Chapitre 2 - L'Aubelhaut
Nous travaillons dans la plus grande salle de la bâtisse du savoir. Cette pièce mesure plus de 150 pieds de long et de 100 pieds de large. Les murs sont de pierre ocre parsemés de hautes et larges fenêtres en vitraux, le toit est à plus de 30 pieds, il est soutenu par des colonnes en grès rouge. Plus d'une centaine de moines copistes travaillent 6 jours par semaine dans ce lieu dédié à la pérennité de la connaissance et à sa découverte.
Grâce à de larges fenêtres, la salle est baignée, dès les premiers rayons du soleil, d'une ample lumière. Elle permet de travailler sans torches ou lampes à huile. C'est une des salles les plus claires et imposantes du domaine des bâtisses de l'Aubelhaut.
Cet ensemble de bâtiments est situé dans les montagnes de la Grande Pointe à plus de 10 000 pieds. Ceint de murs massifs, de portes et de tourelles construits en terre et en pierre rouge ocre. L'Aubelhaut est constitué d'une dizaine de bâtiments. Ils comprennent des milliers de peintures murales, plus de 10 000 rouleaux et livres, des sculptures, des tapis, des pièces en porcelaine et encore bien d'autres choses.
L'Aubelhaut est visible à des lieux et des lieux, on le dit éternel, car nul ne se souvient des dates de sa construction. Il est d'une beauté incroyable. Au lever du soleil, il embrasse de sa grandeur, il se révèle dans la neige avec sa couleur rouge.
Nous sommes plus d'un millier à circuler dans les dédales de ces palais, des moines, des guerriers, des érudits, des chercheurs et des magiciens. Ces derniers ne sont pas très nombreux et souvent, ils restent dans le bâtiment du verbe.
Je m'appelle Oeno, je suis un jeune moine copiste. Je n'ai reçu ma tonsure qu'il y a 2 ans et je ne suis affecté à la bâtisse du savoir que depuis 18 mois. Je parle et j'écris une bonne dizaine de langues, j'ai une grande facilité d'apprentissage et je dévore le savoir. Je ne me taris jamais d'apprendre, d'apprendre et encore d'apprendre. Je suis passionné par la découverte de nouvelles histoires. Mon métier de copiste me passionne, car à chaque nouveau livre, je m'abreuve d'un nouveau savoir.
Ce matin, j'ai commencé la copie d'un nouvel ouvrage. Celui-ci est très vieux et très abîmé, je dois le manipuler avec beaucoup de précaution, car certaines pages pourraient se déchirer ou s'effriter. Il s'intitule " Les Lettres des ombres ". Il a été écrit, semblerait-il, par un ancien voyant, un prophète, il y a plusieurs centaines d'années.
La première lettre que j'ai recopiée ce matin, évoque sa première vision. Les phrases sont confuses et les idées s'entremêlent. La compréhension est difficile, voire incompréhensible.
La seconde lettre est beaucoup plus lisible : il parle d'une contrée perdue derrière de hautes montagnes, de la naissance d'une secte qui croit en la nécromancie et s'acharne à la résurrection de Beloth, leur dieu. Étrange, car cette secte existe depuis déjà de nombreuses années, elle se répand comme le vent dans toutes les contrées et les régions. Elles rassemblent, car elle se nourrit des extrêmes, des pauvres et des plus fragiles. Elle prône la fin des inégalités et promet aux plus pieux la résurrection sur Terre. Étrangement, certains sont réellement ramenés à la vie. Nous ne savons pas encore si l'on parle de supercherie. Les Verbeux prétendent que la résurrection peut être réalisée, mais qu'elle pervertit l'âme et que la personne qui revient n'est jamais la même.
Je tourne les pages pour débuter la troisième lettre. La page est déchirée, nous n'apercevons qu'une partie du texte. Même si nous n’avons qu’une partie du texte, je plante ma plume dans l'encrier et je commence la recopie. Il est de notre devoir de recopier le plus précisément possible ce qui est écrit.
Je rédige mes premières lettres et je m'arrête. Le texte est très étrange, cela ressemble à du verbeux. Nous ne sommes pas autorisés à le lire ou à l'écrire, car il peut provoquer des accidents. Je m'arrête de ce pas. Je regarde la quatrième page, nous avons de nouveau du Litianan. Là, il décrit avec précision ce qu'il faut réunir pour réveiller Beloth.
Je me lève de mon pupitre, referme avec précaution le vieux livre et je me dirige d'un pas décidé vers le maître copiste. Il est installé au fond de la salle sur une estrade. On le surnomme, Soleil de plomb, car jamais il ne relâche son attention sur nos longues journées de travail. Je me rapproche d'un pas décidé, monte les quelques marches qui me séparent de son écritoire. Je m'arrête face à celui-ci. Et j'attends qu'il m'adresse la parole. Au sein de l'Aubelhaut, il y a une étiquette différente dans chacun des bâtiments et on ne s'adresse pas de la même façon au maître, aux ponces, aux vicaires, aux verbeux,ou aux différents seigneurs qui gouvernent ces lieux.
Pour les maîtres, nous ne pouvons leur adresser la parole que lorsqu'il nous adresse la parole. Parfois, ils se jouent de nous et ils ne nous font attendre que pour tester notre patience. Un faux pas et vous vous retrouvez de corvée, un jour ou deux plus qu'à raison. Je patiente calmement. Maître "Soleil de plomb" ne me fait pas trop attendre et après quelques minutes, il me dit :
- Que veux-tu, Oeno ? Je ne te vois que rarement à mon chevet.
