Ce que j’ai tenté…
En attendant, elle ne faisait que repousser la rencontre avec Fanantenana. Elle ne savait même pas comment se rendre à cette adresse griffonnée sur une lettre marbrée par des traces de café. Le soir même, elle s’évertuerait à trouver le moyen de s’y rendre grâce au wifi de l’hôtel.
Mais voilà une heure déjà qu’elle fixait le trajet sur son téléphone. Ainsi, il n’était qu’à deux pas de son hôtel… Il se trouvait dans le Fokontany d’à côté. Elle aurait pu y aller à pied. Elle n’était qu’à une demi-heure du bonheur ultime.
Néanmoins, son esprit chevaleresque s’attendant à tellement plus de difficulté, elle hésita un long moment en silence quand son téléphone vibra. On l’appela par visioconférence. Elle répondit, le visage de Miraz apparut ;
« Oh mon Dieu Raphaëlle, tu es en vie et tu as l’air d’aller bien ! Soupira cette dernière,
_Oui ça va très bien mais toi, on dirait que tu as vu une armée de fantômes ?
_Bonjour Raphaëlle, je dors dans ta chambre ce soir ! Dit Gaëtan narquois en passant derrière Miraz.
_Que fait-il ici…
_Il est venu me soutenir.
_Pourquoi ?
_C’est difficile d’être dans une si grande maison toute seule sans ma meilleure amie.
_Je veux la vraie raison. Tu as l’air complètement chamboulée ! Elle se souvint de Robin, il t’a suivi sur le parking…
_Oui, il avait volé mon téléphone…et me l’a rendu. Il est complètement fou !
_Il ne t’a pas fait de mal au moins ?
_Mais attends, tu savais qu’il était là ?! Vous êtes encore en contact tous les deux ?
_Ce serait pas étonnant… Intervint Gaëtan,
_Oh la ferme Gaëtan ! Non, je l’ai vu à l’aéroport. J’ai tenté de te prévenir et en t’appelant je suis tombé sur lui… Mais comment savait-il que j’étais là ?
_Il m’a suivi…
_Comment ça ?
_Il était devant la maison quand je suis retourné chercher tes médicaments. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite.
_Donc il sait exactement où je vis…
_Je ne voulais pas t’affoler avec ton voyage…
_Il me retrouvera si je rentre…
_Et puis Gaëtan m’a promis de rester jusqu’à ton retour et même après !
_Seulement si tu me fais des excuses… dit ce dernier sèchement,
_Je dois rester ici…
_Quoi ? Tu comptes m’abandonner comme ça ? Et comment vas-tu faire là-bas ? Tu comptes vivre de quoi ?
_Je te l’avais dit… Soupira Gaëtan,
_Miraz, je ne sais pas si je pourrais rentrer, ça nous ferait courir un trop grand risque à tous. J’ai l’opportunité de disparaître de son collimateur. Et je le ferais si ça doit tout arranger.
_Quoi ?! C’est stupide !
_Merci…
_Non, mais tu ne peux pas fuir tes problèmes comme ça !
_Pourtant je le fais très bien là ! Et on a affaire à un problème qui ne se résorbera jamais de lui-même. Il est complètement obsédé par moi. Il faut que je l’aide à oublier.
_Ce n’est pas à toi de régler ses problèmes ! C’est ce que tu me serinais toujours ! Et en plus, tu vas faire comment à Madagascar ? Tu n’as pas de travail, pas de maison, personne qui peut t’aider !
_Si, j’ai bien quelqu’un. Répondit Raphaëlle sur un ton décidé qui la surprit autant que sa meilleure amie.
_Attends, quoi ?! Tu as quelqu’un…
_C’est ton petit ami imaginaire ? Se moqua Gaëtan, je t’avais dit qu’elle n’était pas claire comme nana.
_C’est qui ? Tu l’as connu comment ?
_Je dois aller le rejoindre justement.
_Pourquoi tu ne m’en as jamais parlé ?
_Les plus belles histoires se construisent sur des secrets je crois. A plus tard. »
J’arrive, écrit-elle rapidement à Fanantenana.
Une fois encore elle se sauva sans explications. Mais elle avait des choses autrement plus importantes à faire. Elle avait rassuré son amie de sa présence pendant quelques instants autant qu’elle l’avait inquiétée de son absence latente. Elle ne pouvait plus revenir en arrière. Elle était beaucoup trop décidée à sauter enfin le pas.
