Ce que j’aurais aimé tenter…
Je reprends la suite de l’histoire sordide que Raphaëlle a commencé à vous raconter ! Il y a encore quelques détails à préciser avant de continuer l’histoire principale. Afin que tout soit plus clair il me faut vous raconter une ou plusieurs anecdotes… Enfin, anecdotes importantes tout de même.
Souvent, pour ne pas dire chaque semaine. Avant qu’elle ne vienne vivre dans leur maison, Raphaëlle retrouvait dans sa boîte aux lettres, entre autres pubs et magazines, une lettre. Une lettre du passé. Jamais elle ne les ouvrit. Elle savait de qui elles provenaient. Elle commit l’impair d’ouvrir la première et tomba des nues lorsqu’elle reconnut l’écriture de celui qui avait marqué ses souvenirs au fer rouge et les avaient rendu si douloureux. Il lui écrivait des milliers de mots pour ne dire qu’une chose : je ne te lâcherais pas. A aucun moment il ne s’excusait, à aucun moment il semblait avoir compris la gravité de ses actes. Il se contentait de lui écrire qu’ils l’avaient toujours beaucoup aimé et qu’il ne l’oublierait sans doute jamais. Elle se refusait à croire qu’il était fou pour ne pas céder à la panique de se voir ainsi pourchassé par un esprit malade.
Miraz, sa colocataire de longue date avait assisté à ce manège et ne sachant pas de qui pouvait provenir ces lettres la taquinait souvent « Ah, c’est encore ton admirateur secret ? Pourquoi tu refuses catégoriquement de lui répondre comme ça ? »
Raphaëlle ne répondait jamais rien. Elle se contentait de les enfouir sous les piles de choses qu’elle ne rangeait jamais dans sa chambre. Elle aurait pu tout aussi bien les jeter mais elle les gardait comme pour se rappeler que jamais plus il ne fallait laisser à qui que ce soit l’opportunité de se jouer d’elle ainsi. Comme un immense mémorial de ses souffrances passées.
Sans mauvais jeu de mot, ces manigances auraient pu rester lettre morte si un soir, alors qu’elle était seule dans la maison, elle n’avait pas reçu un coup de téléphone bien étrange. Bien sûr, elle n’avait pas répondu. En grande timide qu’elle était, elle ne supportait pas d’avoir à parler au téléphone. Ce qui était drôle c’est que lorsqu’il s’agissait de Fanantenana c’était tout autre chose. Tout était si facile avec lui. Le répondeur se mit en marche et une voix qu’elle ne connaissait que trop se fit entendre :
« Raphaëlle, c’est moi. Alors voilà, je suis sur Chelles en ce moment. Je ne sais pas si tu as reçu ma dernière lettre…. Je voulais juste te prévenir qu’on pouvait se voir si tu le veux, bien sûr ».
« Si tu le veux » ? Cette audace sémantique l’a mis hors d’elle. C’était lui qui mourrait d’envie de la voir ! Lui et lui seul… Elles refusaient de le voir dans ses souvenirs, alors en vrai…Il avait adopté le même ton que lorsqu’il lui avait dit « tu es fragile ». Cette simple évocation la décontenança pour de bon et elle se mit à pleurer amèrement. Elle éteignit toutes les lumières pour faire croire à quelconque passant de la rue des Dragons que la maison était vide. Elle sentait qu’il se rapprochait, que son piège se resserrait sans jamais se l’avouer. Mais à qui pouvait-elle décemment demander de l’aide ? Miraz ne connaissait pas toute l’histoire. Ses parents étaient encore amis avec lui. . Elle ne parlait jamais de ce genre de choses à ses collègues. Par pudeur, il n’y a des choses qu’on ne dévoile pas aux gens que l’on côtoie tous les jours. La seule personne à être totalement en dehors de cette histoire et qui en savait assez pour la rassurer était Fanantenana.
Elle se connecta au réseau social et écrivit un message rapide à Fanantenana :
_Fanantenana, tu es connecté ??
Il répondit au bout d’une heure seulement. Elle avait eu le temps de se barricader dans son havre de paix qu’était sa chambre, et d’entamer sa deuxième tablette de chocolat :
_Que se passe-t-il ? Il pressentait que quelque chose de très grave arrivait pour elle, jamais auparavant elle n’avait cherché après lui de cette façon.
