[Petit texte] - Intoxications

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Lorsque nous posâmes le premier pied sur le cadavre du Seigneur des Vallées, nous pensions pouvoir poser pour le peintre en héros de la cité, pour immortaliser notre figure. L’odeur était atroce, et chacun concevait que la bête n’était en rien naturelle et que la fumée qui s’en dégageait n’en laissait rien douter. Nous fûmes toutefois étonnés par la couleur rouge du sang qui s’écoulait de sa béance : l’on eut dit que le malin y eut pleuré quelque infernale douleur pour lui donner une teinte unique. L’un de notre corps de valeureux guerriers eut l’idée saugrenue d’y tremper sa main et immédiatement, il eut crû qu’elle fut en feu. Nous le vîmes se dandiner sur place tel un fou cabriolé et nous dûmes user de moult ruades et force bras pour le maîtriser. Le rude gaillard était comme possédé par on ne savait quel mal, aussi nous l’attachâmes et nous promîmes de faire son cas en heure et en lieu. L’idée de poser nous parut alors moins séduisante et nous décidâmes de juste trancher la tête de notre ennemi vaincu. Sa grande gueule longue de sept pieds, couverte d’écailles dégoulinant de venins, avec ses yeux fendus et vitreux, en dégoûta plus d’un ; heureusement, nous étions assez pour le rouler sur le côté et prendre le coin le plus doux de sa carcasse, là où les écailles se faisaient aussi fines que le squame d’un serpent. À coups de haches et d’épées, nous vînmes à bout de notre besogne et il fallut deux heures pour nous reposer. Le sang coulait à flots et ternissait l’herbe fraîche, tel un brasier de raid sur un village de pauvre hères. Nous nous sentîmes un peu embaumés d’une odeur rance et soudaine, quand un de nos compagnons se mit à chahuter un autre et, au bout de quelques minutes, nous nous battîmes tel des enfants pour savoir qui aurait la récompense que le duc avait promis. Le sang nous monta à la tête et, bientôt, il couvrit nos armes et nos armures. Cela aurait pu être la fin de notre rude aventure si trois d’entre nous, plus pieux et plus valeureux que les autres, résistâmes à l’appel démoniaque de ce sang maudit. Nous n’eûmes cependant pas le loisir de nous remettre de nos ébats : notre ami attaché n’eut d’autre façon de se libérer que de gonfler, au point que son armure craque et se transformer en un monstre des plus vilains, au visage d’homme de mauvaise foi et à l’haleine de bouc. Nous étions épuisés et, faute de séduire la Victoire, nous embrassâmes la Fuite. Rentrés au bercail, nous fûmes accueillis en pleutres et nous sombrâmes petit à petit dans la folie de la honte d’avoir tué nos nôtres et d’avoir abandonné notre compagnon dans les machinations du malin. Nous partageons ces mots avant de rejoindre les landes de souffre, pour quiconque aura assez de courage pour vaincre le dragon du dehors et celui du dedans.

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