Il était vingt heures quand elle sortit de l’hôtel. Le vent avait rafraîchit les rues de la ville. Le soleil était couché depuis plus d’une heure. Des voix au loin lui donnaient l’impression d’évoluer dans une ville fantôme. Elle s’était changée, portait un jean plutôt moulant, un chemisier qui lui dégageait délicieusement la poitrine et des baskets roses pâles en suédine dont elle avait pris soin d’échanger les lacets contre des rubans camaïeu rosé. Elle avait mis tous ses bijoux porte-bonheur, sa boucle d’oreille en argent sur le lobe de son oreille, ses bagues sertis d’oxydes qui ressemblaient presque à de vrais rubis et le collier que sa mère lui avait offert plus jeune. A l’intérieur se trouvait la lettre miniaturisée que cette dernière lui avait écrite alors qu’elle était une fois encore à l’hôpital en raison de ses crises d’angoisse chroniques.
Non, je ne vous obligerais pas à lire une énième lettre empreinte de souffrance et de … Bon, si vous insistez …
« Raphaëlle,
Parce que je me refuse de t’appeler Noélie, l’enfant que j’ai mis au monde n’a rien d’une maladie.
Je sais qu’en ce moment tu es traversé de mille aiguilles qui transpercent les tréfonds de ton âme ma chérie, mais je ne suis pas là pour te rappeler combien tu souffres.
Je t’écris pour te rappeler combien tu es forte, vaillante et brave.
Tu as déjà traversé tant de brumes épaisses, d’anfractuosités profondes et de d’effrois paralysants dans ta vie qui commence à peine, mais tu as toujours su rester la même.
Quelque chose en toi ne change pas, quelque chose en toi croit encore qu’il y a un espoir.
Et c’est ce qui fait que j’ai toujours cru, et je le pense encore cette fois-ci, que tu n’en sortiras que plus pugnace encore.
A chaque fois que ton passé t’a mis à terre, tu t’es relevé.
Quand la vie t’apportait de quoi pleurer, tu cherchais le bonheur là où personne ne l’aurait trouvé.
Quand ton cœur s’assombrissait, tes yeux étincelaient toujours.
Je ne sais comment tu as su garder cette lueur en toi. Je sais juste que je t’ai toujours admiré pour cela.
Je t’aime Raphaëlle. »
L’amour d’une mère est bien ce qu’il y a de plus beau, vous en conviendrez… Je vous laisse imaginer la joie ressentie de savoir que quelqu’un croyait en elle plus que tout. Sa mère a longtemps cherché qu’elle pouvait être la source de l’espoir de sa fille sans savoir qu’il se trouvait dans son regard aimant.
Rien ne rend plus heureux que de se savoir à l’abri dans le cœur de quelqu’un. Il est possible que j’eusse volé cette pensée à Fanantenana d’ailleurs… Mais il n’est pas là pour me reprendre ou se défendre alors on va dire qu’elle est de moi.
Raphaëlle avançait d’un pas de plus en plus claudiquant en serrant ce collier dans sa main.
_Alors là, on nage dans la folie pure…
_Tu es encore là toi ?
_Je suis bien la seule à t’avoir suivi jusqu’ici pour m’assurer que tout irait bien…
_Tu m’as suivi parce que tu savais que le mal que tu pourrais me faire en cet instant serait monstrueux.
_Tu me connais bien mal Raphaëlle, tu te connais bien mal. Tout ce voyage pour te rendre compte que tout ce que tu veux c’est vivre ta vie comme tu l’entends. Tu ne pouvais pas te le dire de ta petite chambre, dans ta petite maison, dans ta petite rue, de ta petite ville et de ta petite France si familière ?
_Il y a des réponses qu’on ne trouve pas dans le quotidien Noélie !
_Les réponses sont là où on souhaite bien les trouver.
_Si tu as si peur, va-t’en !
Elle approcha de la rue où se trouvait Fanantenana, de sa maison. Elle aperçut un feu au loin et deux personnes, discuter tranquillement, assises autour.
_Je ne peux pas Raphaëlle, tu viens de faire sauter les dernières barrières qui te protégeaient de moi.
Raphaëlle ressentit de vives douleurs dans tout le corps. Elle fut prise de frissons, de tremblement. Son rythme cardiaque accéléra à l’en faire tomber à la renverse, à quelques mètre seulement de son but. Des larmes coulaient de ses yeux qui se révulsaient par moment. Elle était saisit de spasmes. L’univers dans son entier semblait tourner à une vitesse folle autour d’elle. Une profonde détresse l’envahit. Elle avait l’impression d’être une enfant qui cherche ses parents en pleurs.
Des voix se rapprochèrent, un incompréhensible discours se fit entendre quand dans cette logorrhée verbale elle entendit un « Raphaëlle ! ». Puis vint un trou noir, le néant l’avait emporté avec lui. Ainsi Noélie avait créé un vide capable d’aspirer son âme.
Elle rouvrit les yeux. Elle suait encore à grosses gouttes et des courbatures lui meurtrissaient le corps. Deux gros yeux ronds apparurent au-dessus d’elle :
« Rahalahin-drain'i ! » Sembla crier ses yeux qui disparurent dans l’obscurité de la pièce.
