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Le chemin de gravier tourne et se prolonge le long d'un dévers abrupt en bas duquel coule une petite rivière, enjambée par une courte passerelle en bois. Au-delà s'étend, en pente légère, le champ où sont plantés les panneaux solaires. D'étroits couloirs de planches blanchies par le temps quadrillent cette étendue qui semble infinie, telle une mer scintillante aux vagues d'air troublé. Bifurquant sur la piste bordée de millepertuis, de bétoines et de salicaires, Keryan ralentit et se redresse ; une libellule bleue vient de se poser sur son bras.

— C'est beau, hein ?

5i// C'est très beau.

L'odonate s'envole aussitôt en vrombissant, pour disparaître derrière une salicaire aux longues inflorescences pourprées.

— Elle vient me voir chaque fois que je passe par ici. Je crois que je l'intrigue. Keryan sourit, laisse passer un silence ponctué de stridulations, puis ajoute : Nous sommes arrivés, tu peux emprunter la rampe ou les escaliers, comme ça te chante.

Le gravier laisse place au béton. Un raidillon mène à une grande porte sectionnelle comme fichée dans un mur de lierre. Keryan sort de sa poche un petit boîtier et appuie sur un bouton. La porte se met en branle doucement. Privilégiant la prudence au défi, 5ixc0 engage ses pneumatiques sur la rampe et s'arrête peu après l'entrée. En claquant, des plafonniers s'allument, lui laissant le loisir d'analyser l'immense hangar souterrain qui s'étend devant eux. Le lieu fourmille de détails et les pointeurs d'acquisition jaillissent en toutes directions. C'est un fourbi de caissons de toutes tailles, de câbles de différentes couleurs qui sinuent entre des tables élévatrices aux peintures écaillées, d'armoires remplies de pièces et d'assemblages désordonnés, de bras mécaniques et de sangles qui pendent du plafond muni de poutrelles et d'un palan au chariot fatigué, de monte-charges vieillots, de crics et de grues portables, d'établis graisseux, de chariots à outils aux tiroirs ouverts, de machines aux usages flous. Une collection de mécatroniques souvent incomplètes repose le long d'un mur tapissé de plans et de feuillets jaunis.

— Bienvenue dans mon univers, Sisco ! dit Keryan en écartant triomphalement les bras. Ne te fie pas au bazar, je travaille ici tout le temps et disons que j'ai développé... ma propre vision de l'entropie, à l'échelle de mon atelier. Plus il est désordonné, plus je m'y retrouve, tu comprends ? Et ne te fie pas non plus à l'état du matériel, c'est que de la récupération. On ne peut pas dire que l'empire se sente très concerné par mes petits bricolages.

5i// L'empire ?

Keryan reste un moment immobile, les bras toujours levés, puis se frappe le front en riant, visiblement gêné.

— Oui bien sûr, suis-je bête ! Suis-moi, la première chose à faire et de te prescrire une petite mise à jour. Une grosse mise à jour en fait. Et je sens tes petits circuits en proie à la terreur, mais je te rassure, tout ce que tu vois ici ne t'est pas destiné. Ici je bidouille, je magouille, je m'amuse, mais le travail sérieux se fait dans mon labo, derrière cette cloison, tout au fond.

Derrière la cloison, c'est tout à fait différent. Bien plus petit, le laboratoire est parfaitement ordonné. Tous les câbles sont gainés et dissimulés sous un plancher de grilles épaisses micro-maillées. Les étagères, dont l'alignement est tiré au cordeau, sont étiquetées et leur contenu soigneusement organisé. Contre le mur du fond, un impressionnant bureau en inox et aux tiroirs en acajou accueille un poste de travail à six écrans plats qui diffusent des dizaines de fenêtres affichant graphiques, notes et interfaces. Au milieu de la pièce, une table élévatrice surmontée de bras mécaniques, d'interfaces mobiles et d'outils sur racks, semble être le cœur de l'installation.

— Approche-toi, je vais te connecter à Sh3ry1. Ça risque de te faire tout drôle, mais je suis sûr que tu t'en accommoderas très bien.

5ixc0 se positionne sur la plate-forme et aussitôt les vérins le hissent à la hauteur de Keryan. Ce dernier saisit un gros câble rouge, soulève un clapet sur le plastron de 5ixc0, et établi le branchement. Puis il se rend à son bureau, s'assied sur une chaise à roulettes et commence à pianoter sur les écrans.

— Comme tu as dû le deviner, je suis habilité à programmer et injecter toutes les solutions logicielles à n'importe quelle unité centrale. Et comme promis on va commencer par mettre à jour tes données. Le monde a beaucoup changé, Sisco.

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