[Petit texte] - Sur sa tête, il y a 42 cheveux
Le juge énumère les chefs d’accusation : « Incitation au désordre et à la moquerie, atteinte à la morale classique, danger pour la jeunesse en pleine formation physique et morale, paganisme, pornographie, provocation… »
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Je frotte mes paumes moites, assis dans le couloir à côté de la porte qui mène au tribunal. Mon avocat, un freluquet des plus gredins avec une loupe à la place du visage, me zieute si effrontément que je dois me retenir de le frapper au visage.
Il faut dire que ma situation n’a rien de reluisant. Le 14 juillet 2019, j’ai organisé le plus gros rap battle de la cité de Bendhamm que, dans mon amour pour la Grèce Antique, j’ai renommé les Dyonizones. Le thème ? Des effusions bacchanales ! Des satires ! Des loufoqueries en veux-tu en voilà ! Bref, on s’était réunit avec les reufs et les gonz et sur la pelouse, on a tonz les grands morts des ultra-libéraux, des gauchos un peu mous et des cocos fous de Dieu. Moi, j’ai ride sur la puff et j’ai broyé la langue de Molière pour insulter la daronne de Jizz, le petit nouveau. Il l’a mal pris… mais y a pas eu que lui. J’ai aussi dit que la « Wicca c’est plus fort que toi » et wallah l’iman m’a harangué comme on aurait vu dans des scènes de film grandioses, genre Ben hur ou Monty Python, avec les crachats des enfers dans lesquels il me disait que j’allais finir en priant le Shai’tan. Perso je crois qu’il était salé parce que contrairement à lui, mes idoles sont des femmes fortes et magiques qui avaient le verbe plus fort que nous autres rappeurs. « Les rappeuses », je slamais, « c’est leurs dignes héritières. Un tiers de leurs talents viennent des os de la terre ». Puis j’ai parlé de la libération sexuelle, du fait que le corps ça appartient à tout le monde et c’est là que JE PARLE, JE HURLE que j’ai jamais [REDACTED] et que même si je passe mon temps à me [REDACTED] sur des vidéos de [REDACTED] et que je me réjouis du scénario. Mes hanches se déchaînent, je danse comme un fou et les potes me suivent, on se lance des injures plus démoniaques les unes que les autres. Des keufs passent. « ACAB !!! » qu’on leur fourre dans les deux oreilles. Ils s’énervent et nous chassent du skate park ; les maximators sous les chaussures (qu’on ramasse pour les balancer sur les policiers), on s’enfuit en rigolant quand on croise la route de Jizz, le jeunot, le nouveau ; il a genre quoi, 11 ans ? Il est accompagné de toute sa petite bande de brutes et il veut se battre. Mauvaise pioche pour lui, on le défonce et on lui crache dessus. Sur son petit visage de merdeux tout amoché, je lui grave au couteau ces mots : « T’es né pour servir et pour te battre. Choisis ». Le lendemain, les parents ont gueulé contre nous, contre moi, comme quoi j’étais un malade mental et au poste de police, l’iman a personnellement plaidé contre mon cas, prétextant que mon âme était damnée et que j’avais besoin d’un exorcisme.
Je rentre dans la cour de justice. Le juge énonce les accusations puis me demande de me défendre. Je réponds : « Je choisis de me battre ».
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