Chapitre 1
Son sens de l’orientation avait failli. Voilà bien quelque chose d’inhabituel. Lowen ne s’était pourtant pas laissé complètement guider par les pas de son cheval.
Certes, il n’avait pas prêté particulièrement attention à l’itinéraire, mais c’était un voyageur aguerri qui connaissait suffisamment la région pour s’autoriser à rêvasser en chemin.
D’ordinaire.
Les arbres avaient défilé lentement, au rythme cadencé de sa monture fatiguée. Il sortit de sa torpeur lorsqu’il réalisa que le crépuscule avait déjà allongé les ombres des arbres sur le sentier. Il regarda autour de lui en fronçant les sourcils.
Le cavalier devait bien admettre qu’il ne reconnaissait pas la portion de forêt qui l’entourait. Comment avait-il pu se tromper de chemin ? Avec un pincement d'inquiétude, il leva les yeux pour observer le ciel, le maigre carré visible à travers la canopée ne lui apportait aucun repère. Le soleil se couchait, sans qu’il pût distinguer ses dernières lueurs derrière l’épaisse forêt, et les premières étoiles n’étaient pas encore apparues.
Il aurait déjà dû atteindre l’auberge à cette heure-ci. Lowen huma l’air fraîchissant mais ne perçut pas la moindre odeur de fumée. Songeant à ses fontes presque vides, il hésita un instant à poursuivre sa route. Mais il était fatigué et complètement désorienté, et la tête basse de son cheval lui indiqua que celui-ci partageait sa lassitude. Tous les deux étaient pourtant des habitués des routes : Lowen appartenait à la communauté des colporteurs de nouvelles. Sa vie entière consistait à sillonner le pays, récolter des informations pour ensuite les répandre. Son étalon et lui chevauchaient ensemble des jours durant depuis toujours, leurs corps étaient rompus à cet effort. Mieux valait s’arrêter pour la nuit et attendre l’aube pour rebrousser chemin, jusqu’à retrouver un repère connu.
Lowen poussa un peu sa monture jusqu'à une zone dégagée où la laisser passer la nuit. Il y mit pied à terre et détacha ses sacoches, puis entreprît de desseller et étriller l’étalon. Celui-ci se mit à brouter dès qu’il fut entravé et débarrassé de la poussière du voyage. Lowen s’en détourna.
Il avisa un coin de forêt où établir son bivouac de fortune. Il restait un peu d’eau dans sa dernière outre, juste de quoi se désaltérer et se rincer le visage. Le feu prit rapidement quand il frotta ses pierres l’une contre l’autre sur l’amadou et le tas de combustible qu’il avait amassé. Une fois satisfait de sa flambée, le voyageur las s’adossa contre un arbre, emmitouflé dans son poncho, pour grignoter la dernière tranche de pain sec qui lui restait. Il releva les genoux, y posa le menton et contempla le scintillement doré que les flammes faisaient danser sur les rayures pailletées de ses mains. La capuche relevée pour se protéger de la fraîcheur de la nuit, Lowen essaya de dormir. Il ne parvenait pas à s’expliquer son égarement, et il ne savait même pas depuis quand il faisait fausse route. Cet accablement ne lui ressemblait pas : Lowen était un homme énergique habituellement. Il se laissa néanmoins aller à cette langueur qui ne semblait pas lui appartenir ; le sommeil ne fut pas long à venir.
Il ouvrit brusquement les yeux lorsque le picotement glacé d’un frisson lui parcourut l’échine.
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