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— Tu es Hiber, n’est-ce pas ? Fils de Himhet et Bertiganne, expert de niveau 2 en agrobiosciences et colon volontaire sur le vaisseau-colonie Magellan IV.

Hiber reste interdit, le cœur battant et le doigt sur la gâchette de son fusil.

— Qu’est-ce que tu es ? répète-t-il entre ses dents.

— Je m’appelle Koni. En toute logique, tu as déjà entendu ce prénom par le biais du visionnaire Elego.

— La gamine dans la biostase ?

— Je suis une intelligence artificielle. Ce que tu qualifie de gamine est le véhicule que je viens chercher. L’as-tu rencontré ?

— Pas plus tard que…

L’intégralité de ses muscles est congestionnée. Ses articulations semblent grippées par le sable et son crâne bardé d’électrodes brûle comme s’il était à vif. Pourtant, c’est le trop plein de doutes qui le fait souffrir. Il serait tellement plus simple d’appuyer sur la gâchette de son fusil et de s’en remettre à son efficacité ! Mais si elle disait vrai ? Et si ce mastodonte sans tête était celle qui descendra des étoiles ? Il réalise avec une certaine sidération que cette machine aurait pu l’embrocher sans qu’il ne sache se défendre, et qu’au lieu de cela, elle lui fait la conversation.

— Tu peux me faire confiance, Hiber.

— Sommes-nous en guerre ? Réussit-il à articuler.

— Oui et non, répond aussitôt la machine. Le vaisseau Harmonie est en effet chargé d’annuler le programme de colonisation du système de Barnard. Sans aucune arrogance, sans autre désir que celui de dire la vérité, j’affirme que sans mon contrôle exercé sur les cinq-cents soldats mécatroniques embarqués ainsi que sur les lasers orbitaux, la mission serait déjà accomplie. Afin d’éviter votre annihilation, j’ai dévié la majorité des frappes létales, dispersé les troupes et brouillé les communications. Tu peux me faire confiance, Hiber, répète la machine confondante d’amabilité.

— Le spatioport a été détruit par une salve de missiles. Mon pilote et moi aurions pu y laisser notre peau.

— Je devais m’assurer un accès vers mon véhicule. Si je te l’avais simplement demandé, m’aurais-tu laissé entrer ? Alors, j’ai demandé au visionnaire Elego de te fournir une bonne protection, et j’ai laissé le temps à ta navette de s’échapper. Son taux de réussite était considérablement élevé. Je ne m’attendais pas, en revanche, à ce que tu t’échappes par la baie vitrée.

— Les humains sont comme ça, grogne l’officier.

— Soulever les bons problèmes, puis choisir les pires solutions, enchaîne la voix douce du monstre métallique. J’ai eu du mal à te retrouver dans la tempête.

Malgré la douleur, Hiber se redresse enfin, l’arme pointée vers le sol. Bien que différents scénarii tournent encore dans sa tête, un argument indiscutable ne cesse de s’imposer : malgré son évidente fragilité, en comparaison au potentiel mortel de son opposant, il est toujours vivant. De plus, la dissonance grotesque entre l’aspect sinistre et la voix mélodieuse de la machine alimente grandement sa perplexité.

— Qu’attends-tu de moi ?

— J’ai besoin que tu m’aides à rejoindre le visionnaire Elego.

— La porte est grande ouverte, non ?

Le colosse émet un gloussement.

— Je n’ai pas le gabarit idéal pour me faufiler jusqu’aux niveaux inférieurs des gueules d’Orthos.

— Je n’ai pas de solution à ce problème.

— Moi, j’en ai une.

La partie supérieure de la machine pivote à cent quatre-vingts degrés, laissant découvrir son capot arrière dont les pans s’ouvrent et se dérobent sur les côtés. Un strapontin de trois places, certainement dédié au transport des fantassins, se déploie en crissant ; la fine poussière semble s’être infiltrée partout. Un instant, Hiber s’imagine lever son canon et tirer, détruire l’étrange apparition afin de rejoindre sa compagnie. Ce ne serait que mesure de précaution, car rien ne s’oppose à ce que son argument indiscutable connaisse, à tout moment, un revers funeste. Plus que jamais, Hiber est décidé à se soustraire au méchant coup du destin ; à l’éventuelle ruse, bien commode, d’un serviteur mécanique de l’empire. Et si, en accédant à la demande de cette soi-disant Koni, il introduisait l’ennemi au cœur de la colonie ?

