Ce que j’aurais voulu oublier…
Bon, pour une fois, à moi de raconter ce que je sais de cette histoire. Je suis la meilleure amie de Raphaëlle depuis toujours. On se connaît depuis la maternelle au moins. On a toujours été très différente. J’étais le genre de fille qui se faisait rapidement des amis, j’avais toujours un amoureux, des amis mais une famille complètement décomposée. Je cherchais l’amour et l’approbation ailleurs.
Raphaëlle, quant à elle, était très effacée, réservée, parlait si peu qu’elle avait du mal à s’intégrer partout où elle allait. Elle n’avait jamais approché un seul garçon avant d’avoir 21 ans. Et encore c’est le garçon qui l’avait approché. Elle me disait souvent avoir pris sa retraite sentimentale alors qu’elle n’avait jamais rien commencé. Elle me faisait toujours rire. Elle a toujours eu une heureuse mélancolie que je n’ai jamais comprise. Soit vous êtes heureux, soit malheureux, jamais les deux. Je ne comprenais que très rarement ce qu’elle disait quand elle se laissait aller à parler des heures de tout ce à quoi elle pensait.
Elle avait de grandes idées sur la vie qui lui donnait une envie de vivre insatiable mais ses peurs la retenaient toujours. C’est un portrait un peu triste mais je ne vous apprends rien…
Quand j’ai vu Robin en sortant rejoindre Raphaëlle, j’ai été d’abord surprise de voir quelqu’un que je semblais connaître attendre tout penaud devant chez nous. C’est en entendant sa voix que je me suis souvenue du message laissé sur notre répondeur. Message qui avait terrifié Raphaëlle d’ailleurs même si elle n’osa jamais me l’avouer. Elle n’était plus la même depuis ce message.
Elle m’avait raconté vaguement qu’il lui avait fait beaucoup de mal et qu’apparemment il n’avait pas terminé. J’ai toujours supposé que les lettres qu’elle recevait venaient de lui sans jamais oser demander la confirmation. Un week-end alors qu’elle était chez ses parents. Je ne sais pourquoi, je suis allé dans sa chambre et j’ai fouillé. Je suis tombé sur une centaine de lettres. Classées avec soin en plus. J’étais tellement curieuse que j’en ouvris une au hasard. Là, je compris vraiment à quel point cet homme était fou :
« Raphaëlle ou Noélie comme tu préférais qu’on t’appelle,
Je ne sais pas si tu as reçu ma dernière lettre. Je voulais juste te dire que je ne fais que penser à toi. Ce qu’on a partagé était si intense… Tu es si jeune…
Je meurs d’envie de te revoir. Tu m’as brisé le cœur quand tu m’as écarté de ta vie. Je ne comprends pas Noélie.
Pourquoi avoir fait ça ?!
J’ai toujours été gentil, compréhensif envers toi et ta maladie.
Tu penses vraiment que tu trouveras quelqu’un d’autre qui saura t’accepter avec tout ça ?
Tu m’as fait du mal, beaucoup de mal. J’espère que tu souffres aussi de ça. Je sais que tu m’aimes au fond.
Tu me ferais presque penser que je ne suis qu’un vieux pervers. Je sais très bien que tu voulais tout ça aussi.
Dis-moi juste que tu ne veux plus de moi, que me revoir ramper vers toi te fait sentir la même douleur que j’ai à t’aimer encore !
J’espère que tu liras cette lettre et que tu sentiras tout le profond respect et l’amour indéfectible que j’ai pour toi.
Ton dévoué Robin. »
J’en ouvris d’autres, elles étaient toute du même acabit. Je n’en ai jamais parlé à Raphaëlle. Je me demande encore pourquoi elle a gardé tout ça. C’est se faire du mal et si jamais il venait à le découvrir il pourrait penser qu’elle est folle de lui, taré comme il est ! Peut-être qu’elle l’aimait au fond ?
Ce serait fou, après tout ce qu’il lui avait fait subir… Je l’avais en horreur. Je sais qu’un ou deux ans après le gros problème qu’elle a eu avec lui, il l’avait retrouvé devant son lycée et qu’il avait essayé de la forcer à monter dans sa voiture. Elle avait couru jusque chez moi et était arrivée en pleurs pour me raconter tout ça. Je ne l’ai pas quitté d’une semelle après cet incident et lui ai promis qu’on partirait ensemble faire nos études loin d’ici et qu’on oublierait toute cette histoire. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé à faire de la colocation elle et moi.
C’était bien la seule fois où je l’avais vu pleurer. Elle n’a pas cessé de sourire quand on est arrivé à Chelles. Nous avions d’abord vécu dans un tout petit appartement avant d’avoir un travail et cette maison. Je faisais des études en langue et elle était en psychologie. Son rêve était de devenir psychologue mais elle dû arrêter en cours de route. Noélie faisait des siennes. Je crois qu’elle ne s’en est jamais vraiment remise d’avoir dû arrêter sa vie pour elle.
La première fois que j’ai entendu parler de Noélie, c’est le jour où elle est venue en pleurant. J’essayai de la réconforter comme je pouvais quand elle me sortit entre deux sanglots :
« Je me fais pourchasser par des malades constamment, on dirait que je les cherche !
_Mais non, ça peut arriver à tout le monde, ce n’est pas de ta faute ! C’est lui qui est complètement fou ! Pas toi !
_Mais je dois avoir quelque chose en moi qui les attire ! Ou alors c’est moi qui les rend fou, parce que lui et moi on était de vrais amis. Je lui ai fait confiance pendant longtemps avant qu’il ne me fasse tout ce mal !
_Tu sais, les gens mentent sur leur vraie nature parfois. Et tu es toujours gentille avec les gens, tu vois toujours le bon. Tu ne pouvais pas prévoir tout ça…
_C’est que je suis complètement stupide alors…
_Non pas du tout ! Tu as un bon fond, c’est tout !
_Pourquoi je ne tombe pas sur des hommes comme moi alors et que je n’attire que les tordus ?
_Ne dis pas ça. Ce n’est pas pour un tordu qu’il faut généraliser…
_Je sais très bien ce qui ne va pas chez moi…
_Tout va bien chez toi Raph !
_Non, je ne te l’ai jamais dit, mais je suis dépressive. Je vis avec ça depuis que je suis née… En gros je suis une grosse fragile de la vie et ils le sentent. Ils savent qu’ils pourront facilement faire de moi ce qu’ils veulent.
Je restai un moment interloquée, mais repris :
_Tes parents auraient dû te protéger de lui.
_Ils n’en savaient rien et n’en savent toujours rien d’ailleurs. Je ne suis même pas sûre qu’ils m’écouteraient.
_Tes parents t’aiment. Ils ne peuvent pas te laisser patauger toute seule dans ta souffrance. Il faut que tu te fasses aider Raphaëlle. »
Je crois que cette dernière phrase a toujours sonné comme une injure à ses oreilles. Elle ne supportait pas d’avoir à se faire aider. Elle n’était pas du genre à demander de l’aide, ça non ! Jamais. Et c’est ce qui faisait qu’elle n’avançait pas je pense. Elle préférait tenter de se sauver toute seule de la noyade alors qu’elle ne savait même pas nager. Mais voilà que je parle en image moi aussi maintenant !
« Des fois, on a juste besoin d’aide pour oublier. Lui dis-je avant de la laisser,
_Mais moi j’oublie, c’est mon passé qui ne veut pas passer à autre chose. » Se contenta-t-elle de répondre.
Annotations