Adèle
Mes jambes et mon dos me font souffrir. Ma peau rougie me brûle à chacuns de mes pas. Je ne peux m'arrêter pour si peu. Je ne leur fais pas confiance. Mes pas résonnent sur les hauts plafonds du corridor. Je me remémore chaques recoins du chemin parcouru. J’entends les pas de mes deux boulets derrière moi. Je me retourne. Le garçon de tout à l’heure tient sur son dos l'examinateur encore sous le choc. Je ne peux m'empêcher de repenser aux événements des dernières heures. Mes oreilles captent le moindre son suspect. Ils se rapprochent. J’estime la distance qu’il nous reste à parcourir avant de les croiser. La rencontre est inévitable. Nos chances de réussite sont si faibles que l'on pourrait presque les comparer à un grain de sable sur la plage. J’ai dépensé quatre vingt pour cent de mon énergie dans ce combat contre Morphé. Mes membres sont contusionné et les blessures infectées ce qui doit réduire mon temps de réaction d’au moins vingt pour cent. Je risque de ne pas tenir bien longtemps face à la confrontation. Je ne peux que compter sur les deux jeunes gens. Mon esprit se referme. Concentration. Courage. Collision. Les trois C. Ces trois mots m'ont permis de survivre dans ce néant durant les quelques jours de solitude que j’ai enduré. Le bruit des talons plats de leurs bottines de cuir se rapproche. Je les voie enfin. Impossible de distinguer quelconque personnalité de l’ensemble. Leur stratégie est irréprochable. Nous n’avons aucune chance. Ils préparent leur coup depuis bien longtemps déjà. Nous fonçons dans le tas sans aucune ligne directrice. Ils ont l’avantage du nombre, de la surprise et du secret. Nous sommes une bande de gamins éclopés face à des mercenaires professionnels. Autant dire que nous sommes les petits agneaux face à la meute de loups. Le costume est parfait. Les tailles et morphologies sont uniformisées, les odeurs masquées et la voix transformée par le masque recouvrant leur visage. Ils bénéficieront de l’effet de surprise. Leur formation est parfaite, impossible à contrer. Mon cœur palpite et manque de briser mes côtés. Chaque mouvement me fend un peu plus les fêlures de mon dos. Je m’arrête. Seule, je n’aurais aucunes chances. Orèle et la jeune femme dont je ne connais pas le nom ne tardent pas à me rejoindre. Je les observe sans un mot. “ Posez le.” Leur visage se tournèrent sur le corps tremblant accroché au dos de l’infirmière. “ nous n’avons déjà aucune chance de nous en sortir à nous trois. Nous n’avons pas besoin d’un poids supplémentaire pour nous ralentir.” Ils hésitent. Je le sens dans leur gestuelle saccadée qui dépose doucement l’individu tremblant. Ils ne sont plus qu’à quelques mètres. Le temps s'arrête de couler. Les corps se pétrifient. Mes sens se dérobent et je perd toute notion d’espace. Mon corps refuse de répondre. Seul mon esprit cogite et analyse tout ce qu'il peut. Je rêverais qu’il s'arrête. Rien qu’un instant pour voir ce que ça fait de se laisser couler. Sur les flots du repos, de l’ennui. Ils ont commencé l’offensive. Un stoppeur. Je me demande quand est ce qu’ils l’ont recruté. Mon éducation reprend le dessus. Il n’est pas au point mon oreille interne commence à revenir et je retrouve un semblant d’équilibre mais avant même que je retrouve l'ouïe la douleur me lacère la poitrine. Ils m’ont entaillé de tous les côtés. C’est fini. Ma vie défile. Les souvenirs reviennent et me plongent dans un état second. J’entends des cris. Légèrement étouffé comme si les voix étaient étouffées par les plumes moelleuse d’un édredon. “ Tout va bien… Tu… forte… pour le monde… ne pleure pas.” La voix grave résonne. D’où vient-elle? Elle me guide. Doucement et me ramène peu à peu à la réalité. Je dois survivre. Pour eux. Pour nous. Et… pour moi. Les effets du stoppeur se sont estompés. Savoir redoutable mais de courte durée. J’entre dans une rage folle. Je ne peux me permettre de mourir. Je n’ai pas ce privilège. Que feraient-ils sans moi ? J’en oublie tous mes principes et fonce dans le tas sans stratégie apparente. Je bénéficierais au moins de l’effet de surprise et de la spontanéité. Je coure aussi vite que je peux, je sors mes stylos de ma poche et pointe tout se que je peux. Les yeux, les bras. Tout objet peut devenir une arme dans les mains de la bonne personne. J’entends des cris. D’agonie, de souffrance. Tout est de ma faute. Non. De leur faute. Ils étaient au courant, ils savaient, ils savaient que j’étais un monstre. Il veulent me tuer. Les larmes coulent sur mes joues abîmées. Mais que suis je devenue. J’en viens donc à ces moyens ? Un bruissement parvient à mon oreille. “ Je suis là.” Je me retourne précipitamment et vois Aurèle à quelques mètres en train de planter une lame de couteau suisse dans ce qu'il semble être l'œil d’un de nos agresseurs. L’homme ou la femme que sais je s’écroule en hurlant de douleur. “ Nous sommes des monstres, autant l’assumer. Je ne contrôle rien, tu ne contrôles rien. A deux on est un duo de vrais dérangés. Autant l’assumer et en faire une force. Non ?” Son regard noir a beau me terrifier ses paroles me redonne du courage. Sans rancune dirait mon frère. Oeil pour oeil dent pour dent. Notre duo ne tarde pas à venir à bout du petit groupe. Seul le stoppeur devait être possesseur d’un savoir. Nous savons tous deux que nous venons de passer uniquement la première vague sur une bonne dizaine.
Nous nous effondrons parmi les corps inanimés. Nous ne prenons même pas la peine de soulever les masques de nos agresseurs. Je n’ai pas la force de voir les blessures aussi profondes que je leur ai infligées. La secouriste ne tarde pas à accourir accompagnée de sa trousse de soin. Elle désinfecte et bande les quelques entailles causées par le combat. Les plans de Morphé sont infaillibles mais malgré cela cette petite victoire nous redonne courage et une petite étincelle d’espoir s’allume au plus profond de nos cœurs.
Frêle.
Fragile.
Mais bien présente.
Un sourire discret vient relever nos joues. Et nous nous tournons vers la jeune infirmière. “ Pas le temps de chômer. En avant” Notre course reprend sous les yeux aussi épouvanté qu’admiratifs de la secouriste.
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