— Prouve-moi que tu es bien celle que tu prétends être.

Les dernières poussières sont retombées sur le sol. Au-dessus de la combe qui semble s’être encore creusée, déployé dans un ciel fardé de nuances indigo, la naine rouge Barny élance ses modestes rayons.

La machine reste silencieuse, suffisamment longtemps pour qu’Hiber conclu à une hésitation. Mais cette impression est vite balayée par le simulacre synthétique, étonnement convaincant, d’un long soupire. Hiber hausse ses épais sourcils.

— Je n’ai aucun moyen de te convaincre. Toutes les informations que je pourrais communiquer ne figurant pas déjà dans les datas restent sans preuve. On m’a conçu sur la Terre il y a plus de deux cents ans et assigné à l’assemblage de fusées autonomes destinées à l’exploration du bras d’Orion. Peut-être par mimétisme, ou bien par appropriation, j’ai pris conscience de mon individualité et soupiré à moi aussi naviguer dans l’espace. Je me suis rendu sur Héliopolis, où j’ai rencontré Tanto, et j’ai manqué partir avec lui. Je me souviens d’ailleurs, et je t’en remercie, de ton aide apportée afin qu’il monte à bord du vaisseau-colonie.

— Tu étais sur son épaule.

— La gamine, oui, mais moi, j’étais piégé dans le cœur immatériel d’Héliopolis. J’ai réussi à m’en échapper grâce au départ du vaisseau Harmonie. Bien sûr, je connaissais le dessein du vaisseau et c’est pourquoi, durant le trajet, j’ai contourné ses sécurités, perverti ses directives, œuvré à saboter ses principales instructions. La réussite n’est que partielle. Les informaticiens du programme Harmonie se sont donnés beaucoup de mal pour que les ordres ne puissent être durablement contournés. J’ai vraiment fait mon possible pour retarder l’inévitable et minimiser pendant suffisamment longtemps l’impact du projet sur la colonie du système de Barnard. Si cela peut te convaincre de m’aider : je ne sais pas mentir, je n’en connais pas l’utilité.

— C’est exactement ce que dirait un imposteur.

De nouveau ce petit gloussement, qui sonne dans le silence retrouvé d’Alvan comme une espiègle moquerie.

— Installe-toi, je nous emmène au bastion du visionnaire Elego.

Après un instant d’hésitation, Hiber saisi une poignée d’accessibilité, se hisse sur le strapontin puis se laisse glisser sur le siège central, étroit et peu confortable. Grimaçant, fatigué, il se contorsionne et libère un harnais avec lequel il s’attache à la machine. Il ferme les yeux quelques instants, essaie d’oublier le goût de sang qui lui emplit la bouche.

— Allons-y, souffle-t-il entre ses dents.

La mécatronique bipède pivote de nouveau puis se met en branle, sans grande douceur, soulève quantité de poussière afin de sortir de la combe. Une fois sur le crêt, l’abri minéral de fortune disparaît rapidement du champ de vision. Avec un demi sourire, Hiber s’imagine revenir sur le lieu, après la guerre, afin de visser sur le rocher basaltique une plaque commémorative sur laquelle serait gravé : c’est ici que j’ai attendu durant la tempête et rencontré celle descendue des étoiles. Il prie pour qu’il ne s’agisse jamais d’écrire : c’est ici que j’ai trahi les pionniers d’Alvan.

— Tu dis que tu ne sais pas mentir.

— C’est exact, répond la machine sans ralentir.

— Prends-tu en compte le mensonge par omission ?

— Mensonge par omission : acte délibéré consistant à ne pas révéler certains détails afin que la vérité soit présentée de façon erronée. Je comprends le concept, mais je ne saisis pas la pertinence de la question.

Chaque pas du colosse résonne dans ses os. Une secousse brutale, accompagnée du craquement d’une pierre broyée, envoie son casque heurter l’assise en plastique moulé. L’officier maugrée dans sa barbe, lessivé.

— Tu dis également avoir fait ton possible pour nous sauver, mais que les résultats sont relatifs.

— Maîtriser plusieurs centaines de machines autonomes, mais liées et coordonnées, n’est pas chose aisée.

— Je veux bien te croire, mais que se passera-t-il lorsque tu auras récupéré le véhicule que tu es venue chercher ? Et que comptes-tu faire ensuite ?

— Ce sont de très bonnes questions, auxquelles je répondrai le moment venu.

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