Elle était allongée sur ce qui semblait être un lit. Elle n’arrivait pas à se lever, clouée au drap par sa peur.
_Les antidépresseurs, ça fait trois jours que je ne les ai pas pris… C’était de la folie…
« Je ne te le fais pas dire ! S’exclama une voix féminine qui semblait être la sienne, elle releva la tête et la vit. Assise sur un vieux fauteuil miteux. Les cheveux noirs ébène, le visage blanc comme la lune, les yeux luminescents et les lèvres pâles comme la mort. Elle portait une longue robe noire ne laissait apparaître que ses jambes fines et ciselées. Elle se tenait droite, la tête haute et le regard dédaigneux :
« Tu voulais me rencontrer en personne, me voilà Raphaëlle.
_N…N… Tenta Raphaëlle la gorge nouée de haine et de tristesse,
_Tu ne peux même plus parler ? Je vais le faire pour toi. Oui, c’est moi, Noélie ! Proféra celle-ci, caustique,
_Comment…
_Fais-je pour me tenir devant toi ? C’est toi qui fais ça, je ne suis que la représentation du chaos qui règne dans ton esprit.
_Va-t-en !
_Oh non Raphaëlle, je ne partirais plus jamais. Tu ne vis que pour moi, tu as besoin de moi. Pourquoi n’arrêtes-tu pas de te mentir ? Tu as besoin de ses peurs, elles te rassurent, te canalisent, tu te crois en sécurité quand tu te décrètes incapable de faire une chose. Je vais t’empêcher de te faire du mal Raphaëlle. Tiens-toi tranquille et viens avec moi ! Susurra-t-elle en se levant et s’approchant d’elle. Il émanait de son corps un souffle glacial qui aspirait toute son énergie vitale au fur et à mesure qu’elle s’approchait.
_Tu ne m’entraîneras pas à ta suite ! Je te connais trop bien. Je sais que je peux te faire disparaître quand je veux. Je n’ai qu’à faire disjoncter mon système émotionnel et tu t’évanouiras.
_Tu ne pourras pas faire ça sans tes drogues, tu es à la merci de tes émotions. On est plus forte que toi !
Les murs semblaient, tout à coup, réfléchir la silhouette de Noélie des myriades de fois. Sa voix résonnait dans ses oreilles en des milliers d’écho.
_Je n’ai plus peur de toi !
_Tu m’appartiens.
_JE N’AI PLUS PEUR DE TOI ! Rugit-elle avec fureur.
Elle vit Noélie se condenser en une épaisse fumée noire et fondre sur elle. Elle ferma les yeux et se laissa emporter par un tourbillon effroyable d’idées noires.
Je tente l’impossible pour toi mon amour. J’irais me chercher aux confins de l’univers pour te ramener à toi.
Elle voulut s’arrêter de respirer, arrêter son cœur. Chaque battement était un supplice alors qu’elle était suspendue dans l’océan sombre et impétueux de ses pensées. Elle commença à s’enfoncer dans le bourbier de ses émotions.
Alors, c’est comme ça que ça se termine ? J’ai perdu la guerre finalement ?
Elle sentait que tout dans son être devenait irrégulier et bancal.
Je n’en reviendrais pas cette fois.
Le noir, encore le noir, c’est tout ce qui l’encerclait et le néant se resserrait sur elle. Elle se sentait perdue, abandonnée à elle-même.
Je suis là ! Chuchota une voix du fin fond d’un souvenir.
« Qui est là ? Cette voix… Interrogea Raphaëlle,
_Je suis là ! Continuait la voix de plus belle,
_Maman ?! S’écria-t-elle,
_N’ai pas peur !
_Maman !!
_Je crois en toi… Murmura la voix,
_Viens me chercher, je t’en conjure !
_Tu t’en sortiras toute seule comme toujours ! » Lui assura-t-elle.
Elle vit le visage de sa mère. Celui qui, candide, lui avait dit que tout irait pour le mieux.
Je ne laisserais plus personne me faire du mal !
Elle inspira tout ce que ses poumons étaient capables de contenir, leva la tête et se releva d’un seul coup. Elle haletait, c’était comme si elle était restée en apnée tout ce temps.
« Raphaëlle ! Tu m’as fait si peur ! Lui fit une autre voix familière en lui empoignant le bras. Elle leva doucement les yeux sur la personne qui se tenait à ses côtés. Elle vit sa main plus grande que la sienne et rugueuse. Elle vit son bras plutôt musclé. Elle vit sa peau irrégulière et caramel. Elle vit… Un fauteuil étrange, avec des roues. Elle releva la tête.
« Fanantenana… » Soupira-t-elle les yeux brillants de larmes et de joie.
_Tu m’as fait très peur Raphaëlle, Tsara tarehy be ianao… tiako ianao.»
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