_Je t’ai déjà parlé de cette personne qui m’a harcelé…
_Il continue ? Tout va bien ? Tu es en danger ?
_Pas immédiatement non, mais je t’avoue que j’ai un peu peur… Pour tout te dire…
_ ??
_Cette personne m’envoie régulièrement des lettres.
_Il te menace ?
_Non pas du tout, elle dit juste qu’elle veut me revoir, que je lui manque et qu’elle ne comprend pas que je ne lui adresse plus la parole
_Je vois que je ne suis pas le seul à qui tu ne parles plus par moment ^^
_Fanantenana, ce n’est pas drôle !
_Désolé… Je voulais te détendre
_Je viens de recevoir un appel sur ma ligne fixe, personne ne l’a dans mes amis/famille. Il a dû me chercher sur internet. Il sait sans doute déjà où je vis. Il est à Chelles en ce moment apparemment… Comme je ne savais pas trop quoi en penser, j’ai ressorti sa dernière lettre
_Tu les as toutes gardées ?
_Oui, je ne voulais pas oublier ce que m’a fait ce chien
_Je ne comprends pas… Tu te fais du mal ? Ou alors c’est lui que tu ne veux pas oublier ? Il a compté pour toi ?
_C’était mon meilleur ami à une époque. Il a clairement profité de moi
_Et tu gardes ses lettres ?
_On dirait que tu fais mon procès ! Je n’ai rien fait de mal moi !
_Non, je me pose des questions c’est tout. Je me demande ce qu’il a bien pu faire pour que tu refuses de l’oublier.
_Fanantenana, il et à Chelles et j’ai très peur. Esquiva-t-elle,
_Si je pouvais je viendrais, mais ne t’inquiètes pas, il n’a aucun intérêt à venir directement chez toi, et tu n’es plus une enfant. Tu sais quoi faire maintenant. Pourquoi tu ne vas pas voir la police ?
_J’irais demain. En attendant, je peux t’appeler ? J’aimerais juste entendre ta voix me racontant ta journée…
_Avec plaisir
« Manao Ahoana ! Ça va aller ne t’inquiètes pas Raphaëlle.
_Raconte-moi ta journée s’il te plaît !
_Bien, alors je me suis levé très tôt pour aider mon oncle à …
Le sommeil fut plus fort et Raphaëlle s’endormit au beau milieu de sa tirade.
Le soleil diffusait ses rayons par les persiennes des stores et Amélie crut bon de se poser sur la tête de sa maîtresse pour la réveiller. Raphaëlle râla après elle, la poussa et lui jeta un coussin. Amélie souffla. Noé qui passait devant la porte, vint voir ce qu’il se passait. Voyant Raphaëlle encore endormit, il alla s’asseoir sur son dos. Raphaëlle soupira et s’avouant vaincu se leva. Elle vérifia son téléphone, Fanantenana avait raccroché au bout de trois heures. Pourtant, elle n’avait dû l’écouter qu’à peine une heure. Il lui avait laissé un message « Je t’ai entendu dormir alors je t’ai raconté une jolie histoire. J’espère que tu en as fait de beaux rêves. Après, j’ai passé 1h à t’écouter respirer. J’ai l’air fou… Mais je commence à être fou de toi Raphaëlle ». Elle avait l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Au lieu d’avoir un soupirant envahissant elle en avait deux à la différence près que le deuxième ne lui avait jamais fait de mal. Miraz passa à son tour devant la chambre :
« Alors Raphaëlle, bien dormi ?
_Oui très bien, tu viens d’arriver ?
_Oui tout juste, j’ai déposé mon copain à son travail et je suis rentrée.
_Votre week-end en amoureux s’est bien passé ?
_Oh, il me tape continuellement sur les nerfs en ce moment, mais c’est parce qu’on est ensemble depuis trop longtemps je crois », rit-elle.
