Chapitre 1: Vivide
Chapitre 1: Vivide.
Gabrielle savait très bien où elle se trouvait, elle aurait reconnu entre mille les murs de cette chambre qu'elle avait souvent occupé. Elle était chez Armand.
Elle se regarda une seconde, vêtue d'une chemise de nuit, pieds nus; ses cheveux avaient été tressés rapidement et elle n'avait plus de sang sur elle. Son bras était soigneusement bandé. Peu de doutes sur le fait qu'il s'agissait sûrement de l'œuvre de Louise, ou peut-être de Marguerite?
« Marguerite!» s'écria-t-elle soudainement pour elle-même.
Gabrielle se précipita vers la porte pour tenter à nouveau de l'ouvrir, mais rien n'y faisait. Elle retourna alors toute la chambre pour tenter de trouver le moindre objet pointu qui aurait pu lui servir de crochet. Tout autour du lit, et même sous celui-ci, elle se mit à la recherche d'une épingle à cheveux, ou même une aiguille, n'importe quoi. Envahie par une satisfaction intense, elle tomba sur une petite boîte en contenant une bonne quantité. Il fallait absolument qu'elle sorte d'ici, le jour n'allait pas tarder à se lever et si elle voulait fuir la maison, mais aussi la ville, il allait lui falloir partir maintenant, cela empêcherait Armand de la poursuivre, mais en même temps il serait trop tôt pour qu'il y ai trop de monde dans les rues.
Tremblante et fébrile, Gabrielle tenta de reproduire les gestes de Marguerite, mais celle-ci ne lui avait pas non plus expliqué la technique, alors cela prit du temps. Beaucoup de temps… Les épingles finissaient par se casser à force d'être tordues, et plus elle recommençait plus il restait de morceaux dans la serrure. Elle se rendit bien compte qu'elle ne pourrait pas sortir de cette manière, autant essayer autre chose. Alors, elle abandonna ses épingles avant de commencer à hurler.
« Armand!! Louise! Laissez-moi sortir ! Marguerite? Tu m'entends? »
Pas un bruit, aucun mouvement. Gabrielle n'aimait pas du tout cela, elle aurait préféré pouvoir sortir de la chambre toute seule, mais mis à part enfoncer la porte, elle ne voyait pas comment faire; mais ce n'était pas avec sa force qu'elle aurait pu faire cela. De plus, elle se rendait compte avec les minutes qui passaient qu'elle avait des douleurs partout dans les bras et les mains, des courbatures lui remémorant avec consternation et terreur les évènements de la veille. Qu'est-ce qu'elle avait fait…
« Marguerite!!» continua-t-elle de hurler en tambourinant à la porte comme une sourde.
Elle entendit soudainement des pas dans le couloir, juste un peu, puis plus rien. Le cœur battant à mille à l'heure, Gabrielle se remit à taper à la porte.
« Marguerite, c'est toi? Louise? Ouvrez-moi, je vous en pr...!»
Mais elle n'eut même pas le temps de terminer sa phrase que la porte de sa chambre s'ouvrit à la volée, brisant en éclats le montant de la porte. Gabrielle se retrouva projetée au sol un peu plus loin. Un peu sonnée, elle peina à lever les yeux.
« Qu'est-ce que c'est que ce raffut? C'est toi qui fait autant de bruit? s'exclama une femme face à elle.
Jamais elle n'avait vu cette femme ici, elle s'en serait souvenue. Elle était blonde, des cheveux fins et lisses descendant jusqu'à ses épaules, des yeux d'un bleu clair et délicat, des cils et sourcils tout aussi blond. Ses lèvres étaient assez fines mais bien dessinées, son nez tombant et sa peau était aussi pâle et sans défauts que celle d'Armand. A ce détail, Gabrielle sut qu'elle n'était pas humaine, la porte éclatée à la volée était sûrement un détail à prendre également en compte...
