Aylyn planta fermement ses pieds dans le sable et tendit son épée devant elle. La jeune fille serra ses mains sur le pommeau jusqu’à s’en faire blanchir les jointures et étudia la position de son adversaire. Penché vers l’avant, le fil de son arme pointé vers elle, il s’apprêtait à s’élancer. Aylyn grogna car les yeux de son opposant était caché par ses cheveux noirs mi-longs et cela l’empêchait, en plus d’admirer leur belle couleur ambré, de déceler à quel moment il allait l’attaquer. Il avança son pied droit et, une impulsion plus tard, il était déjà face à elle l’épée à quelques centimètres de sa poitrine. Dans un grognement elle fit pivoter son épée pour l’entrechoquer avec celle de son adversaire, qui perdit son équilibre. Un rictus sur les lèvres, Aylyn s’élança à son tour, les deux mains sur le pommeau au niveau de ses hanches et la pointe en direction du garçon. Au moment de l’impact il roula sur le côté, laissant l’épée passer à côté de lui et lança vulgairement sa propre arme sur la jeune fille. Fronçant les sourcils elle dégagea d’un coup de poignet la lame, qui termina sa course dans l’herbe calcinée derrière elle, et attaqua le jeune homme désarmé. Il se redressa et d’un claquement de doigt, fit apparaître des flammes démesurées entre lui et elle, la forçant à s’arrêter brusquement. Aylyn grimaça en reculant, esquivant les flammes qui s’approchaient d’elle lentement, par à-coups. Le jeune homme franchit les flammes en courant et d’un coup de coude envoya choir l’épée de la jeune fille, avant de l’attraper par le cou et de la faire tomber au sol sur le dos.

— J’ai gagné, sourit-il.

Aylyn se dégagea d’une tape et toussa en se massant la poitrine. Il venait littéralement de l’écraser contre la terre, sans aucune retenue.

— Je te déteste.

Le jeune homme, dans un rire, parti ramasser son épée et celle d’Aylyn avant de s’asseoir à ses côtés et de lui caresser le dos lentement.

— On s’était dit de ne pas utiliser la magie, Rin, soupira la jeune fille.

— Je n’aurais jamais gagné sinon...

 Elle leva les yeux au ciel et se pencha pour l’embrasser. Rin Elriys y répondit avant de se relever et de tendre sa main à sa compagne. Le sourire qu’il arborait en coin, irrita la jeune femme qui le frappa à l’épaule avant d’attraper l’aide bienvenue, et de récupérer son épée. Aylyn l’examina et fit la moue en la pointant vers le garçon.

— La prochaine fois, fit-elle d’une voix sérieuse, tu éviteras de brûler la poignée avec tes mains embrasées… Je n’ai pas les moyens de la refaire à chaque fois.

 Rin grimaça et s’excusa. Il la regarda partir en amont, la main plaquée dans ses longs cheveux blonds. Bien que son regard descendit plus que nécessaire, il admira la carrure de sa petite amie, qu’il pouvait facilement comparer à celle des Chevaliers-mages, bien qu’elle n’en faisait pas partie. Il se mit en route après elle, rangeant son épée dans l’étui accroché à son dos. Aylyn lui avait déjà fait part que cela nuisait à son bon dégainement, mais il aimait l’allure que cela lui donnait.

Il la rejoignit en quelques pas et lui prit la main qu’elle serra fortement. L’après-midi était sur sa fin, et le soleil commençait lentement mais sûrement à descendre, atténuant la luminosité. Le silence était souvent de mise après un entraînement, et actuellement ils n’échappaient pas à la coutume. Le trajet qu’ils prenaient les dirigeaient vers la maison familiale Freanys, où les parents d’Aylyn attendaient probablement le retour de son exercice, par habitude. Ils marchèrent silencieusement sur le chemin usé, qu’ils utilisaient depuis des années pour se rendre dans la précédente clairière qu’Aylyn avait adoptée comme lieu d’entraînement, entre les arbres décharnés et l’herbe calcinée.

 Rin regarda la jeune fille en coin. Ses longs cheveux blonds emmêlés à la suite de leur combat, coulaient sur ses épaules et ses yeux vairons étaient plongés dans le lointain. Aylyn était souvent perdue dans ses pensées, mais il s’inquiéta en constatant qu’elle l’était de plus en plus souvent ces derniers temps. Il serra maladroitement la main de la jeune fille pour la faire revenir à la réalité et déglutit en voyant son regard si particulier sur lui. Il devait lui annoncer une chose, mais il n’était toujours pas sûr de sa réaction. Comment allait-elle réagir?

— Rin ?