Raphaëlle n’avait jamais compris cela. Pour elle, lorsqu’on aime, on peut tout supporter et tout endurer avec le sourire. Tant qu’il y a de l’amour, il y a du respect et le respect ne supportait pas l’idée qu’on ne faisait que tolérer la présence de l’autre. C’est pourquoi elle se tenait à l’écart de l’amour. Elle avait vu beaucoup trop de personnes singés ce qui devait être une relation normale : S’aimer, vivre ensemble, construire ensemble, ne plus se supporter, rester ensemble par habitude ou se séparer, recommencer.
Pour elle, l’amour tenait de l’improvisation, chaque personne était différente, chaque relation l’était également. Jamais elle ne se serait vu partager son quotidien avec quelqu’un de peur que celui-ci étiole son amour si grand et si puissant. Elle croyait au pouvoir de l’amour et savait de quel miracle il était capable. Elle avait déjà vu tellement de plaies devenir indolentes sous le brasier intense d’un amour sincère. Pour elle, il n’était pas question de vivre en fonction de la relation mais de faire vivre la relation en fonction de ses envies, de ses attentes du moment et de celles de son partenaire.
Avoir de si grandes idées sur l’amour et ne sembler aimer que si peu paraît tout à fait étrange mais elle avait l’habitude de paraître étrange.
Miraz s’enferma dans sa chambre quelques instants. Raphaëlle en profita pour descendre à la cuisine se préparer à manger. Elle prit du miel et des biscottes, se fit un café et avala le tout quand quelqu’un sonna à la porte. Elle ne voulut pas ouvrir, de peur que ce soit LUI.
« Quelqu’un a sonné ? Demanda Miraz,
_Non non pas du tout, eut le temps de formuler Raphaëlle avant que la sonnette ne retentisse une deuxième fois,
_Si ça a sonné, tu peux aller ouvrir ? C’est peut-être le colis que j’attends depuis la semaine dernière. »
Raphaëlle alla nonchalamment ouvrir et fut soulagé quand elle vit le visage renfrogné du copain de Miraz.
« J’ai laissé mes clés dans le sac de Miraz, elle ne répond pas quand je l’appelle…. Comme d’habitude… Je suis venue les récupérer,
_Bonjour, je vais bien merci… Je t’en prie entre ! Fit-elle en s’écartant pour le laisser entrer.
_Je n’ai pas le temps Raphaëlle…
_Pas le temps d’être poli ? Grommela-t-elle
_Tu es toujours aussi agréable à ce que je vois !
Raphaëlle soupira. Miraz descendit et vit son copain chercher frénétiquement dans son sac.
« Tes clés sont dans la voiture … attends je vais les chercher ! »
Miraz revint avec le saint Graal. Son copain se rua dessus et s’en alla sans rien dire de plus.
« Ton copain est un rustre pour ne pas dire un idiot…Intervint Raphaëlle,
_C’est son premier jour de travail il est un peu à cran,
_Il est toujours à cran.
_Arrête Raphaëlle, si on se marie lui et moi, il faudra bien que vous vous entendiez !
_Il faudra que lui s’entende avec moi pas l’inverse, j’étais là avant !
_Haha, Raphaëlle tu me feras toujours rire ! Tu ne devais pas aller au travail aujourd’hui toi ?
_Je ne travaille que cet après-midi. Je vais me préparer d’ailleurs. »
Sur le chemin du travail, alors qu’elle était à vélo, elle ne pouvait s’empêcher de regarder derrière elle dès qu’elle arrivait à hauteur d’un feu rouge. Elle crut LE voir plus d’une fois. Elle arriva devant son travail, rangea son vélo et entra. Son collègue était déjà là. Ce qui parut la surprendre :
« Tu es surprise de me voir ?
_Je suis surprise de te voir travailler, c’est tout !
_Ah d’accord je vois ! Tu es toujours aussi agréable et gentille, ça fait plaisir de te retrouver,
_De même ! Tu as des rendez-vous cet après-midi ?
_Moi non mais toi oui, Fara vient d’appeler, elle a besoin d’aide dans des démarches pour obtenir des papiers français je crois,
_Elle n’a pas déjà une carte de séjour ?
_Je ne sais pas, ce n’est pas moi qui la suis.
_Je verrais bien !
Raphaëlle se mit sur son ordinateur et ne le quitta pas des yeux une seconde Elle s’affairait à mettre à jour les dossiers de ses bénéficiaires, les appeler afin d’être sûr d’avoir leurs dernières coordonnées, prendre des rendez-vous avec eux afin de faire des points quand Fara arriva en milieu d’après-midi.
