[Petit texte] - Une chose de lire sur les dragons, une autre...

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La forêt dense écaillait quelques morceaux de l’ombre alors qu’elle se faufilait entre les branches les plus resserrées qui ressemblaient plus à des lianes de pierre. Elle avait perdu sa machette lorsque la pluie était tombée, et l’eau l’avait emporté dans le fond de la vallée avec les autres trésors. L’intruse regarda le soleil percuter le sol avec ses lances de miel ardent, à travers le barreau des feuilles. La Vallée d’Anbgaardan n’était décidément pas faite de la même manière que les autres : on racontait des choses sur ce qui s’y perdait, comme quoi tout se changeait en vivants cauchemars la nuit, par le seul et immense pouvoir d’un Seigneur des Crevasses. L’ombre eut un frisson lorsque se souleva quelques brindilles sur le sol sous l’action du rieur des nuages. Il faisait sombre et on était en plein été, et la lumière perçait les branches en plafond d’étoiles topaze, ou plutôt des yeux d’esprits qui cherchaient à revêtir votre peau pour distinguer une autre lumière que la leur.

Les lieux se révélèrent à celle qui cherchait : les arbres s’écartèrent de leur chef, les fleurs évanouirent leurs parfums et les oiseaux cessèrent de palabrer le temps d’un silence, juste un. Devant son regard, le fond de la vallée n’était qu’une vaste cité de ruines moussues où une rivière foudroyée y jouait de géométries urbaines pour se frayer un chemin. La cité était construite de façon circulaire et, en son centre, une esplanade que l’on voyait de loin. L’ombre avait lu autrefois que c’était l’endroit où les mortels et les Souverains Nimbistiques débattaient dans un langage perdu. Elle avait lu qu’ils étaient plus grand qu’un nuage et que leur passage provoquait le tonnerre, la pluie et le vent. Elle avait aussi lu qu’il n’y avait pas d’arbre dans leur temple céleste, car ils étaient des ponts qui rattachaient les mondes.

Et ceux d’en haut vouaient un culte à la séparation.

Pourtant, alors qu’il s’agissait d’une cité de Crevasse, elle remarqua qu’au centre, il n’y avait pas d’arbre qui régnait. Non, il y avait plutôt une statue de fer gigantesque en forme d’oeuf. La silhouette descendit de sa corniche, dévala la pente pour se retrouver engluée dans le petit étang que formait la périphérie de ce souvenir avachi entre l’herbe et le temps. Elle garda contenance quand, d’un coup, de magnifiques esturgeons s’envolèrent haut pour replonger dans des profondeurs bien trop importantes, quelques mètres plus loin. Là-bas, l’eau y était plus sombre que le sang de la terre.

Elle s’approcha, esquiva les pierres glissantes et dérangea la quiétude des petits habitants de l’endroit, qui la regardaient d’un œil critique. Elle seule pourtant savait qu’il n’y avait qu’un seul regard, qu’une seule présence dans cette multitude. Elle avait lu que les Seigneurs des Crevasses étaient de grands orateurs de foule, qu’ils pouvaient charmer quiconque d’un simple claquement de langue. Après quelques péripéties houleuses de bottes trempés et de moustiques agaçants, elle fut accueillie par l’esplanade ; on eu dit que le temps s’y était englué dans une toile d’araignée aussi délicate que la brise.

L’oeuf de fer était immense, plus grand que n’importe quel arbre de la forêt. Il lui faisait de l’ombre à l’ombre et paraissait pourtant traversé d’une quelconque lumière. Curieuse, l’ombre vint le toucher. Chaud.

L’oeuf remua. Elle recula d’un bond quand des ailes de nacre se déplièrent sur un corps sineux et un crâne de reptile plus perfide que les plus siffleurs des serpents. Le Seigneur des Crevasses allait la dévorer toute crûe !

— Oh bordel, j’ai la gueule de bois, résonna la voix profonde de la créature dans ses oreilles.

L’ombre resta coi. Le Seigneur des Crevasses finit par la remarquer et par un mouvement aussi ample que gracieux, posa sa tête devant elle.

— Eh, toi, amène un peu d’eau et balance-en sur ma tête.

Comprenant qu’on venait de lui donner un ordre, l’ombre se protesterna en implorant le pardon du puissant Seigneur. Qui lâcha un son inattendu : un râle d’ennui.

— C’est pas bientôt fini, les bipèdes qui lèchent le sol ? J’ai déjà essayé, ça a pas bon goût.

Elle sentit son agacement et l’implora de ne pas la dévorer. Le Seigneur des Crevasses s’époumonna dans un rire à crever les rochers.

— Mais quelle connerie, ça ! Allez, c’est quoi ton p’tit nom ?

L’ombre releva la tête pour croiser un globe recelant un trésor de savoir et une étincelle de vie et d’humour comme elle n’en avait jamais vu. Alors déglutissant, elle répondit :

— Je m’appelle Ombre.

— Eh ben, Ombre, moi c’est Tuck le dragon. Et t’inquiète pas, je suis le genre de dragon du matin !

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