Chapitre 6 - Le chemin du temple 

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La nuit étendait son voile sombre sur la plaine désolée, et la lune de Sys, immense et scintillante, baignait le sentier d’une lueur argentée. Ses rayons glissaient sur les pierres volcaniques du chemin de la Miséricorde, traçant des ombres mouvantes qui semblaient danser sous nos pas hésitants. Là-bas, à l’horizon à peine visible, se dressait le temple des guerriers de Beloth, isolé et mystérieux, un sanctuaire perdu au cœur des landes sauvages. Cinq lieues nous en séparaient. Un périple de six heures que nous devions accomplir avant l’aube si nous espérions mériter le titre convoité.

Le froid nocturne pénétrait ma peau, s’infiltrant jusqu’à mes os. La brise glaciale sifflait dans les hautes herbes et faisait frémir les ronces bordant le sentier. Nous avancions dépouillés de tout vêtement, nus comme au premier jour de notre existence. Ce dépouillement n’était pas seulement physique ; il représentait l’humilité nécessaire pour affronter l’épreuve sacrée. Chaque souffle que j’expirais formait un nuage de buée avant de se dissiper dans l’air glacial. Nous étions des apprentis, vulnérables et exposés, livrés à la nuit et à nos propres peurs.

Le sentier, jonché de pierres coupantes, se montrait traître à chaque pas. Certaines roches roulaient sous mes pieds nus, provoquant des glissades dangereuses. Il ne nous fallut que quelques centaines de mètres avant que nos corps ne portent les stigmates de cette épreuve. Des entailles rouges striaient mes chevilles et mes jambes. Des gouttelettes de sang tombaient régulièrement sur le sol noir, comme si le chemin exigeait un tribut de notre chair.

Je progressais lentement, avec une concentration presque obsessionnelle. Chaque pas était calculé pour éviter de trébucher ou de me blesser davantage. Pourtant, il était impossible d’échapper entièrement aux ronces qui griffaient mes bras et mes jambes, ajoutant de nouvelles coupures aux anciennes. La douleur devenait un compagnon omniprésent. Elle rythmait ma marche, me rappelant que cette épreuve était autant mentale que physique.

Parfois, je croisais d’autres apprentis sur le sentier. Certains trébuchaient sous le poids de l’épuisement, d’autres s’étaient déjà effondrés, incapables de poursuivre. J’aperçus l’un d’eux, assis sur une pierre, le visage ravagé par les larmes. Son pied, ensanglanté et gonflé, ne lui permettrait plus de continuer. Nos regards se croisèrent brièvement. Il savait, tout comme moi, que son rêve de devenir guerrier s’évanouirait avec l’arrivée de l’aube. Je détournai les yeux, refusant de laisser sa défaite m’affecter.

La lune brillait haut dans le ciel, fidèle alliée de notre marche. Pourtant, malgré sa lumière apaisante, le doute s’insinuait en moi. La douleur semblait croître avec chaque pas, transformant mes pieds en sources de souffrance intarissable. Une voix intérieure, calme mais résolue, me murmura alors : "Un guerrier ne se définit pas par l’absence de douleur, mais par sa capacité à la transcender."

À mi-parcours, je m’arrêtai un instant pour reprendre mon souffle. Le silence de la plaine n’était rompu que par les échos lointains de cris et de gémissements d’autres apprentis. Cette symphonie de souffrance éveilla en moi une étrange sensation de solidarité. Nous étions nombreux à tenter cet exploit, mais seuls quelques-uns parviendraient au temple. Je refusais de faire partie des vaincus. Je serrai les poings, rassemblant ce qui restait de ma volonté, et me redressai lentement.

Le temps semblait se dilater, chaque heure s’étirant dans l’obscurité profonde. Je perdis toute notion de durée. Il ne restait que le froid, la douleur et le scintillement immuable de la lune. Peu à peu, un changement imperceptible se fit sentir. L’obscurité, si oppressante jusque-là, commença à se dissiper. Un léger voile bleuâtre teinta l’horizon. Les étoiles pâlissaient, annonçant l’imminence de l’aube.

Un regain d’énergie me parcourut alors. La fin était proche. Le temple des guerriers se dessinait enfin, imposant et majestueux, ses tours sombres semblant caresser le ciel. Je sentis mon cœur s’accélérer. Chaque pas devenait plus léger, comme si l’espoir chassait la fatigue. Derrière moi, la plaine s’illuminait lentement, mais je savais que le temps était compté. Si je n’atteignais pas le seuil avant que le premier rayon de soleil ne touche le sol, tout aurait été en vain.

Je courus les derniers mètres, ignorant la douleur lancinante de mes jambes. Le temple se dressait devant moi, immense et silencieux, comme s’il m’attendait depuis toujours. Lorsque mes pieds franchirent enfin l’entrée sacrée, un profond soulagement m’envahit. Le ciel à l’est s’embrasa de mille teintes dorées, marquant la naissance d’un nouveau jour. J’étais arrivé. J’avais survécu à la nuit.

Désormais, le temple des guerriers de Beloth m’ouvrait ses portes. L’épreuve était terminée, mais le véritable chemin, celui de l’apprentissage et de la maîtrise, ne faisait que commencer.

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