Le témoin silencieux (partie 3)

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C’est à pied qu’il prit le chemin du village. La pluie s’était arrêtée, mais le ciel restait gris. Les premières feuilles avaient déjà commencé à déserter les arbres et laissaient des traînées oranges sur la route. Néanmoins, le trottoir restait désespérément vide, à croire que la ville était réellement à l’abandon.

Il craignait de ne pas de trouver d’imprimerie, mais fort heureusement, entre une boulangerie fermée et un magasin d’antiquités, un café/loueur de DVD/imprimerie peinait à respirer. Le gérant du magasin l’observa longuement lorsqu’il demanda à déveloper les photos et encore plus quand Émilien lui prit un café.

  • Merci, lui lança poliment Émilien au moment où l’homme déposa la boisson.

Ce dernier fit juste un grognement en retour. Le café était froid et imbuvable mais le jeune homme ne le sentit pas, bien trop occupé à se précipiter sur sa pochette d’images. Les premières photos étaient vraiment réussies. La lumière tombait parfaitement sur la pièce et l’appareil avait su capter avec la tonalité parfaite l’intensité du sujet. Le grain raffiné de l’appareil ajoutait la touche de créativité parfaite. Les photos défilaient sous les yeux de l’homme, la table de la cuisine avec un livre ouvert en son centre, la jolie baignoire avec les pieds en baleine, l’escalier sombre, le lit défait… Non, pas possible. Émilien n’en crut pas ses yeux mais il lui semblait discerner en haut d’une marche un visage pâle. Il senti son sang quitter son visage. Ça n’était pas possible, encore un coup de son imagination. Son accident l’avait beaucoup ébranlé et ça n’était pas la première fois qu’il voyait des reflets étranges. Les photos tombèrent de sa main lorsqu’il regarda le cliché suivant. Ce n’était pas un visage cette fois, mais bien une silhouette entière qui s’était glissée dans un coin de la pièce.

Émilien était terrifié par ce qu’il venait de voir, mais plus surprenant, entre toutes ces images un dernier cliché s’était introduit. Un cliché dont le jeune homme n’était pas le propriétaire. Il s’agissait d’un épais et vieux livre relié de cuir. Des pages étaient déchirées et sortaient de toutes parts. On aurait dit un grimoire, un de ceux que l’on pouvait apercevoir dans les films d’horreur.

Était-ce un démon ? Ou peut-être un sans-abris qui cherchait à lui faire peur pour avoir la paix ? Il est vrai que de l’extérieur la maison semblait abandonnée. Et puis la silhouette et le visage, bien qu’ils soient indiscernables, avaient l’air d’appartenir à des personnes différentes.

Bien décidé à éclaircir cela, il se leva en abandonnant son café mais il commençait à se sentir de plus en plus oppressé. Le peu de personnes présentes dans le café le fixait d’un regard méfiant. En passant la porte, Émilien heurta une dame. Celle-ci le dévisagea d’un air dégoûté. En balbutiant quelques excuses, le garçon s’enfuit en courant.

De retour à la location, le jeune homme se précipita sur sa boite de médicaments, ceux qu’il prenait quand une crise survenait. Il se sentait épié, entendait des murmures venant des murs, des bruits de pas et des souffles spectraux. Cela dura toute la nuit. Quant au petit matin il arriva enfin à s’endormir, son sommeil fut submergé par des bribes de souvenirs. Il revoyait son accident, les flammes qui avaient emporté la femme qu’il aimait, lui, recroquevillé sur son appareil photo, hurlant et priant pour que tout cela n’ai jamais eu lieu. Les pompiers le tiraient en arrière. Émilien fermait les yeux, asphyxié par la fumée. La dernière chose lui parvenant était les cris torturés de sa femme, brûlée vive.

Les jours passèrent, sombres et maladifs. Émilien ne mangeait plus, il vivait parmi les ombres, paniqué au moindre son qu’il entendait. Mais une après-midi, il se retrouva bien obligé de retourner au village, il ne pouvait pas rester sans se nourrir plus longtemps. Le vent lui fouettait le visage, redonnant des couleurs à son teint cireux. Pour sûr qu’il allait effrayer les habitants qu’il croiserait, il ressemblait à un vampire. Le centre n’était pourvu que d’une petite épicerie dans laquelle le jeune homme en profita pour s’offrir des gourmandises. Cela lui faisait du bien de sortir de la maison, il avait l’impression de pouvoir réfléchir à nouveau et se rendait compte qu’il s’était trop laissé aller. Sur le trottoir, les villageois l’évitaient, il crut même entendre un groupe de trois personnes marmonner des choses sur lui après qu’il les ai dépassées. Il ne comprenait pas cette méfiance vis à vis de lui. Mais autre chose le taraudait. Il ne voulait pas rentrer maintenant. Cette maison le rendait malade, quand il y était, il n’était plus lui-même. Il voulait trouver plus d’information sur ce lieu. Il n’avait pas beaucoup échangé avec la personne qui lui l’avait loué mais savait que c’était une femme venant d’Irlande. Elle n’était donc presque jamais présente. Émilien eut alors une idée. La bâtisse était ancienne comme en témoignait la façade et les photographies. Et si il y avait bien un endroit où obtenir des informations, c’était à l’hôtel de ville, qui possédait sa propre bibliothèque.

En arrivant à l’entrée de l’édifice, l’homme ne put retenir une exclamation d’ébahissement. C’était l’un des plus beaux bâtiments qu’il n’ai jamais vu et il était bien déçu de ne pas avoir son appareil sur lui. Petit et robuste, l’édifice était porté par deux sensationnelles colonnes torsadées. La pierre était finement taillée, laissant apparaître une longue fresque détaillant l’origine du village. On y voyait les habitants s’occuper des champs, allumer un énorme feu de joie sur la place du centrale et organiser de grands banquets. L’intérieur était tout aussi bien conservé entre les immenses lustres de cristal et les interminables rangées de livres. Personne n’était présent à l’accueil, aussi Émilien prit le loisir d’aller directement analyser les ouvrages. Il chercha le rayon correspondant à l’architecture typique du village et s’installa à une table avec une dizaine de romans-photos pour les feuilleter. Cependant, au bout d’une quarantaine de minutes, il n’avait absolument rien trouvé, pas même un vague indice. Au moment où il réfléchissait à se lever pour finalement partir, une carte postale entra dans son champ de vision.

  • Ça pourrait p’être vous aider m’sieur, déclara d’une voix rocailleuse un vieillard en marinière. Une pipe éteinte dans la main et l’autre triturant sa moustache imposante, il tourna immédiatement les talons.

  • Attendez, lança Émilien en se levant, comment pouvez-vous savoir-

  • J’peux pas vous en dire plus. Prenez cette carte et déguerpissez, grogna l’ancien, vous êtes pas le bienvenu ici, ne revenez pas dans le centre et restez loin de nous dans votre bicoque.

À peine eu-t-il fini sa phrase que la porte se referma sur lui. Émilien se trouva de nouveau seul, debout au milieu de la salle, une carte postale entre les mains.

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