 Il sursauta. Evidemment qu’elle savait qu’il se passait quelque chose. Elle le connaissait.

— Je compte m’inscrire au tournoi Zakkiotaria, déclara-t-il subitement.

 Les pas d’Aylyn ralentirent, avant qu’elle ne se stoppe définitivement. Elle avait la tête baissée et ses mains tremblaient légèrement.

— Aylyn ?

 Il plia les genoux pour apercevoir les yeux larmoyants de sa copine. Comprenant parfaitement, il la prit dans ses bras et la berça pendant quelque instants, le temps qu’elle sèche ses larmes.
La luminosité avait encore baissée, allongeant leurs ombres sur le sol, quand Aylyn releva la tête, un regard déterminé dans les yeux.

— Excuse-moi.

— Tu ne dois pas t’excuser, s’exclama le jeune homme en lui relevant le menton. Ce n’est pas de ta faute.

 Ils se séparèrent et reprirent leur marche. Il se sentait soulagé d’un poids, bien qu’il ait toujours une boule d’angoisse au fond de la gorge. Après tout, il participait à un tournoi que la jeune fille rêvait d’intégrer, mais en était incapable.
Une fois en vue de la barrière qui encerclait la maison familiale, Aylyn s’arrêta et se tourna vers Rin. Leurs mains liées ensemble, leurs yeux se rencontrèrent et la jeune fille prit une grande inspiration.

— Je suis heureuse que tu participe à ce tournoi, affirma-t-elle d’une voix néanmoins tremblante.

— Je le fais en partie pour toi, sourit-il.

 Ses yeux s’agrandirent sous la surprise, incapable de dire le moindre mot.

— Tu m’as fait part de ce rêve, il y a quelques années quand on s’est rencontrés, de participer au grand tournoi de magie qu’est Zakkiotaria… En tant que fils de chef, c’est une des étapes que je dois absolument accomplir pour remplir le rôle qui va être le mien, cela me semblait normal pour toi qui est aussi fille de chef.

 Les tremblements dans sa voix firent sourire Aylyn qui serra plus fortement les mains de son partenaire.

— Alors quand… quand j’ai su que tu était une sans-magie, chose qui n’arrive jamais, j’ai compris pourquoi. Affronter des mages avec ton épée est le seul moyen pour que tu puisse te sentir intégrer n’est-ce pas?

 Toujours silencieuse, elle hocha la tête, des larmes dévalant à présent ses joues.

— C’est pourquoi j’ai décidé de le faire le plus rapidement possible. Pour toi.

 Elle se jeta à son cou en l’embrassant passionnément avant de se hisser sur la pointe des pieds pour atteindre son oreille.

— Je t’aime, mais c’était très niais comme déclaration, chuchota-t-elle.

 Elle éclata de rire sous le regard gêné du jeune homme, et s’écarta de lui en s'essuyant les joues. Elle ne lui avouerais pas, mais c’était la plus belle déclaration qu’elle ait jamais eu. Elle lui reprit la main avant de se diriger de nouveau vers la maison. Rin la suivit sans rien dire et ils pénétrèrent dans une chaleur étouffante. Aylyn s’éventa immédiatement de la main tandis que le jeune homme s’approchait de la cheminée allumée. Accoudés à la table principale, ses parents discutaient à voix basse, n’ayant pas remarqué l’arrivée des jeunes adultes.

 Pendant que Rin diminuait la chaleur émise par le feu grâce à sa magie, la jeune fille s’approcha de la table et y posa soudainement ses mains à plats, surprenant ses parents. Elle ressemblait énormément à son père côté forme du visage et couleur de cheveux, mais ses yeux appartenaient clairement à la famille Freanys, celle de sa mère, l’un bleu et l’autre gris.

— Bonjour !

 Morgan et Ynna Freanys la saluèrent à son tour, cachant maladroitement sous leurs mains leur sujet de discussion. Bien qu’irritée par la réaction de ses parents, Aylyn s’accouda elle aussi à table et les sonda de son regard impassible.

— De quoi vous parliez ? Susurra Aylyn.

— D’affaire d’adulte ! Tu… Sa mère balbutia, trouvant le comportement de sa fille suspicieux. Comment s’est passé votre entraînement? Il se termine plus tôt aujourd’hui.

— Oh eh bien…

 Elle se redressa et passa une main dans ses cheveux. Rin la regarda faire un sourire en coin. Elle n’allait pas avouer si facilement qu’elle avait perdu leur dernier duel… Il s’approcha et posa sans douceur ses mains sur ses épaules musclées. Le sourire malicieux qu’il portait terrifia Aylyn.

— Rin… l’avertit-elle doucement.