« Bonjour Madame Raphaëlle ! Vous allez bien ?
_Bonjour Fara, très bien et vous ? Je vous en prie asseyez-vous ! Un thé comme d’habitude ?
_Oui merci
_Je vais le préparer, se proposa son collègue.
_Alors Fara, en quoi puis-je vous aider aujourd’hui ?
_Eh bien, je voulais connaitre les démarches de regroupement familial. C’est comme ça qu’on dit ? Elle décortiquait chaque syllabe pour être sûre de n’en écorcher aucune.
_D’accord, votre mari est resté au pays ?
_Non, je ne suis pas marié, c’est pour mon frère…
_Sa conjointe est sur le territoire français ?
_Il n’est pas marié non, est ce que je peux demander à ce qu’il soit…. Regroupé à moi ?
_Oh, eh bien… Malheureusement non Fara… ça ne marche pas comme cela. Il faudrait qu’il se trouve une conjointe ici en France…Mais bon… Ce n’est pas la solution non plus…
_Il me parle souvent d’une amie française qu’il aime beaucoup. Je lui ai dit de lui demander si elle accepterait mais il n’a pas voulu.
_C’est assez malhonnête mais ça se tente… Elle pensa alors à Fanantenana qui se plaignait souvent de la misère dans son pays. Se pourrait-il qu’elle puisse l’aider à venir ici ?
__Comment ça, ça se tente ? Tu t’entends parler Raphaëlle ? Ce serait profitez de la naïveté de cette française avec qui il communique. Imagine qu’elle nourrisse de vrais sentiments pour lui ? Objecta son collègue,
_Et si c’était une profonde amitié qui la pousse à l’aider et qu’elle lui propose d’elle-même ? En partant du principe que lorsqu’il aurait les papiers… Ils pourraient chacun reprendre leur petit bonhomme de chemin si ça ne fonctionne pas !
_ça non plus ce n’est pas honnête…
_Mais ça s’entend très bien non ?
_L’un d’eux finira par tomber amoureux c’est sûr.
_Les sentiments ça se contrôle.
_Arrête de chercher à rationnaliser tout ça. On dirait que c’est toi qui veux l’épouser ! »
Elle marqua un temps d’arrêt et fronça les sourcils.
« Ça se tente… se dit-elle,
_C’est de la folie, et si tant est que tout le monde soit d’accord, on ne ressort pas indemne d’une vie de couple surtout comme celle-ci. Tu t’imagines que vous, enfin quand je dis vous je ne parle pas de toi, donc que vous devrez faire comme si vous étiez amoureux et que vous vouliez vous marier ! Objecta son collègue,
_Mon frère veut l’épouser, assura Fara,
_Et elle ? Demanda curieuse Raphaëlle,
_Je sais pas, il m’a juste dit qu’il l’avait connu dans une autre vie.
_C’est mignon ! On dirait un roman d’amour !
_Imagine que l’un d’eux tombe amoureux au final mais pas l’autre. Il se passe quoi ?
_Eh bien, il avoue ses sentiments et repartira avec le cœur brisé, qu’est-ce qu’un cœur brisé à côté d’une occasion gâchée ?
_Tu n’as jamais eu le cœur brisé toi parce que… »
Son collègue se stoppa net quand il vit que Fara pleurait en silence. Elle semblait intégrer seulement l’idée qu’il n’y avait que peu d’espoir pour son frère de la rejoindre.
« C’est toute ma famille... Etouffa-t-elle dans un sanglot,
_Il peut toujours essayer de passer par une demande de Visa D.
_ça ne marche pas.
_Je suis désolée Fara, prenez des mouchoirs. Vous savez, dans la vie rien n’est jamais ou tout noir ou tout gris. Des fois, il faut laisser faire la providence. Regardez où vous en êtes aujourd’hui ! Vous êtes arrivée sans rien et maintenant vous avez un toit, vous commencer à vous insérer dans la société, et plus important encore vous avez des amis ici. Pourquoi votre frère ne pourrait-il pas avoir la même chose ? Laisser faire le temps. Avec un peu de patience…
_Mon frère est handicapé... Il a presque perdu ses jambes dans l’accident qui a tué nos parents. Ce serait trop difficile pour lui.
