7. Sacha
Mais qu’est-ce qui m’a pris ? En même temps, je n’en pouvais plus, je n’avais qu’une envie, me jeter sur lui comme une panthère affamée, pendant que je déblatérais mes arguments ! Je ne suis pas sûre d’avoir été totalement convaincante, pour le coup. J’avais l’impression que je ne faisais que mettre un mur de mots entre sa belle gueule et mon désir. J’espère que je n’ai pas dit de conneries. J’essayais de me contrôler, de rester focus sur mon discours, mais en même temps je voulais plaquer ma bouche contre ses lèvres, caresser ses bras, découvrir son odeur. Je ne pensais plus qu’à ça. Comment c’est possible, un truc pareil ? Hier, quand il est entré dans mon bureau, j’ai bien senti qu’il se passait quelque chose en moi, que mon corps me parlait, mais les mots étaient encore confus, je pouvais les mettre de côté, feindre de ne pas les écouter. Alors que tout à l’heure, dès que je l’ai vu, tout est devenu en un instant parfaitement clair : j’ai su comment ça allait finir.
Quand même, j’aurais pu être moins frontale, dans ma manière de faire. À ma décharge, si je n’avais rien dit, les faux-semblants auraient pu se prolonger encore longtemps. On était là, tous les deux, à faire semblant de nous livrer à une entrevue professionnelle, alors que n’importe quel observateur extérieur aurait discerné en une fraction de seconde ce qui se jouait réellement. Je le voyais bien, en train de me déshabiller du regard, tout en tentant de faire bonne figure. Il croyait quoi ? Qu’en évitant tout propos un tant soit peu équivoque je n’allais me rendre compte de rien ? Tout en lui débordait de désir, et plus je le regardais, plus le mien augmentait. Et lorsque la discussion a commencé à s’échauffer, quand on s’est mis à s’envoyer des coups de griffe bien acerbes, ça sonnait comme un prélude à un corps-à-corps torride entre deux fauves. Je sentais tout mon corps me brûler et je voyais bien que, lui aussi, il parvenait de plus en plus difficilement à se maîtriser. Il fallait qu’on l’assouvisse, cette pulsion, c’était inévitable.
Reprends tes esprits, cocotte, maintenant que c’est fait ! Tu as deux filles, tu te rappelles ? Il faudrait peut-être que tu t’en occupes un peu, non ? Pourvu qu’elles ne vous aient pas entendus, tout à l’heure !
Avec un peu de chance, elles avaient leurs écouteurs dans les oreilles, comme d’habitude. Oh ! Et puis après tout, je fais ce que je veux, elles ne vont quand même pas me dicter ma façon de gérer ma vie sexuelle !
— Les filles ! Vous avez faim ? Bérénice ! Camille !
Évidemment, pas de réponse ! Pour le coup, ça m’arrange, ça veut dire qu’elles ne se sont aperçues de rien. Qu’est-ce que je vais leur faire à manger, moi ? Avec tout ça, j’ai oublié d’acheter le gratin. Je vais bien trouver quelque chose. Des pâtes, ce sera très bien. De toute façon, quoi que je fasse, l’une fera la gueule ou l’autre râlera, alors je ne vais pas me casser la tête. Elle tourne bien assez comme ça, ma tête. Putain, ce que c’était bon.
Non, mais tu t’entends ? Tu as quel âge ? Tu ne nous ferais pas une petite crise de la quarantaine, toi ?
Non, ce n’est pas ça, papa, c’est lui. Uniquement lui. L’effet qu’il me fait. La pression de sa main sur mes cheveux. Son souffle chaud contre ma nuque. Les muscles de ses bras se contractant sous son tee-shirt. Nos vêtements éparpillés dans la chambre. La sueur de nos deux corps brûlants. Ses yeux écarquillés lorsqu’il était sur le point de. Le cri que j’ai retenu comme j’ai pu au moment où.
Ça suffit ! Tu ne le reverras pas. C’est décidé. Il te fait dérailler, tu le vois bien. Casserole, eau, pâtes, les filles. Et demain, au boulot, cocotte, comme d’ordinaire. Tu seras focus sur tes rendez-vous, tu te consacreras entièrement à ta fonction. Tu n’as pas fait tous ces sacrifices, pendant de longues années, pour te laisser déconcentrer maintenant par le premier beau gosse qui passe le seuil de ton bureau. En plus, tu adores ça, élaborer des stratégies pour faire fonctionner au mieux ta société. C’est ça, ta vie. Elle est très bien ainsi. C’est comme ça que tu prends ton pied. Ne va pas tout compliquer pour une banale histoire de cul.
N'empêche qu’il a un très beau cul. Samir. Rien que le fait de prononcer son nom, ça me rend dingue. Ce sifflement élégant par lequel il commence, ce a rond comme sa bouche quand il a pris mes lèvres, le m n’en parlons même pas, il mime à lui seul le plaisir, ce i qui ressemble à un cri de jouissance et le r final qui donne une touche rauque et virile… C’est fou ce qu’un prénom peut devenir sexy quand il est porté par quelqu’un qui nous attire. Samir. Samir.
Stop ! On dirait une adolescente qui vit son premier émoi. Il ne faut pas le revoir. Hors de question, tu m’entends ? C’était la seule et unique fois. Répète : c’était la seule et unique fois.
Samir.
Mince ! La casserole ! Ça déborde !
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