptionnel, une perle rare. Quelqu’un qui ne pourrait plus jamais offrir au monde sa présence, laissant derrière lui beaucoup de blessures que même le temps ne pourrait cicatriser.

Alex rentra dans le hall d’immeuble de Max, puis commença son ascension jusqu’au dernier étage, le quinzième. Même en ayant l’habitude, cela l’épuisa et lui prit plusieurs longues minutes avant de parvenir au sommet. Il toqua par réflexe, mais face au manque de réponse, il dirigea sa main vers l’un des nombreux trous du mur et en sortit un double de la clé, puis ouvrit la porte comme s’il s’agissait de son propre appartement.

Celui-ci ne sentait pas spécialement mauvais, mais il ne sentait pas bon non plus. Les quelques meubles étaient en piteux état, le papier peint se décollait et le parquet était extrêmement usé. Mais cela restait plus propre et mieux aménagé que la majorité des appartements.

On voyait que ses parents faisaient un effort pour vivre dans un lieu un minimum agréable et sain. C’étaient eux aussi des personnes d’une profonde gentillesse, celle-là même qu’ils avaient transmise à leur fils unique adoré.

Alex ouvrit la porte de la chambre de Max. La vue était impressionnante. La hauteur et l’emplacement permettaient de voir au-dessus de nombreux HLM, et on pouvait même distinguer au loin la zone de guerre. Des immeubles à moitié écroulés et des ruines à quelques centaines de mètres des habitants, résultats d’un conflit barbare et centenaire. Alex se demanda un instant combien de cadavres avaient pu joncher le sol de sa Ville. La réponse était probablement bien trop élevée pour que l’adolescent puisse l’envisager.

A part ça, le panorama était assez similaire à tous ceux du labyrinthe. Des immeubles, des rues remplies de déchets, un ciel gris,... Quant à sa chambre, elle était pleine de posters, bien plus que celle d’Alex. Il était assez difficile d’en trouver, surtout en bon état. Principalement des femmes nues, mais aussi des vieux jeu vidéo ou des voitures. Une chambre d’adolescent normale en résumé.

À sa grande surprise, voir la chambre de son ami décédé ne lui provoqua pas d’émotion particulière. Probablement n’avait-il pas encore complètement réalisé la mort de Max. Comme si la vie n’avait pas changé et que le lendemain, il le verrait comme tous les jours avec son sourire lumineux et multicolore.

Maintenant qu’il était là, Alex ne sut pas vraiment quoi chercher. Il s’était dirigé ici sans réelle idée en tête, mais plutôt par manque d’idée. Il n’avait aucun plan précis, mais heureusement, la chance lui sourit pour la première fois depuis bien longtemps. Il vit sur le lit de Max son téléphone portable, branché à une prise murale. Cela le surprit, étant donné que son ami avait l’habitude de le garder en permanence sur lui. Pourtant il était là, comme s’il l’avait laissé exprès à cet endroit pour qu’Alex le trouve. Comme le début d’une chasse au trésor, où la fin l’amènerait au bourreau de son ami.

L’adolescent s’approcha du téléphone, puis le prit dans sa main. Il le déverrouilla comme s’il s’agissait du sien. Le fond d’écran était une photo qu’ils avaient prise ensemble quelques semaines auparavant, où ils se trouvaient à côté d’un SDF qui ressemblait étrangement à Jaden Smith –célèbre acteur–. Cela lui pinça le cœur, mais il tenta de garder son esprit occupé par son enquête. Il remarqua immédiatement l’appel manqué, le sien, qui datait de la veille. Il ouvrit la messagerie pour chercher des réponses, et c’est plus ou moins ce qu’il trouva.

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