_Toutes ces démarches… » Finit son collègue.
Raphaëlle fut saisit par l’ironie de la situation. Il ne pouvait plus marcher ce qui compliquait la démarche… C’était à la fois drôle et triste. Elle posa sa main sur celle de Fara en la regardant, contrite. Elle savait combien il avait été difficile pour elle de s’en sortir et de savoir son frère loin et seul la minait beaucoup. Elle aurait tellement aimé pouvoir lui dire qu’elle allait tout arranger d’un coup de baguette magique mais il n’en était rien.
Secouée par cette discussion, le soir même, à peine Fanantenana connecté elle lui sauta dessus :
_Salut Fanantenana, tu sais j’ai bien lu et relu ton message d’hier…
_Et tu es décidé à fuir encore ?
_Tu vois bien que je suis encore là !
_Tu sais, je t’aime.
_Fanantenana, je crois que moi aussi. Je peux te demander un service ?
_Tout ce que tu veux
_Tu pourrais m’épouser ? Et venir vivre ici ?
_Tu es folle. Je crois que je préférais quand tu fuyais
_Pourquoi ? Si ça va trop vite on peut juste se marier et faire notre vie chacun de notre côté.
_Non
_Non ?
_Tu pensais que je te parlais pour ça ?
_Je ne pense rien, je te propose juste… Tu te plains toujours de la misère, la pauvreté. Je me suis dit que peut-être je pouvais t’aider
_Alors tu es la grande sauveuse, pardon je n’avais pas compris ça…
_ok je n’ai rien dit. Ne t’étonne pas si je fuis encore après ça
_On verra bien qui fuira l’autre …
Raphaëlle quitta le réseau, songeuse, et alla dîner avec sa colocataire et… son copain.
Il est encore ici celui-là…pensa-t-elle
Son air renfrogné ne l’avait pas quitté de la journée. Miraz lui sourit mais il semblait concentré sur les ingrédients se trouvant sur la boîte de céréales posée sur le bar.
_Tu as passé une bonne journée Miraz ? demanda Raphaëlle,
_Oh oui, j’ai fait du ménage. Et je suis allé chercher monsieur au travail !
_Ta voiture est toujours en réparation ?
_Apparemment… » Répondit mollement le copain de Miraz,
Raphaëlle leva les yeux au ciel, Miraz lui fit signe d’essayer à nouveau. Raphaëlle lui chuchota un « je ne garantis rien ».
« Tu comptes la faire réparer quand ? Ça fait une semaine que Miraz se fatigue à te conduire partout… et vu ton affabilité j’ai l’impression que ça te saoule aussi. »
Miraz leva les yeux au ciel aussi. Son copain lui jeta un regard noir.
« Tu insinues quoi ? S’énerva-t-il,
_Je constate seulement, tu fais tes propres conjectures…
_J’ai jamais pu te saquer Raphaëlle et si tu n’étais pas la colocataire de Miraz je t’aurais déjà viré d’ici !
_Me virer alors que tu ne vis même pas ici… On aura tout entendu ! En fait ce qui te rend dingue c’est que je vois clair dans ton jeu…
_Fais attention Raphaëlle…
_Tu ne me fais pas peur… Et si je veux je te vire de chez moi.
_vas-y essaie pour voir ! » Rugit-il en se levant et se précipitant sur elle.
Miraz s’interposa :
« Non mais ça va pas ! Vous êtes en train de vriller complet tous les deux ! Vous voulez quoi ? Que je fasse un choix entre vous deux ? Raphaëlle, tu es ma meilleure amie, et toi Gaëtan, tu es mon petit ami. S’il vous plaît, faites l’effort de vous entendre un minimum… Pour moi !
_J’ai pas trop le choix, fit Gaëtan avec sa morgue habituelle,
_Je refuse de faire semblant de l’apprécier… Trancha Raphaëlle en montant dans sa chambre.
