Chapitre 5 – Les offices 

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À cinq heures du matin, une cloche résonna dans l’obscurité, un son grave et solennel qui semblait éveiller la tour tout entière. Des pas précipités et un tintement aigu se firent entendre dans le couloir, annonçant le prélude à l’aube et, sans doute, l’office des novices. Je me levai en hâte, l’esprit encore embrouillé de sommeil. D’un geste maladroit, j’enfilai ma nouvelle soutane, un vêtement simple mais symbolique qui marquait mon entrée dans cette nouvelle étape. Je me rinçai le visage à l’eau fraîche et bus un verre pour chasser la torpeur avant de me diriger vers le couloir.

En silence, je rejoignis la file des autres novices qui s’étaient déjà rassemblés. Ensemble, nous marchâmes jusqu’à la grande salle commune, le cœur de la vie spirituelle de la tour. La fraîcheur matinale était mordante, et mes pieds glissaient parfois sur les pierres polies du sol, mais je suivais le mouvement avec une curiosité mêlée d’appréhension.

À notre arrivée dans la salle, un mage nous accueillit d’un regard bienveillant, presque paternel. Sous son regard, nous prîmes place en silence. L’atmosphère était empreinte d’une gravité calme, et bientôt, une sérénité palpable s’installa. Un autre mage se leva alors et débuta une lecture, sa voix profonde résonnant dans l’espace avec une cadence qui semblait hypnotiser les novices.

C’était ma première participation à cet office, et je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Je regardais autour de moi, remarquant que nous étions bien moins nombreux ici que dans la Tour des Traducteurs : une trentaine de novices seulement, entourés par une quinzaine de mages et cinq Hauts Mages. Une assemblée plus restreinte, mais où chaque présence semblait peser d’un poids particulier.

Un Haut Mage se leva alors, attirant immédiatement l’attention de tous. Sa voix, posée mais autoritaire, brisa le silence :

— Aujourd’hui, nous accueillons un nouvel arrivant parmi nous. Il vient de la Tour des Traducteurs et, selon nos observations, il semblerait qu’il possède des aptitudes prometteuses pour comprendre et apprendre le Verbe. Oeno, je te laisse te présenter en quelques mots.

Pris au dépourvu par cette invitation, je sentis une vague de chaleur envahir mon visage. Hésitant, je me levai, conscient que tous les regards étaient braqués sur moi. Les mots peinaient à venir, et ma voix, d’abord tremblante, finit par sortir, maladroite et hésitante :

— Bonjour à tous. Je… je suis honoré d’être accueilli parmi vous pour apprendre le Verbe. C’est pour moi un immense privilège de rejoindre cette caste et de marcher sur le chemin de la connaissance à vos côtés. Je ferai tout mon possible pour apprendre humblement ce que vous consentirez à partager avec moi.

Une fois ces mots prononcés, je m’empressai de me rasseoir, le cœur battant, rouge comme un pivoine. J’entendais encore le léger écho de ma voix dans la salle et ressentais une étrange combinaison de honte et de soulagement.

Le Haut Mage hocha lentement la tête, un sourire imperceptible au coin des lèvres, avant de reprendre la parole :

— L’humilité est un bon départ, Oeno. Souviens-toi, apprendre le Verbe demande du temps, de la patience, et un esprit ouvert. Nous serons exigeants, mais justes. Bienvenue dans notre cercle.

Ces paroles, bien que simples, me donnèrent un peu de courage. Je me redressai légèrement sur mon banc, prêt à affronter les épreuves et les enseignements qui allaient suivre.

Le Haut Mage reprit la parole, d’un ton grave et mesuré :

— Ce soir, les Hauts Mages se réuniront en conclave. Une décision difficile requiert toute notre attention. Pendant ce temps, les journées de travaux seront dirigées par les mages.

