Ce que j’ai ressenti…

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En arpentant les rues de la ville je réfléchissais à ce que j’aurais à dire à Fanantenana après l’avoir salué…

Tu m’as manqué ? Oui évidemment… Je ne veux plus vivre sans toi ni loin de toi ? Un peu rapide… Je suis venue pour toi. Tu as intérêt à m’aimer jusqu’à la fin de ta vie !

J’eus un pincement au cœur en pensant qu’il était possible qu’il ne m’aime pas. Ou pire qu’il se rende compte en me voyant que je ne correspondais pas du tout à l’idée qu’il s’était fait de moi.

Et s’il me trouvait laide ? – Cette réflexion venait-elle de moi ou de Noélie ? Je ne l’entendais plus nulle-part.

Je m’arrêtai devant une vitrine pour me jauger du regard. Mon reflet ne me plut pas une seule seconde. Je ne correspondais pas non plus à l’idée que j’avais de moi. Mes formes ne me plaisaient pas, mon visage non plus. Il n’avait jamais rien vu que des photos filtrées de moi. Elles cachaient tant de choses : les imperfections de ma peau, mes cheveux trop fins à mon goût, mon sourire qui n’était pas parfait, les bourrelets qui se dessinaient sous mes vêtements, mon corps que je trouvais de guingois, mes cernes cachées par mes lunettes qui ne m’allaient pas. Je n’ai jamais eu une tête à porter des lunettes malheureusement mais je pouvais difficilement m’en passer.

Alors, je vous vois venir ! On a tous nos complexes, c’est certain et je ne fais pas cette liste pour me plaindre. Le fait est que je ne suis pas belle, ni jolie, mignonne peut-être par moment, sous certains angles, à la bonne luminosité et dans le brouillard mais décidément et sacrément moche tout de même. Je me suis longtemps battu pour qu’on me reconnaisse le droit d’être moche et de me considérer comme telle. Je n’en pouvais plus des perpétuels, hypocrites et lassants « mais non tu es jolie ! » ou encore « ce n’est pas ça qui compte ! » venant de gens qui n’avaient pas de réels problèmes esthétiques. Qu’ils me fatiguaient de leurs bons sentiments et de leurs propos politiquement corrects ! Je ne savais que trop, qu’au fond d’eux, s’exprimait une lancinante pitié à l’égard de mon informe image. Je le voyais dans leurs yeux, je le sentais dans leurs voix. Leurs compliments me le criaient. Au fond, je les rassurais, il avait la chance de ne pas être comme moi. Il me minait l’esprit à me rappeler constamment que je ne serais jamais comme eux.

A vrai dire, il n’y avait pas une partie de mon corps qui tenait la route en toute objectivité. Je disais souvent à Fanantenana qu’il ne me trouverait jamais à son goût, il ne me croyait pas évidemment. Il préférait s’aveugler avec les doutes que laissait planer l’inconnu dans l’équation de notre relation.

J’espérais secrètement avoir le charme de ma personnalité que je cherchais inlassablement à rendre toujours plus solaire, douce et vivifiante. Je ne voulais pas être belle, je voulais être ensorcelante. Je me plaisais telle que j’étais tant que mon physique n’entrait pas en ligne de compte car je savais qu’il n’en disait rien de moi. Qu’il était grossier et vulgaire, qu’il mentait sur celle que j’étais. Je l’ai haï, je l’ai aimé, j’en ai joué mais jamais je ne m’en suis accommodé. C’est pour cela que cette relation immatérielle et platonique me plaisait tant. Je n’avais pas à exposer mon corps, il n’avait pas à l’explorer, je n’avais pas à supporter son regard qu’il soit de dégoût, ce qui m’horrifierais, ou de délectation, ce que je ne comprendrais pas.

Mais ce dégoût de moi-même était transcendé par son amour. Quand il me parlait, je me sentais intéressante et intelligente. C’est tout ce que j’aimais et tout ce qui comptait. Il me disait que j’étais belle. Je riais en mon for intérieur de savoir comme il se fourvoyait de me croire ainsi délicieuse. Je ne saurais dire ce qui le persuadait de ma beauté et ne le saurais sans doute jamais.

Je peux mentir en tout sauf sur l’évidence visuelle.

J’arrivai devant un petit commerce bariolé dont le nom était Lily. Je le pris comme un énième signe du destin car j’avais parfois l’habitude de surnommer affectueusement ma dépression Lili. J’entrai et fut charmée par les odeurs d’encens qui s’en dégageait. Des bâtons exhalaient des volutes de fumées dansant dans l’air. Je m’attardai devant le déchaînement de couleur que j’avais sous les yeux. Le magasin regorgeait de sacs en tout genre et de toutes les couleurs. Cet assemblage enchanteur de différentes tonalités chromatiques rendait le tout harmonieux dont la musique berçait avec raffinement les yeux. Une femme ne mesurant pas plus d’un mètre cinquante sorti de derrière un rayonnage et me scruta des pieds à la tête, souffla et se dirigea vers sa caisse :

« Manao Ahoana ! » Lui disais-je le sourire aux lèvres.

Elle n’eut même pas l’obligeance de tourner la tête vers moi. Je sortis sans rien acheter. La boutique laissait songeuse, la propriétaire vous faisait rapidement remettre les pieds sur terre.

Je continuai mon périple dans les Fokontany avoisinantes. Tout autour de moi semblait très vivant et acidulé. Les rues laissaient comme un goût de citronnade dans l’esprit. Elles étaient à la fois fraîches et âcres.

Je m’imaginais marcher dans les rues en compagnie de Fanantenana. Comme il aurait été si doux de l’avoir à mes côtés à l’instant même à Antananarivo. Nous aurions couru dans ses rues, animé ses marchés de nos éclats de voix, égayer le cœur de ses habitants de nos sourires complices, adoucis ses façades de la caresse de nos être sur leurs fades couleurs. Mon cœur n’en pouvait plus de ne pas connaître sa présence, mon corps souffrait de l’absence de ses étreintes, mon esprit se lamentait de ne faire que l’envisager.

Alors, c’est là que tout commença. J’avais fait mon choix.

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