Gaëtan commença à faire pression sur Miraz, disant que sa meilleure amie ne pouvait pas le voir en peinture sans réelles raison et que c’était à cause d’elle s’ils ne pouvaient pas se voir plus souvent. Miraz se mit à pleurer. Il n’avait pas l’air ému pour deux sous et se contenta de la laisser là toute seule avec ses contradictions. Sans un mot, sans un geste mais avec une pointe d’agacement il l’abandonna à cette morne soirée.
Raphaëlle était hors d’elle, elle ne rêvait que d’une chose pouvoir déconstruire cette soirée, la décortiquer et l’analyser. Elle aurait tant aimé pouvoir le faire avec Fanantenana, il avait ce don de l’aider à prendre du recul sans utiliser trop de mots. Mais il était encore un peu tôt pour sonder son degré de vexation après leur discussion. Sa chambre lui parut soudain bien vide… Sans lui.
Plus tard dans la soirée, elle rejoignit Miraz dans sa chambre. Elle avait les yeux encore rouges d’avoir pleuré :
« Je voulais m’excuser Miraz…Ce n’était pas correct de te placer ainsi entre le marteau et l’enclume. Nos querelles avec… Gaëtan, dire son nom représentait pour elle un effort surhumain, devraient rester entre nous et ne pas affecter ta relation avec lui puisque tu as choisi de l’aimer.
_Je n’ai jamais choisi de l’aimer… On s’entendait bien… On rigolait bien ensemble. Et une chose en entraînant une autre je lui sers de chauffeur et on passe nos week-ends à se disputer…
_Mais pourquoi tu n’arrêtes pas tout simplement avec lui ?
_Ce n’est pas aussi simple… Je n’ai que lui. Enfin, je veux dire, je me suis habitué à lui… Je n’arriverais pas à faire machine arrière.
_Mais tu m’as moi aussi ! Et tous tes amis ! On va te soutenir. Tu ne peux pas continuer de te perdre dans une relation qui ne te correspond pas !
_C’est ce que j’aime chez toi Raphaëlle. Tu es comme ma petite voix intérieure qui me dit quoi faire.
_Mais que tu n’écoutes jamais….
_C’est pas aussi simple !
_Ce sera plus simple une fois fait.
_Tu ne comprends pas, tu n’as jamais été amoureuse toi. »
Cette réplique réveilla une très ancienne blessure narcissique et Raphaëlle préféra prendre congé plutôt que de la laisser s’exprimer. Elle passa la nuit à se repasser le film de la soirée. Elle avait eu tout faux ce soir… Elle se demandait comment sa colocataire, qui d’une nature extravertie et affirmée, pouvait se laisser faire par cet abruti qu’était Gaëtan. Qu’avait-elle voulu dire par « il est tout ce que j’ai » ? Avait-elle peur de ne retrouver personne si elle s’en débarrassait ? De ne plus être aimable ? Elle avait tellement de qualités qu’il était impensable pour un être doué de raison de ne pas tomber sous son charme. Ses doutes étaient infondés… Mais contrairement à Raphaëlle, elle n’avait jamais été inconditionnellement aimée. Le peu d’amour qu’on lui avait prodigué lui imposait toujours des contraintes irraisonnées.
Avec Fanantenana, elle n’avait pas joué un tour des plus fameux. Elle n’avait fait que blessé son orgueil en lui donnant l’impression de lui prêter de mauvaises intentions. Lorsque l’on croit percevoir ce sentiment dans le regard amoureux de l’autre, la douleur est insoutenable. On se voit comme un monstre finalement et aucun mot ou geste aussi doux soit-il ne pourrait conjurer les affreuses émotions qui le parcouraient.
Plusieurs jours passèrent avant qu’il ne redonne signe de vie. Elle le laissa revenir de lui-même. Elle n’avait pas pour habitude de courir après les gens. Elle estimait que si quelqu’un voulait rester dans sa vie alors quoi qu’elle puisse décider de faire il restera et inversement. Elle, était décidée à rester dans sa vie et l’attendit :
_Bonjour, tu vas bien ?
Tiens, il ne parle plus malgache ? Pensa-t-elle interloquée par cette impromptue froideur.
_Manao Ahoana Fanantenana, ça va et toi ? J
_Oui très bien.
_Quoi de beau ?
_Je vais partir travailler bientôt. Et toi ?
_Je suis déjà au travail. J’en peux plus, mon collègue n’est pas là… Je m’ennuie un peu du coup ^^
Tu finis à quelle heure ?
