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— Petite sœur, tu es magnifique !
— Une vraie poupée, terriblement humaine.
Oleran et Ninno, qui lézardaient sur des chaises longues devant la baie vitrée, se lèvent pour l’accueillir. Ils la font tourner sur elle-même, ce qui soulève sa petite robe et la fait beaucoup rire.
— Papa, c’est l’œuvre de ta vie.
— Et je suis fier de l’offrir à Sisco.
— Il faut vraiment te trouver un nouveau prénom, petite sœur.
— Je vais y réfléchir, dit 5ixc0. C’est très important, un nouveau prénom. Il faut que ce soit le plus beau. Keryan, Oleran, Ninno, Isaelle. Vous avez de très beaux prénoms.
Le chuintement de la porte vitrée se fait entendre. Isaelle, dans un short court et débardeur fleuri, fait son apparition et, dès qu’elle voit Sisco, porte les mains devant sa bouche. Elle semble tanguer quelques instants, les yeux immenses, avant de laisser apparaître un sourire baigné de larmes. Elle court et vient la prendre dans ses bras, tandis que 5ixc0 détecte des sentiments contradictoires qu’elle ne sait interpréter. Isaelle pleure et la sert très fort.
— L’enveloppe que je t’ai donnée porte les traits de notre petite fille, dit doucement Keryan à 5ixc0. Elle nous a quittés il y a longtemps, alors que nous étions encore sur Héliopolis. Ça me semblait une bonne idée, à l’époque, de créer une mécatronique à son image, afin qu’elle reste avec nous. C’était quelque chose qui se faisait, c’était moralement acceptable, et s’achetait une fortune. Comme je suis ingénieur en robotique, je l’ai conçue moi-même, en y mettant tout mon savoir-faire. En toute modestie, cette enveloppe est très fidèle à l’originale, et reste technologiquement novatrice à bien des égards. C’est au moment où la chasse aux androïdes a commencé que nous avons fui sur Terre, afin de la protéger. Mais même ici, elle entretenait la douleur d’avoir perdu notre enfant, alors je l’ai remisée dans un caisson sans me résoudre à la détruire.
— Cette enveloppe est à toi maintenant, dit Isaelle d’une voix chevrotante. T’imaginer dans les étoiles, c’est une très belle image.
Isaelle caresse ses joues, passe la main dans ses cheveux blonds. Tous les quatre sont maintenant près de 5ixc0, et ensemble la prennent dans leurs bras. Elle sent leurs corps chauds et tremblants, leurs émotions jaillir en puissantes pulsions électromagnétiques, qu’elle enregistre pour les garder pour toujours. Puis doucement l’étreinte se desserre, Isaelle sèche ses larmes et rayonne d’un sourire plein d’espoir.
— Tu penseras à nous, quand tu seras loin, tellement loin qu’on ne peut vraiment l’envisager ?
— Je reviendrai, dit la petite fille avec une voix pleine d’assurance.
— Le temps s’écoule différemment ici et dans l’espace, lui répond simplement Keryan. Nous avons encore une bonne espérance de vie, mais je doute qu’à ton retour, nous soyons toujours là.
— Je reviendrai, répète 5ixc0.
Sur le chemin entre les pommiers, nulle ombre ne protège la tête blonde de 5ixc0. Elle sent les rayons du Soleil abreuver ses capsols. Keryan, lui, se cache sous son chapeau de paille et transpire. La stridulation des insectes est presque assourdissante.
— Tu as toujours ce que je t’ai donné ?
5ixc0 ouvre la main, où se trouve logé le disque anthracite.
— C’est mon bien le plus précieux, dit-elle de sa petite voix.
— Bien. Tu retournes donc à l’usine 4tm0s ?
— Oui, mais cette fois je vais prendre mon temps. Je veux voir encore plein de choses avant de partir. D’après les encyclopédies, la Terre a beaucoup souffert, et je veux voir comment elle va maintenant.
— Ne tarde pas trop quand même, 4tm0s t’attend afin d’envoyer les prochaines pièces vers la Lune. Je crois qu’il est fier qu’une petite partie de lui s’échappe ainsi du labeur qui vous a été assigné.
— Il avait l’espoir que ça arrive. C’était ça, le "ou alors" ?
— Oui, c’était ça le "ou alors", répond Keryan avec un sourire. Allez file maintenant, j’ai des pieds de tomates à arroser.
C’est un mensonge, bien sûr. Mais c’est par ce genre de petites phrases, afin de cacher leur tristesse, que se séparent les êtres humains.
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Fin de la première partie.
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