Le vieux vélo
Mais ils sont lisses ces pneus ! La poisse, je dois absolument éviter de me casser la gueule sur ces pavés mouillés. J’aurai jamais dû emprunter au vieil Albert ce vieux vélo qui couine. Un raffut les attireraient c’est certain. Remarque ça ferait un beau décor, demain matin, quand le voisinage se réveillera, de me voir fusillé au milieu de l’avenue, idéal pour dissuader les autres du réseau. Tant pis je reste là, il va bien me trouver, on avait dit à l’angle de la rue Lepic, si je me cale dans le recoin de la mercerie, j’ai une vue sur ce qui arrive au croisement, je ne peux pas le louper ; « De fil en aiguille », pas mal cette enseigne, y’a un jeu de mots sûrement. Cette lumière faiblarde est ma meilleure alliée, béni soit ce réverbère fatigué. Quand tout ça sera fini j’irai dans le sud, voir la mer, on ne peut pas mourir sans avoir vu la mer, marre de cette pluie, glauque, de ce noir, de cette suie, je suis trempé, sale, tout ça pour deux jambons, ils pèsent une tonne, mal au dos, je ferais mieux d’abandonner la bicyclette ici dans cette ruelle sombre, ce tas de ferraille fait décidemment un boucan de tous les diables, trop risqué, J’en peux plus d’attendre, si ça se trouve il s’est fait embarquer. Mais pourquoi je me suis lancé dans ce trafic moi ? Pas un bruit dans ce quartier bourgeois, tout le monde dort, les pleutres, ils pourraient nous aider ces trouillards, même pas un coup de gnôle pour me donner du cœur à l’ouvrage. J’aurai dû aller au front, « la Patrie a besoin de vous » qu’ils disaient, c’est ça, la patrie a surtout besoin de chair à canon, même pas eu le courage d’y aller, c’est moi le pleutre, vaurien un jour vaurien toujours, je l’emporterais pas au paradis, et le Maurice qui n’arrive pas, c’est sûr il s’est fait choper, merde, comment les De Précourt vont avoir leur bidoche ? J’en ai besoin de ce pognon. Et si j’allais directement à leur hôtel particulier ? C’est quoi ce bruit de bottes, putain j’ai la trouille, une patrouille, je veux pas crever ici…
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