— J’ai gagné la majorité des entraînements aujourd’hui !

 La jeune fille se retourna et le frappa, vexée, tandis que ses parents laissaient échapper un léger rire.

— Il m’a prit au dépourvu avec sa magie, bafouilla-t-elle, on s’était convenu de ne pas l’utiliser.

— Dans un combat réel, commença son père, tu ne pourras pas demander à ton ennemi de ne pas utiliser sa magie. Parce qu’elle fait partie de lui. Comme pour nous et Rin.

 Les deux adultes se levèrent et entourèrent de leurs bras la jeune fille.

— Et comme toi, tu n’en a malheureusement pas, tu te dois de montrer que cela ne t’affecte pas, il termina en se détachant de sa fille, une main toujours sur son épaule, tu est bien plus forte que ça. La prochaine fois, même la magie ne t’arrêteras pas.

 Aylyn sourit. Elle était née sans magie dans un monde qui en avait fait un culte. Elle était fille de chef et devait reprendre le flambeau malgré son handicap et le regard des gens, étant fille unique. La jeune fille s’assit à table, Rin à ses côtés et discuta avec ses parents, joyeusement. Ses yeux se détournaient toutefois vers les feuilles froissées qui étaient au centre de la table, celles que ses parents avaient essayés de cacher à leur arrivée. Elle soupira et posa une main décidée sur le tas, sous le regard déconfit et navré des adultes.

— On a essayé de te préserver le plus longtemps possible…

 Fronçant les sourcils, Aylyn s’empara des feuilles et les repassa du plat de la main avant de commencer à lire. Son paternel compris leur erreur quand il vit le visage de sa fille devenir de plus en plus blanc et que, de ses mains tremblantes, elle lâcha le document.
Se doutant du contenu, Rin s’accapara les pages qu’il survola du regard et hocha la tête.

— Ca vient du conseil… Comment vous avez pu l’ignorer si longtemps?

 Ynna s’appuya contre le dossier de sa chaise, le regard dirigé vers Aylyn.

— Mon père en fait parti. J’ai réussi à le convaincre de repousser l’enregistrement avec de nombreuses excuses… soupira-t-elle. Mais je crois bien qu’il ne va pas croire un mensonge de plus.

— Idrias Freanys, l’homme le plus influent de Drigonys et de Dehlia en fait, marmonna Rin. Il ne peut rien faire?

 Morgan regarda Rin et Aylyn tour à tour, avant de se fixer sur le jeune homme. Son coeur se serrait de voir sa fille dans cet état.

— Il n’est malheureusement pas au courant de l’absence de magie de sa petite-fille. Il est extrêmement conservateur, alors savoir que Aylyn est une sans-magie et qu’elle va me succéder à la tête du village d’Avila, ça ne risque pas de lui faire très plaisir…

— Mais il pourrait avoir de la compassion, non?

 Le père secoua la tête négativement, les yeux fermés.

— J’ai eu une certaine chance, on peut dire ça comme ça… Mais comme je viens du royaume voisin, je n’aurais jamais dû devenir chef de village. J’ai eu la chance de rencontrer Ynna qui m’a permis de bien m’intégrer à Dehlia et même de me faire élir chef. Alors pour Idrias, savoir que sa fille est mariée à un étranger est déjà très dur à accepter, voir il ne le fait pas du tout, et si en plus on rajoute l’handicap de sa petite fille…

— Il risque de vous bannir. Même si vous faites parti de sa famille… souffla le jeune homme.

 Ynna hocha la tête, un air triste bien ancré sur le visage. Rin pouvait comprendre ce qu’ils ressentaient tous les trois, ils étaient sous la menace d’une expulsion juste parce que leur fille ne possédait pas de magie, alors que Morgan était chef de village et Ynna fille de conseiller. C’était à se tirer les cheveux. Lui se trouvait être le prochain chef de son village qui se trouvait au pied du volcan Aldar, au nord de leur grande île Drigonys. Le continent était beaucoup plus grand, mais l’île était le plus grand territoire avec le plus grand nombre de mage de feu.
Aylyn redressa la tête, le regard dans le vague. Elle attrapa de nouveau la feuille des mains de Rin et la parcourut des yeux pour la énième fois.

— Je ne peux pas aller me faire enregistrer, ils vont découvrir que je n’ai aucune magie, et ils ne m’inscriront pas sur les listes… Je… J’ai aucun avenir.

