Existence Divine
Me voilà devant l'Abbaye d'Aubazine, les yeux ébahis et le cœur palpitant. J'ai attendu ce moment longuement, depuis toujours, du moins d'aussi loin que je puisse m'en souvenir. Ma petite valise noire est mon unique bagage afin de m'installer en ce lieu. Je sais que je n'ai besoin que de ma foi pour pouvoir vivre dans un nouvel endroit sans avoir un stress collé à ma chair. Je peux le sentir au plus profond de mon être, qu'en ce lieu sacré je trouverai toutes les réponses à mon existence dénuée de sens jusqu'à maintenant.
De parents catholiques, la logique est que mon destin se trouve entre les mains du couvent et de l'Église, mais ma venue n'est pas réellement rattachée à tout ça. Je n'ai jamais pu ressentir quoi que ce soit de charnel pour une quelconque personne, et ça depuis toujours. Aucun homme n'a jamais pu autant m'écouter comme Dieu l'a fait, aucun être de chair n'a jamais pu me combler comme la prière l'a faite, mon cœur palpite uniquement à l'entente du mot divin. Je n'ai que 18 ans, mais mes années de noviciat se sont passées à merveille et je suis déjà prête à entrer dans un couvent, à prononcer mes vœux et à devenir sœur et à monter jusqu'au dernier échelon pouvant me faire toucher les cieux du bout des doigts, sans prétention sur mes intentions louables.
Le grand portail vêtu de fer noir est ouvert par une sœur, le chemin vers ma nouvelle vie se présente à moi et me tend la main, que je saisis avec certitude et assurance. Je m'avance pas à pas sur le sentier fait de pierres, foulant le sol de la croyance qui m'anime avec force. Le bâtiment se présente de tout son long, avec ses épaisses tuiles noires et sa façade grise, tel un nuage menaçant le ciel d'abattre sa foudre sur terre. Une grande cour bien entretenue entoure tout le monastère, quelques arbres pour parsemer le paysage et une grande muraille en faisant le tour complet. J'attrape la lourde poignet forgée et la claque contre la grosse porte en bois. Pendant un instant, j'ai eu l'impression d'être devant l'entrée d'un donjon tel que raconté dans les livres, m'apprêtant à entrer dans un monde rempli d'éléments surnaturels. Je ne dirais pas que ça s'en rapproche, mais à mes yeux, il y a quelques similitudes que je préfère ne pas dévoiler hors de mes pensées, préférant laisser les foudres des catholiques hors de mon champ de vision. La grande porte s'ouvre dans un craquement provenant du vieux bois et laisse apercevoir une des mères supérieures. Celle-ci m'accueille avec gentillesse et m'invite à entrer dans le couvent.
- Bonjour Révérende mère, je suis sœur Eve Watkins.
La femme face à moi me sourit de toutes ses dents, m'affirmant que le monastère attendait ma venue avec impatience. Ce n'est pas tous les jours que celles qui finissent à peine leur noviciat se dirigent aussi rapidement vers un couvent afin de s'y installer définitivement. Elle me propose de déposer ma valise à côté de l'entrée et de la suivre pour une visite guidée des lieux. Elle me rassure et m'indique que mes affaires seront emmenées dans la matinée là où je vais loger pour ces trois premières années de découvertes. Je lui emboite le pas et l'écoute parler attentivement. Ses explications sur le fonctionnement sont assez rapides comparé à ce qu'elle souhaite m'apprendre sur l'histoire du monastère, ce qui me fascine tout autant pour être honnête. Les fondations de cette Abbaye ont été mises en place à partir de 1127 par deux prêtres venus d'ailleurs. Elle a été construite de 1156 à 1176 et a accueilli des noviciats seulement depuis 1667, ouvrant par la suite ses portes à de plus en plus de croyantes venues du monde entier. La révérende mère m'explique que chacune a sa place ici, si celle-ci respecte les règles qui lui sont données et qu'elle participe à la vie commune du couvent sans rechiner à la tâche.
