Ce que j’aurais dû avoir le courage de faire… Troisième partie

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J’étais dans l’avion. Je n’atterrirais pas avant 4h du matin. J’avais emporté avec moi mes cours d’espagnol. J’étais bien décidé à devenir polyglotte vu le nombre d’heures que j’avais devant moi. Je n’avais pas prévu de dormir. J’étais beaucoup trop angoissé pour me laisser partir. Noélie se tenait tranquille pour l’instant. J’avais réussi à la brider. Enfin, j’avais réussi à ne plus l’écouter.

Les moteurs de l’avion commencèrent à chauffer. Les vibrations qu’ils provoquèrent me paniquèrent. Un jeune homme lisait tranquillement à côté de moi. Sa sérénité me dépassait. Nous allions passer 13h dans le ciel et il ne sera question à aucun moment de faire une pause. N’était-il pas fou ? Je n’avais jamais connu une peur aussi intense.

Les hôtesses de l’air et stewards commencèrent leur danse étrange. Je les regardai agiter les bras non sans amusement.

Quand vint le moment d’attacher ses ceintures.

Quand vint le moment de rejoindre la piste de décollage.

Quand vint le moment de décoller.

Je me cramponnai à mon siège. Mon voisin me sourit, amusé. Il me proposa gentiment de lui tenir la main durant le voyage. Je me cramponnai à sa main en priant et pleurant un peu aussi je l’avoue. J’ai d’ailleurs pleuré pendant 10 de ces 13h.

Je vais monter plus haut que les nuages pour te décrocher la lune mon amour.

Pendant 1h au décollage et à l’atterrissage et pendant 9h de turbulences affreuses. La main de mon voisin rendue l’âme après une heure à se faire étrangler par la mienne. Il a regretté amèrement son acte de bienveillance après que je n’eusse brisé chacun des os de ses doigts.

Nous étions hauts dans le ciel déjà quand Noélie sortit de sa sieste impromptue. A chaque fois qu’elle apparaissait j’avais l’impression d’entendre une musique angoissante et agaçante se déclencher comme dans le film psychose. Ayant l’habitude de baptiser mon cerveau la carte-mère, j’appelais Noélie, les dents de la carte-mère. Je me moquais ouvertement d’elle, et de moi visiblement.

_Alors ? On y est allé quand même !

_Je suis plus forte que toi…

_Tu pleures.

_C’est l’altitude qui provoque ça.

_Pour les oreilles bouchées je veux bien mais quant à tes larmes… D’ailleurs, tu n’as pas peur que tes tympans explosent ?

_Mes tympans vont très bien. Personne ici ne saigne des oreilles, pourquoi ça m’arriverait à moi ?

_Et si l’avion s’écrasait ?

_Je te trouve bien légère en disant cela !

_Je me suis bien reposé quand tu as décidé de m’éviter. Ça m’a fait du bien. Et si Robin était ici ?

« Vous voulez manger ou boire quelque chose Madame ? Nous coupa une hôtesse alors que je serrais le siège avec mes mains, que j’étais recourbé sur moi-même et que je pleurais.

_Un café s’il vous plaît… Balbutiais-je,

_Tout va bien ?

_J’ai juste peur de l’avion, tout va bien.

_Ah, je ne vous le fais pas dire… Renchérit mon voisin de siège.

Super, tout le monde se fout de nous… Il ne manquait plus que ça !

_Oh la ferme ! Laissais-je échapper doucement,

_C’est à moi que vous parlez ? Demanda interloqué mon voisin,

_Non, non désolée, je pensais à autre chose…

_Voici votre café, ça fera 7 euros.

_C’est du vol et c’est le cas de le dire haha, mais il n’y a que moi que ça fait rire… Finis-je en chuchotant.

_Pfff… C’est du vol nananinana, tu aurais pu trouver mieux… Tiens, c’est marrant, Fanantenana ça ressemble à nananinana… Fanantenananinana. Ça c’est amusant. Ah, je vois, tu fais comme si je n’existais pas ! Alors, moi aussi je vais faire comme si tu n’existais pas.

_Tu ne peux pas faire ça.

_Bien sûr que si !

_Non, autant je peux vivre sans toi, autant tu ne peux vivre qu’à travers moi. Et ta blague était encore plus nulle que la mienne.

_C’était la tienne aussi ! J’essayai juste de te faire penser à autre chose qu’au fait qu’on pouvait mourir à tout moment.

_Je n’y pensais plus… Merci !

_Roh… Tu es vraiment rabat-joie…

_Pourquoi es-tu aussi changeante ? A un moment tu veux me rendre folle, à un autre tu cherches à me faire penser à autre chose comme si tu en avais quelque chose à faire que je sois bien ou pas.

_Je suis ton alarme personnelle. J’ai essayé de te prévenir que tu faisais n’importe quoi, tu ne m’as pas écouté. Alors, on essaie de se rassurer comme on peut. Ah oui, arrête de parler à Fanantenana comme s’il t’entendait… Je vais gravir monts et merveilles nananinana. C’est gnian-gnian et ça ne sert à rien…Et je suis obligé d’écouter tes bêtises.