Son annonce fit planer un silence lourd dans la salle. Puis, après un bref moment, les novices se levèrent. Je les suivis, comprenant que nous étions attendus pour récupérer les plats du petit-déjeuner. Ce dernier se composait de porridge tiède, de fruits secs et de petits pains aux raisins.

La salle commune s’anima rapidement, les discussions s’élevant en un murmure collectif, comme un vent léger qui agite les feuilles. Beaucoup se tournaient vers le conclave annoncé, leurs voix chargées de curiosité et de spéculation.

— Cela fait des années qu’il n’y a pas eu de conclave ! murmura un novice, visiblement intrigué.

— Que peut-il bien se passer ?

— Étrange tout de même, ce conclave et l’arrivée du nouveau, fit remarquer un autre, en jetant un regard furtif dans ma direction.

— On parle d’un livre secret… ou d’une nouvelle relique, suggéra quelqu’un à voix basse.

— Une nouvelle relique ? Nous en avons déjà tant ! répondit un autre en désignant discrètement un Haut Mage voûté par l’âge.

Je les écoutais distraitement tout en mangeant, mais je ne pouvais m’empêcher de sentir de nombreux regards posés sur moi. La tension dans la pièce était presque palpable, et je commençais à comprendre que mon arrivée suscitait plus d’interrogations que je ne l’avais imaginé.

Après ce petit-déjeuner nourrissant, un mage nous rassembla et nous divisa en trois groupes, chacun étant conduit vers une salle pour commencer les études du jour.

La salle où je fus affecté contenait une douzaine de bureaux individuels, un grand tableau noir, et, sur le mur de droite, un tableau périodique du Verbe, signé du Haut Mage Ditriambe. À ma grande surprise, je reconnaissais ce tableau. Il classait les phonèmes du Verbe par éléments — terre, eau, air, feu — et par leur puissance vocale.

Le mage qui supervisait notre groupe remarqua mon regard insistant et récita, presque comme un mantra :

— Tous les corps composés sont formés par la combinaison de la terre, de l’eau, de l’air, du feu et du Verbe. Les quatre premiers sont des corps simples, et le cinquième est la magie qui relie l’ensemble des corps.

Il fit une pause, son regard perçant scrutant chacun de nous.

— À tour de rôle, dos au tableau, vous me réciterez ces phonèmes à voix basse, avec une intention neutre. Oeno, tu commenceras. Sans te retourner, il te faudra les apprendre dans les jours à venir.

Je me levai, légèrement nerveux, mais à ma grande surprise et à celle du mage et des autres novices, les phonèmes me vinrent naturellement. Je les récitai presque sans hésitation, comme s’ils étaient gravés dans ma mémoire depuis toujours. Je pouvais sentir la curiosité et l’étonnement grandir autour de moi, mais je n’osai croiser aucun regard en me rasseyant.

Les autres novices passèrent à leur tour l’exercice, avec des niveaux de succès variés. Une fois terminé, la mage nous accorda une courte pause.

C’est à ce moment qu’un novice s’approcha de moi. Après quelques échanges de banalités pour me souhaiter la bienvenue, il s’approcha un peu plus et murmura à voix basse, de façon presque imperceptible :

— Avec le livre, nous avons toutes les reliques nécessaires pour ressusciter un dieu.

Puis il s’éloigna rapidement, rejoignant un autre groupe, me laissant seul avec ces paroles troublantes.

Ces mots résonnèrent en moi toute la journée, tournant et retournant dans mon esprit. Je ne pouvais m’empêcher de m’interroger sur leur sens, et surtout sur la signification de ce conclave mystérieux. Les heures passèrent pourtant rapidement, rythmées par les différents offices et repas de la journée, mais mon esprit restait absorbé par cette énigme.

À dix-neuf heures, le réfectoire était en pleine effervescence. Les allées et venues des mages et des Hauts Mages marquaient l’approche du conclave. L’atmosphère était chargée de tension et d’anticipation, comme si quelque chose de grand et d’inattendu allait se jouer dans cette nuit qui tombait ! 

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