- Je veux sortir d'ici, bredouilla à nouveau Gabrielle.
La vampire blonde fronça le nez, arborant une expression de dégoût.
- Une humaine?! Non mais je rêve, pour rien au monde je ne partage cet étage avec un parasite comme toi.
Elle vint vers Gabrielle pour l'attraper par le bras, impossible de lutter, elle sentit que la prise était ferme et puissante. La vampire la souleva par-dessus son épaule pour l'emmener dans le couloir, se dirigeant vers l'escalier.
- Qu'est-ce que vous faites? Lâchez-moi ! Lâchez-moi !! Gabrielle se débattait, tentant de la frapper dans le dos.
- Ferme là un peu, tu es beaucoup trop bruyante.»
Elle la secoua et descendit si vite les marches que Gabrielle, sonnée, se tue. Puis elle l'emmena dans la cuisine et ouvrit une porte dérobée, repoussant un garde-manger pour la découvrir. Le passage était étroit et menait vers un escalier tortueux, Gabrielle réalisait à peine ce qu'il était en train de se passer, où était-elle? Depuis quand y avait-il un sous-sol à la maison? Qu'est-ce qu'il y avait en bas? Reprenant ses esprits, Gabrielle tenta à nouveau désespérément de la faire lâcher prise, s'attaquant à ses vêtements, arrachant sa robe, la mettant en lambeaux.
« Non mais qu'est-ce que tu fais? Saleté de parasite, c'est toujours pareil, quand on pense se débarrasser de vous, vous continuez quand même à nous nuire!
La vampire descendit Gabrielle de son épaule pour la plaquer contre elle, tenant d'une main ses deux poignets. Cette force était à peine croyable, et Gabrielle en avait peur, mais son instinct était trop fort pour qu'elle se laisse faire.
- Qui êtes-vous? Qu'est-ce que vous me voulez?
- Mais vas-tu te taire?»
Et la femme continua à parler mais dans une langue différente, que Gabrielle identifia comme étant de l'anglais, elle n'avait aucune notion de cette langue, mais savait le reconnaitre. La sonorité était différente de l'allemand ou de l'italien par exemple.
Autour d'elle, Gabrielle peinait à distinguer quoique ce soit, aucune lumière n'y filtrait; mais ce qu'elle comprit rapidement c'est qu'il y avait un sous-sol complet, immense. La vampire continua à avancer sur plusieurs mètres avant d'aller jeter Gabrielle dans ce qui ressemblait à un cachot. Elle claqua la porte et Gabrielle entendit un verrou se fermer. La jeune femme se releva et se jeta contre la porte pour marteler encore et encore.
« Non!! Non, laissez-moi sortir !»
Mais ses appels restèrent sans effets car plus aucun bruit ne s'élevait autour d'elle. Plus rien du tout. Voilà qu'elle se retrouvait dans le noir total, dans une cellule glacée, pieds nus et en chemise de nuit sur les pavés froids et humides. Doucement, oppressée par l'obscurité, Gabrielle s'appuya sur le mur pour le longer et essayer de trouver un coin où s'installer. Ne pas savoir ce qui se trouvait près d'elle était difficile, peut-être y avait-il des rats? De l'eau ? Un trou? N'importe quoi l'aurait fait hurler sur le champ tant elle se sentait mal.
Mais qu'est-ce qu'il venait encore de se passer? Qui était cette femme, qu'est-ce qu'elle faisait ici? Et pourquoi avait-elle eu un tel comportement envers elle? Tant de questions bouillonnaient dans sa tête… Gabrielle n'avait pas une seconde à elle pour réfléchir, pour réaliser tout ce qu'il venait de se passer depuis les dernières heures. La présence d'une femme vampire confirmait donc les dires d'Ellias, le tueur vampire qui avait dévoilé l'existence de son espèce au monde entier: Il y avait des vampires, beaucoup plus que ce que quiconque aurait pu imaginer. Gabrielle en avait croisé trois en moins de deux jours; Ellias, Armand et cette femme. Et peut-être en connaissait-elle d'autres? Après tout, elle avait fini par percer Armand à jour parce qu'elle était proche de lui et avait pu avoir le temps de l'observer, de le détailler… Mais les autres? Cela pouvait réellement être ce que les gens redoutaient: une invasion. Une invasion silencieuse, certes, mais qui semblait être bien organisée.
