Le témoin silencieux (partie 4)

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La carte était très simple. Une photographie du clocher près de l’épicerie. Mais une chose était familière à Émilien, sans qu’il ne puisse dire quoi. À l’arrière, quelques lignes étaient tracées à l’encre fine et effacée par le temps.

« À mon cher ami Victor Lescron, merci de faire briller l’image de notre belle ville au monde. Thomas Renve »

C’est au mot « image » que le déclic se fit pour Émilien. La photographie à l’avant de la carte avait le même grain caractéristique de toutes celles de la maison qu’il louait. Ainsi, Victor Lescron serait à l’origine de tous les clichés présents dans la bâtisse. Et sûrement le propriétaire originel de l’appareil photo.

Le jeune voulait en savoir plus sur lui. Et si les photographies de cet homme avaient fait le tour du monde, son nom devait être connu. Il s’attela alors à trouver des articles parlant de ce fameux photographe. Et ce ne fut pas tâche ardue. Au-dessus des liseuses pour papier fragile trônait fièrement quelques magazines encadrés qui faisaient la gloire du village. Sur l’un d'eux, un homme à haute stature avait le visage caché derrière un Contax 1 : Victor Lescron.

L’homme dénicha le magazine dans un rayon et commença avec hâte sa lecture. Il apprit alors que Victor était né dans ce village, de parents pauvres. Comme Émilien, il s’était trouvé tout jeune une passion pour la photographie en tombant par hasard sur des clichés d’avions de guerre. Dès lors, il avait enchaîné les petits travaux au champ, dans l’épicerie locale puis dans la grande ville la plus proche pour pouvoir se payer son premier appareil photo. Peu à peu, il s’était fait un nom, c’était un héros du village. Malgré sa gloire régionale, il acheta une jolie maison en pierre en bordure du bourg de son enfance et s’y installa. Mais un jour, il déserta la ville. Sa maison avait été laissée comme telle et personne n’avait été prévenu de son départ. Si certains croyaient qu’il était parti pour visiter l’Europe, d’autres, et une plutôt grande majorité, trouvaient cette disparition mystérieuse. Par ailleurs, un dénommé Paul Phyllis, qui ressemblait étrangement à l’homme lui ayant donné la carte d’après la photo dans le journal, avait été cité dans un coin de l’article. Il y parlait de « témoin maudit », « d’âmes capturées » et de malédiction. Son discours n’avait que peu de sens et paraissait illuminé, mais les termes qu’il avait employé revenaient plusieurs fois dans la bouche des autres villageois. Émilien avait du mal à comprendre ce qu’il lisait. D’une part, tous les habitants semblaient apprécier l’homme, mais aucun n’avait réellement l’air surpris de sa disparition, comme si c’était un bon débarra, ce qui était paradoxal. Et puis, le fait que le photographe se soit évanoui dans la nature, peut-être bien dans sa maison, mettait le jeune homme mal à l’aise. Et s’il lui arrivait quelque chose ? Lui qui avait déjà l’impression de perdre la tête dès qu’il était enfermé dans cette bâtisse. Ou alors, existait-il un lien entre les deux individus ? Après tout, ils logeaient au même endroit, exerçaient la même profession qui leur semblait innée et avaient les mêmes centres d’intérêt artistique, à savoir photographier la rue.

Émilien était intrigué. La demeure, les photographies, Victor… Tout ça l’obsédait. Il y avait enfin quelque chose qui le conduisait à avancer, c’était la première fois depuis l’accident. Il se sentait nécessaire, comme si quelque chose le poussait à établir une vérité. Il fouilla alors une dernière fois les rangées d’étagères, cette fois dans la catégorie des hommes qui avaient fait l’histoire du village. Le garçon avait mal à la tête, toutes les reliures se ressemblaient, et cela faisait déjà plusieurs heures qu’il était dans cette bibliothèque. Il décida alors de rentrer poursuivre ses recherches dans la maison elle-même. C’est là qu’il avait vécu et disparu, s’il y avait des traces plus intimes de lui, c’est en ce lieu qu’il les trouverait. De plus, il savait exactement où fouiller. Il y avait bien cette trappe au-dessus de son lit, qu’il avait fixé pendant des heures entre deux cauchemars durant ces derniers jours. Elle devait mener à un grenier, sûrement très petit au vu de la taille de la maisonnette.

Une dizaine de minutes après avoir quitté l’hôtel de ville, Émilien se tenait déjà devant le haut matelas de la chambre. Il avait décalé ce dernier et empilé une chaise sur une table. Armé de la lampe torche de son téléphone portable, il jeta un rapide coup d’œil avant de s’élancer dans l’ouverture.

D’un air dégoûté, il essuya le bon centimètre de poussière qui s’était déposé sur ses mains. L’intérieur de la pièce était très étroit, la pente du toit accentuant le sentiment d’oppression qu'Émilien commençait à ressentir. Un astronomique tas d’objets et de meubles en tout genre occupait tout l’espace. Mais il n’y avait rien à tirer de ces bibelots décrépis. Tableaux, fauteuils rongés par les mites, théières brisées et bougeoirs poussiéreux, rien n’avait d’intérêt. Le jeune photographe sentait la déception monter à mesure qu’il slalomait entre ces antiquités. Il s’était de nouveau emballé. Encore des tabourets, et encore des guéridons, et encore des livres. Des livres… Émilien avait encore sa migraine, mais se laissa une dernière chance en parcourant la bibliothèque de fortune. Après tout, les ouvrages avaient l’air de lui porter chance. Il se mit à les analyser un à un, sans en voir le bout. Sa concentration déclinait, trahie par sa fatigue. Mais alors qu’il se frottait les yeux et prenait du recul sur le peu d’étagères, il remarqua un manuel beaucoup plus petit que les autres allongé sur la planche d’une manière étrange, si bien que les autres livres étaient disposés sur lui. Émilien le saisit et fut surpris par sa légèreté. Il n’avait pas de couverture, seulement un papier épais couleur carton qui le recouvrait. Dessus, il était inscrit à la main : « Journal de Victor Lescron ».

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