_Comme j’écoute les tiennes… On se rassure comme on peut. Sincèrement, tu penses qu’il soit possible qu’il m’aime ? Noélie ?? Noélie !! Je te hais…

Je la détestais pour ça. Elle ne savait que me rabaisser et disparaître ensuite. Pourquoi faire ça ? Elle me jetait à la figure les pires émotions qui soient et me laisser seule dans leur capharnaüm. A vrai dire, je disais la détester pour ça mais je la détestais pour tout.

Pour la tristesse, la colère, la rancune, la jalousie, les humiliations, les mensonges et par-dessus tout la peur. Pourquoi fallait-il constamment qu’elle se rassure de mes épouvantes ? Elle était encore plus paradoxale que moi. Je me contentais de me sauver sur l’instant sans penser forcément aux conséquences sur le long terme ce qui provoquait inexorablement des situations contradictoires. Mais elle, ne savait vivre que de choses contraires. Elle me maintenait sous sa coupe par l’instabilité. Et je ne faisais que mimer ce qu’elle me faisait endurer.

Subitement, tout ce que j’avais fait à Fanantenana me revint en mémoire. Toutes les fois où je l’avais abandonné pour mieux le retrouver, toutes les fois où j’avais piétiné ses sentiments, toutes les fois où j’avais essayé de lui faire croire que je ne ressentais rien pour lui alors qu’après des mois et des mois de conversations, j’étais toujours là…

Il savait très bien que je l’aimais, que j’étais attaché à lui, que je mourrais intérieurement si je devais de le perdre. C’est, en conséquence, qu’il s’était enfin autorisé à jouer lui aussi. A me renvoyer mon image en disparaissant. En me faisant ressentir le manque que j’avais créé chez lui.

Son plan m’était si subtil que je ne l’en aima que plus. Il en fallait de l’audace pour oser ce coup de poker. J’aurais eu mille raisons de ne pas prêter attention à ses manigances. Il avait eu la finesse de comprendre que c’était le bon moment. Ainsi, il avait réussi là où les autres avaient échoués. Il avait réussi à bouleverser ma vie. Je me retrouvais à faire des choses folles dont jamais je ne me serais cru capable de réaliser un jour. Il avait déstabilisé mes systèmes de pensée, ébranlé mon cœur et mit en échec Noélie, même elle n’arrivait plus à me faire entendre raison.

J’éprouvais, étrangement, une grande reconnaissance. J’allais vivre comme jamais je ne m’étais autorisé à le faire. J’allais rêver tout ce que je m’étais refusé à imaginer, tout ce qu’on m’interdisait depuis toujours. Je ne sais pourquoi mais on avait toujours posé un regard suspicieux sur mes émotions et mes sentiments, comme s’ils n’étaient pas vrais, comme si je jouais, comme s’ils me mettaient en danger. Mais je ne voulais plus jouer. A trop vouloir duper, je m’étais perdue tant de fois.

J’avais un si grand sentiment d’urgence, j’avais l’impression que Noélie cherchait à tout prix à me rattraper et qu’il ne s’en fallait plus de beaucoup pour qu’elle ne m’atteigne.

Les treize heures touchèrent à leur fin. Nous commencions à perdre de l’altitude. Je n’y croyais pas. J’avais traversé la méditerranée, l’Afrique et une partie de l’océan indien pour lui. Il ne pourrait que m’aimer !

Je descendis de l’avion et me dirigea vers les guides qui géraient notre transports jusqu’à l’hôtel. J’étais morte de fatigue et d’inquiétude. Il était plus de six heures du matin quand on arriva à l’hôtel, le soleil était déjà bien levé car chez eux il devait être aux alentours de huit heures. De mon trajet en bus, je vis que la ville paraissait grande et qu’elle n’avait pas cette tristesse que la pauvreté réussissait à faire peser sur tant d’autres endroits. Il y avait une résistance muette à la grisaille dans ses rues qui lui donnait beaucoup de charme. Je me disais que Fanantenana devait être à l’image de cette ville. Comme je l’étais de notre capitale : Grise, brûlant d’une colère intérieure et maussade.

J’arrivai dans ma chambre. Elle était grande et comportait deux lits doubles. Je sautai sur l’un d’eux et m’endormis aussitôt sans prendre le soin de défaire mes bagages et de m’installer.

Je me réveillai vers onze heures. La pièce était lumineuse, le soleil brillait dans le ciel. J’ouvris la fenêtre, l’air était doux, il devait faire une vingtaine de degré. J’allai prendre une douche, me remaquiller et me rhabiller pour sortir. Je mis une robe colorée comme mon humeur. Je me sentais si légère, peut-être en raison du manque de médicaments qui allaient sans doute commencer à peser sur mon système nerveux. Je n’en avais que faire. J’étais heureuse d’être ici, heureuse d’avoir traversé tout ça, heureuse de m’être laissé l’opportunité d’aller jusqu’au bout ou de tout laisser tomber au dernier moment. Il est toujours doux de savoir que l’on peut revenir en arrière sur un coup de tête. Mais il est encore plus délicieux d’avoir réussi à faire un choix.

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