Puis elle chercha, tenta de s'expliquer sa présence sous le toit d'Armand? Que voulait-il d'elle? La garder prisonnière pour boire son sang? La tuer parce qu'elle en savait trop? La protéger? Il avait bien dit avoir emmené Marguerite, pas l'avoir "capturée" ou "récupérée" , non il avait juste dit "emmené"... C'était peut-être une bonne chose après tout? Ou alors c'était son esprit qui cherchait absolument à vouloir rationaliser les choses et tenter de garder espoir pour avoir une raison de survivre. Car en ce moment même, elle ne pensait pas une seconde que les choses puissent se finir d'une bonne manière. Comment le pourraient-elles? Gabrielle avait tué son mari et n'avait pas eu le temps de s'enfuir de la maison avec son amie et complice, elle pensait une seconde à ses billets de train et de bateau, ainsi qu'à ses valises soigneusement préparées, cachées dans la cuisine de la maison. Gabrielle avait donné congé à tous les domestiques employés dans la maison, prétextant que le couple allait se réfugier à l'étranger, le temps que l'affaire des vampires se calme. Les cuisinières et les femmes de ménage en avaient été soulagées et elles-mêmes avaient fini par fuir à leur tour, parlant entre elles de certaines personnes qui avaient des informations sur des refuges sûrs: exempt de vampires, mais également de révolutionnaires. Les rues à feu et à sang de la capitale étaient pleines d'agitateurs, d'émeutiers, d'incendiaires, de violeurs et autres opportunistes près à tout pour tuer ou voler à tour de bras la moindre personne qui ressemblait de près ou de loin à un vampire.
Gabrielle se sentait de plus en plus faible, presque apathique. Les pensées dans sa tête s'enfuyaient et elle fixait le noir devant elle, ne s'attendant pas à voir quoique ce soit. C'était comme si l'obscurité de son cachot s'infiltrait en elle. Impossible de dormir assise dans ce froid et cette humidité, elle se recroquevilla sur elle-même pour conserver la chaleur de son corps le plus longtemps possible. Quelqu'un allait bien finir par venir la chercher? Et ce serait potentiellement un moment bien moins agréable à passer que celui qu'elle était en train de vivre. Alors peut-être était-il temps de profiter du calme, profiter de la solitude pour reposer son esprit meurtri.
Les yeux fermés, roulée en boule dans le coin de sa cellule il se passait de longues heures. Gabrielle reposait son corps pétri de douleurs, mais sa tête… Son esprit n'était presque plus là. La peur s'évanouissait, et était remplacée par une résignation profonde. Les yeux de Pierre, écarquillés, injectés de sang, la fixait dès qu'elle commençait à sombrer dans le sommeil, la réveillant en sursaut. Il avait voulu la tuer, de ses mains. Trouver un certificat de décès avait été une preuve plus qu'accablante, mais Pierre lui avait lui-même avoué qu'il avait voulu la faire tuer, pas se salir les mains lui-même. Il avait franchi un cap, une ligne qui l'avait poussée dans ses retranchements. En voulant se confronter à Pierre, Gabrielle avait simplement voulu discuter, elle avait eu l'espoir -sûrement naïf- que les choses pouvaient s'arranger par la discussion. Son objectif avait été de pouvoir demander les choses à Pierre de façon objective, sans y mettre de l'affect. Dans un des scénarios qu'elle avait imaginé, Gabrielle s'arrangeait avec Pierre pour qu'on la croit effectivement morte et qu'elle puisse quitter la capitale avec Marguerite pour refaire sa vie ailleurs. Son désir de vengeance avait été puissant, presque incontrôlable, mais Gabrielle n'était pas non plus