 De rage, elle se leva et jeta le document dans les flammes désormais moins ardentes, ses larmes s’évaporant de ses joues, étant proche du feu. Rin se précipita dans son dos et la serra de toute ses forces contre lui.
Il s’était lui aussi enregistré au conseil quelques années plus tôt, pour pouvoir accéder aux titres qui l’attendaient et pour jouir de la citoyenneté adulte, et cela avait été facile. Un petit test magique ainsi qu’un document à remplir et l’affaire était conclus. Mais la partie test, Aylyn ne pourrait pas l’accomplir…
 Il ferma les yeux douloureusement en pensant au fait que sa petite amie pouvait risquer une humiliation de la sorte et que cela se faisait devant tous les autres adolescents venus s’enregistrer. Ils restèrent ainsi plusieurs minutes, Morgan et Ynna ne les dérangeant pas une seule fois, les laissant tranquille, dans ce cocon rassurant qu’était les bras chauds de Rin. Ils se retrouvèrent assis au sol, devant la cheminée, Aylyn toujours collée à la poitrine de son mage de feu, quand des coups puissants retentirent à la porte.
En un battement de cil, la mère de famille se retrouva devant celle-ci enclenchant rapidement la poignée et deux hommes en armure de cuir pénétrèrent rapidement dans la maison, sous le regard outrée d’Ynna.

— Je ne vous ai pas permis…commença-t-elle.

— Alors on se permet.

 Elle haussa les sourcils mais ne put rajouter quoi que ce soit en remarquant l’écusson que portaient les hommes sur leur plastron au niveau de la poitrine. Ynna referma la porte en marmonnant légèrement et se retourna vers les soldats.

— Que puis-je pour vous?

— Je me nomme Toggec Dordran, Lieutenant des Chevaliers de Mespeia et membre du Conseil de la Magie. Voici Kozani Naddore général des Chevaliers et également conseiller, nous venons pour...

— Je sais qui vous êtes et pourquoi vous êtes là! Vous êtes sous les ordres de mon père, on s’est déjà croisé Lieutenant…

 Elle accentua sur le dernier mot, montrant bien son agressivité.

— Effectivement. Nous sommes venus chercher Aylyn Freanys. Elle doit s’enregistrer impérativement sous peine de non-citoyenneté, déclara le lieutenant impassible.

— J’ai envoyé plusieurs missives indiquant qu’elle n’était pas en état de voyager jusqu’à la Capitale actuellement…

— De ce que je vois, elle m’a l’air d’aller plutôt bien.

 Ynna tourna la tête et aperçut Aylyn debout, dos à la cheminée, serrant la main de Rin dans la sienne. Ses yeux étaient bouffis et rouge a force d’avoir pleuré, et elle tremblait légèrement, le mage de feu la soutenant probablement.
Le dénommé Toggec, qui ressemblait à une brute avec ses cheveux coupé court, sa carrure impressionnante et la cicatrice qui lui barrait la joue, s’approcha et attrapa le bras de la jeune fille tétanisée. Rin la retint quelques secondes avant que l’autre ne le pousse en arrière, manquant de le faire tomber de peu.

— Vous devriez avoir plus de respect envers les futurs chef de villages… Vous êtes sous leurs ordres aussi.

— Vous n’êtes encore que des gamins à peine sorti des jupons de leurs mères, s’indigna le chevalier le plus calme. Les chefs sont encore vos parents pour l’instant. Tant que vous n’êtes pas enregistré vous ne pourrez rien.

— Enchanté je m’appelle Rin Elriys et je suis le futur chef d’Aldar de Drigonys, souria le garçon en levant la main.

 Les deux chevaliers bloquèrent un instant, comprenant dans quel pétrin ils venaient de se fourrer, et la brute lâcha Aylyn qui courut se réfugier dans les bras de Rin. Le jeune homme eut un sourire suffisant s’amusant des têtes confuses des chevaliers. Il était, en plus d’être fils de chef, le plus jeune challenger à s’être inscrit au tournoi magique et était répertorié comme l’un des mages les plus puissant de sa région. Malgré leurs titres de Chevaliers, ils savaient parfaitement que le petit avait une magie phénoménale et qu’il était risqué de se frotter à lui.
 Rageant, les chevaliers sortirent à reculons en gardant bien en visuel le garçon. Ils fermèrent la porte derrière eux et Rin et les Freanys soupirèrent de soulagement. Décidément tourmentée, Aylyn tremblait encore dans les bras du jeune homme qui venait de lui gagner encore un peu de répit. Le jeune mage de feu lui caressa les cheveux, pensif. Le temps gagné allait bientôt être consumé, les chevaliers et le Conseil n’en resteraient sûrement pas sur un échec et une humiliation.

Il éloigna la jeune fille de lui et planta ses yeux dans les siens.

— Il va falloir trouver un plan pour que ton enregistrement se fasse sans encombre.