- J'ai là le vieux livre que vous m'avez confié ce matin et je ne peux continuer à le recopier, car il contient du verbeux.
- Hum, hum.
Dit-il, tout en me scrutant de son regard perçant.
- Dans ce cas, tu n'as cas aller le remettre au vicaire du verbe.
Et d'un mouvement ample du bras et de la main.
- Allez ouste.
Je fus désappointé par cette réponse. Normalement, nous remettons le livre au maître et il se charge lui-même de déposer l'ouvrage aux verbeux.
Pour la première fois de ma jeune vie, je partis pour la maison du verbe. Après avoir revêtu un long manteau chaud et une écharpe, je sortis sous les bourrasques de Ténesme, le vent d'hiver. Il souffle environ six mois par an, un grondement aigu et strident, vous giclant le visage d'un froid saisissant et mordant. Je n'avais qu'une centaine de mètres à réaliser et pourtant, je peux vous assurer qu'en cette période de l'année, vous avez l'impression de réaliser un bon lieu.
D'un pas pressé, mais vigilant, je fus en quelques minutes sous le porche de la tour des verbeux. Ce bâtiment était, disait-on, un des plus vieux de l'Aubelhaut et aussi certainement le plus haut. C'était une tour d'une centaine de pieds de diamètre et de hauteur. À part la grande porte où je me tenais, il n'y avait pas d'autres ouvertures avant une vingtaine de pieds. Rare sont les novices qui entrent en ces lieux, et ce fut avec une peur mêlée de curiosité que j'utilisais le heurtoir de bronze au milieu de la porte. Ce dernier représentait la tête d'un démon.
Le bruit du heurtoir fut ample et puissant.
Quelques minutes après, un des pans de la porte s'ouvrit lentement dans un crissement mesuré, comme si elle ne s'était pas ouverte depuis des années. À l'entrée, se trouvait un jeune vicaire. Il me regarda d'un air surpris tout en m'interrogeant poliment :
- Bien le bonjour, jeune novice. Que nous vaut cette visite par un jeune membre des copieurs ?
- Bonjour cher Vicaire, j'ai là un ouvrage avec du verbeux et mon maître m'a prié de venir vous le remettre.
- Comment as-tu su que c'était du verbeux ?
- Je n'en suis pas convaincu, mais il m'a semblé reconnaitre quelques caractères interdits.
- Viens, suis-moi, nous allons vérifier si ce que tu dis est vrai.
Il m'invita à rentrer et referma la lourde porte derrière moi. L'entrée était vaste, elle se composait d'un hall avec trois entrées et d'un large escalier qui débutait en son centre. Cette pièce était illuminée par des orbes lumineuses. Je suivai le vicaire. Nous entrâmes dans une grande pièce avec le mur et le sol recouverts de magnifiques tapis. Un bureau trônait dans un coin. Étrangement, il était vide. Le vicaire s'assit et me demanda de lui présenter les pages où se trouvaient le soit-disant verbeux.
Je m'exécutai et ouvrai le livre à la première page où j'avais vu les premiers caractères.
Il retourna le livre vers lui et posa son doigt sur les caractères tout en fermant les yeux. Les lettres s'illuminèrent légèrement, comme si la présence de ses doigts sur ces lignes révélait un monde inconnu. J'étais stupéfait par cette découverte de la lecture avec les yeux fermés. Pourtant, cela ne dura que quelques secondes, car il n'effleura que deux à trois mots maximum. Il s'arrêta et ouvrit de grands yeux. Il se leva rapidement et se dirigea vers la sortie. Avant de quitter la pièce, il se retourna et m'ordonna :
- Surtout, vous ne bougez pas de cette pièce et vous faites extrêmement attention à cet ouvrage.
Je me retrouvais seul dans cette pièce. Elle était plutôt confortable et chaude. D'ailleurs, je me défis de mon écharpe et j'ouvris mon manteau de laine. Après quelques longues minutes, un homme grand d'une quarantaine d'années rentra dans la pièce suivi du Vicaire. Il me regarda de haut en bas, d'un regard sombre et froid. D'un pas alerte, il se dirigea derrière le bureau et exécuta les mêmes gestes que le Vicaire. Il s'arrêta à quelque chose prêt aux mêmes caractères.
- Pacile, ce jeune homme restera parmi nous. Trouve-lui un logement : dorénavant, il fera partie de la maison des verbeux. Informe son maître copieur qu'il rejoint notre maison. Une dernière chose, organise un conclave pour ce soir.
Et de ces mots, il sortit de la salle.
Je ne comprenais rien à ce qui m'arrivait. Me voilà en quelques heures membre de la maison des verbeux, la famille la plus secrète de la communauté. Après le départ du maître, Pacile m'a regardé et m'a demandé de le suivre. Nous sommes partis vers une alcôve cachée par une tenture, derrière celle-ci se trouvait un escalier. Après une centaine de marches, nous sommes sortis sur un couloir. Ce dernier devait faire le tour de la bâtisse. Tous les 15 à 20 pieds se trouvait une porte. Après avoir traversé quelques portes, Pacile ouvrit une porte, celle-ci donnait sur une petite pièce, avec un lit à droite, un petit bureau à gauche où se trouvait une bassine d'eau et une carafe. Il y avait une petite fenêtre qui éclairait la pièce d'une lueur jaune claire.
- Voici ta cellule. Je reviens de suite.
Il sortit de la pièce, pour revenir quelques minutes après avec un drap, une couverture, une serviette, des dessous, une nouvelle soutane à la couleur des novices de ma nouvelle maison et des sandales.
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