une idiote: elle savait qu'elle n'était qu'une petite créature frêle face à un homme de la taille et la force de Pierre. Il allait forcément avoir le dessus physique sur elle et Gabrielle ne pouvait se lancer volontairement dans une confrontation, et puis… Elle ne savait pas se battre, elle avait été tant de fois sidérée par la violence de Pierre, par ses mots, Dieu seul savait ce dont elle aurait été capable à ce moment-là. Mais quand Pierre avait mentionné ce qu'il avait fait à Marguerite… sa façon de prononcer son nom, le plaisir qui naissait sur son visage en voulant heurter Gabrielle. Cela avait beaucoup trop bien marché. Tout son sang-froid l'avait quitté et elle avait attrapé le tisonnier dont elle s'était rapprochée, juste au cas où les choses tourneraient mal. L'effet de surprise avait été suffisant pour qu'elle puisse atteindre sa cible, mais malgré tout, elle n'avait pas frappé où il fallait: touchant seulement son visage et pas son crâne. Quelques centimètres en arrière et elle aurait pu toucher la tempe, ses lectures lui avait appris qu'un coup bien placé pouvait mettre quelqu'un au tapis d'un seul coup. Même un coup dans le nez aurait pu être plus efficace. La sensation du sang qui éclaboussait son visage et sa robe lui revenait en tête. Non pas que cela la choquait, mais plutôt que d'une certaine façon, elle en avait retiré un plaisir incroyable. Entendre son cri de douleur l'avait galvanisé.
Resserrant ses bras autour de son ventre et sa poitrine, Gabrielle revoyait cette fois Pierre se redresser et se jeter sur elle pour lui arracher ses vêtements et lui faire payer. De nombreuses fois ces derniers mois elle avait ressenti la peur, la terreur pure même. Mais jusque-là, le danger n'avait pas été aussi réel, aussi proche d'elle. Ce fut sûrement à cet instant que son esprit avait quitté son corps, laissant place uniquement à son instinct de survie. Ses gestes n'avaient pas été prémédités, attraper la bûche avec sa main nue et l'écraser sur le visage de Pierre. Il n'y avait plus eu de soulagement, seulement de la rage, le faire souffrir avait été un besoin irrépressible, il fallait qu'il hurle, qu'il ressente toute la peur et la douleur qu'elle même avait connu depuis qu'il était entré dans sa vie. Se venger pour Marguerite, se jeter sur lui et prendre le dessus. Elle n'avait pas réfléchi quand elle avait attrapé la ceinture, et ce fut comme si une entité infernale l'avait habitée au moment où elle avait commencé à serrer.
Autour d'elle, le souvenir du craquement de ses os semblait venir des murs, puis les râles venant de la gorge de Pierre. La nausée submergea Gabrielle et elle se leva rapidement, cherchant de l'air frais. Qu'est ce qu'elle avait fait? Pierre était mort entre ses mains. Son esprit s'embrumait et ses fourmillements partaient de ses mains, de sa bouche et son nez. Le ventre serré et la bile au bord des lèvres, l'obscurité l'oppressait de nouveau, se refermant autour d'elle comme une cage. Une cellule de prison. Impossible de retrouver la porte de la sortie.
« Non, non…Laissez-moi sortir, pitié...» gémit-elle.
Soudain, autour d'elle les murs se mirent à trembler et un grondement sourd s'éleva avant de s'arrêter aussi sec.
Immobile, accrochée aux pierres derrière, Gabrielle attendit. De longues secondes.
Dans le couloir, le bruit de la porte menant à l'escalier s'ouvrit à la volée dans un claquement sourd. L'idée d'avoir attiré l'attention de quelqu'un n'était plus du tout une source de soulagement.
A suivre...
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