_18h. On pourra s’appeler ce soir ? Je fus très étonnée de le proposer la première.
_Oh oui bien sûr. J
Nous nous quittâmes sur un « tu vas me manquer » de la part de Raphaëlle. Fanantenana était quelque peu déboussolé. Il commençait tout juste à percuter qu’il avait réussi à pénétrer la forteresse de son cœur et en éprouva une grande satisfaction. Ainsi ses efforts commençaient réellement à payer.
Le soir même, Fanantenana l’appela dès qu’il la vit connectée :
« Manao Ahoana Raphaëlle !
_Manao Ahoana, tu m’as manqué aujourd’hui, tu sais ? T’as passé une bonne journée ?
_Toi aussi… Tu me manques toujours quand tu n’es pas là et même quand tu es là. Oui et toi ?
_Très bien, répondit-elle timidement,
_Je pensais… Qu’après ça tu ne m’aurais plus parlé.
_Pourquoi ?
_Je ne sais pas.
_Je t’ai souvent esquivé, pour une fois c’est toi, c’est de bonne guerre…
_J’ai l’impression que tu commences à m’apprécier enfin.
_Que je commence seulement ?
_J’ai beaucoup de sentiments pour toi.
_Ok, alors là on va arrêter tout de suite, haha. Avant que tu ne tombes trop amoureux.
_J’aimerais te poser une question !
_Euh, je sens l’entourloupe mais je t’en prie.
_Tu es seule là ?
_Oui, pourquoi ? Tu comptes venir me rendre visite ?
_Oh oui, mais pourquoi tu ne me parles plus quand tu es avec quelqu’un ?
_Si je te parle…
_Par message seulement… Pourquoi ?
_Tu te fais des idées, je te jure.
_Tu as honte de moi ?
_Non ! Certainement pas !
_Alors pourquoi ?
_Je n’en sais rien, j’ai juste peur de ce que les gens peuvent en dire…
_Dire de quoi ?
_De notre relation, on ne s’est jamais vu, on est très loin l’un de l’autre et je ne pense pas que mes proches verraient ça d’un très bon œil.
_Ah d’accord…
_Tu as l’air déçu ?
_Tu n’en as rien à faire de moi…
_Pourquoi tu dis ça ?
_Je n’existe pas dans ton monde réel.
_C’est ma réalité qui n’existe plus depuis que je te connais.
_Tu essaies d’embrouiller ce que je dis. Je n’aime pas.
_Excuse-moi, s’il y a bien une chose que je ne veux pour rien au monde, c’est te blesser Fanantenana.
_Ce n’est pas l’impression que tu donnes… Je vais devoir y aller.
_D’accord… à plus tard…
_A plus tard ».
Raphaëlle était complètement décontenancée. Elle avait, comment dire… vraiment peur de le perdre. Elle sentait qu’il allait lui échapper si elle ne réagissait pas. Elle prit son courage à demain (car elle ne le fit que le lendemain) et lui écrivit un message qu’elle espérait apaiserait ses craintes à lui :
« Manao Ahoana Fanantenana,
Je voulais juste te dire que je suis désolée de te donner l’impression de n’en avoir rien à faire. C’est juste que tu comptes beaucoup pour moi et je ne veux pas que mes proches tentent de me dissuader d’insister dans cette relation avec toi. Je sais que je ne les écouterais pas, c’est sûr. Mais je ne veux même pas entendre leurs arguments. Ça me blesserait beaucoup trop qu’ils puissent penser du mal de toi quand je sais quelle genre de personne formidable tu es. »
Leur relation ne tenait, à vrai dire, qu’en de longues tirades floues et qu’à un fil de discussion. Ils se disaient combien ils s’aimaient sans jamais se l’avouer pourtant. Elle aurait aimé avoir l’audace de vivre leur amour plutôt que de n’en faire que de longues logorrhées. Apparemment la situation leur convenait à tous les deux puisqu’à aucun moment il n’a proposé de se rencontrer ou de se voir en vidéo.
Ce qui intriguait Raphaëlle, elle savait très bien pourquoi elle ne voulait pas faire de vidéo, mais lui, qu’avait-il donc à cacher ?
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