Nous faisons le tour, commençant par la grande salle à manger composée d'énormes tables couvrant la pièce toute en longueur, finissant sa course sur une estrade construite directement dans le béton, servant à accueillir les mères supérieures lors des repas. Une petite porte faite du même bois que celle de l'entrée mène sur une cuisine assez spacieuse, pouvant compter au moins une dizaine de personnes pouvant préparer les repas. Les grandes fenêtres en hauteur de la salle à manger donnent vue sur une très belle cour ornée de fleurs et de cultures en tout genre. Plusieurs personnes sont en train de s'occuper de quelques tomates et autres légumes de saison, choisissant avec parcimonie les meilleures récoltes. Notre exploration continue par le long couloir de l'entrée qui mène en partie à toutes les pièces communes, telles que la bibliothèque, les dortoirs des novices ou encore différentes salles permettant plusieurs activités et cours religieux. Nous finissons l'intérieur du bâtiment par la pièce tout au fond de ce très long couloir. La porte nous surplombe de sa hauteur et de sa largeur, montant pratiquement jusqu'au plafond. La révérende mère l'ouvre et m'y fait découvrir un lieu de prière gigantesque, il est tel que mon imagination me l'avait décrit. De longs et fins bancs sont placés sur la gauche et la droite, parsemés de draps blancs sur leur dossier. Une divine estrade prend place au fond, ornée de dorures, accueillant notre Père prononçant les paroles sacrées de Dieu. Sur les côtés de l'estrade, deux voutes directement taillées dans la pierre mènent à des escaliers descendants réservés à ceux en ayant le droit. Pleins de détails sont disposés ci et là sur les grands murs gris foncés, donnant une dimension particulière à l'endroit sombre éclairé de petites flammes parsemées sur des chandeliers. Cet endroit est somptueux et je ne pouvais rêver mieux comme nouveau chez moi. Un large sourire ne peut quitter mon visage et a l'air de faire plaisir à la Révérende Mère.
Nous revenons sur nos pas pour entrer dans le dortoir accueillant les novices et les jeunes sœurs durant leurs premières années au couvent. Elles logent généralement toutes ensemble dans une même pièce, apprenant la vie en communauté et le partage. J'aperçois ma valise tout au fond de la salle, au pied du lit le plus éloigné. Je me dirige vers mon couchage et l'observe attentivement, mes doigts passant délicatement sur les draps immaculés sentant le propre.
- Sœur Eve, je vous laisse vous accommoder à votre nouveau lieu de vie. Je vous présenterai la sœur qui va vous accompagner durant plusieurs mois au sein du couvent. Quand vous serez prête, n'hésitez pas à me le faire savoir.
La Révérende Mère quitte le dortoir d'un pas léger, me laissant seule avec mon excitation débordante. Je me laisse aller à ce sentiment et tournoi sur moi-même, pouvant sentir l'air frais de la fin de l'hiver cogner contre mes joues roses. Mon corps tombe sur ce lit qui est maintenant mien, me décrochant un large sourire et des yeux pétillants. Durant deux ans, j'avais imaginé comment serait mon arrivée dans ce couvent. Bien sûr que la peur pouvait parfois m'envahir, mais l'envie d'en apprendre plus sur moi et sur mes convictions était bien plus forte que tout le reste. Quitter ma famille et mes amies pour cet endroit inconnu n'était pas si difficile que ça en y repensant, même si je les aime profondément, je pense aimer ma foi bien plus que cela. Un petit craquement me tire de ma rêverie, je me redresse vivement et remets mes cheveux en place lorsque j'aperçois une autre sœur assise sur un lit.
- Pardonne-moi si je t'ai surprise, je ne voulais pas faire de bruit, mais les lits ici sont du genre à grincer, dit-elle avec un léger rire flottant dans la grande pièce de pierre.
J'hoche la tête et rigole à mon tour, c'est vrai que c'est assez bruyant lorsque l'on se pose sur les matelas rembourrés. Dans cet entrain, je me mets à défaire ma valise et à ranger le peu d'affaires que j'ai rapportées avec moi. Nous avons toutes le droit à une petite table de chevet, la mienne sera agrémentée par une petite boite faite d'un bois noir de jais et de dorures sculptées tout autour, représentant des éléments religieux. À l'intérieur, mon chapelet y est à l'abri, et lorsque je prierai le soir je n'aurai qu'à ouvrir cette petite boite à porter de main. Je regarde mon œuvre avant de soupirer de satisfaction, il va être l'heure pour moi de rejoindre les autres sœurs et de rencontrer la personne qui va m'accompagner dans mon apprentissage au couvent. Je me hâte vers le long couloir principal tout en souhaitant une bonne journée à la fille assise sur son lit en train de ranger quelques affaires, et continue ma route à travers l'énorme bâtiment. J'ai du mal à trouver mon chemin jusqu'à la petite cour extérieure où se réunissent les groupes. Une fois les pieds dehors, le froid m'arrache un frisson et me fait croiser les bras vivement contre le haut de mon corps. J'aurai peut-être dû prendre mon écharpe avec moi. Mon regard aperçoit au loin la Révérende Mère qui m'a accueilli plutôt dans la journée. Je me dirige vers elle tout en prenant le temps d'observer mon environnement avec attention. Les sœurs sont en train de créer des petits champs pour de futures cultures, d'autres font la lessive, récoltent des pommes ou s'occupent de tailler des buissons.
- Sœur Eve, je vois que le jardin attire votre attention, c'est une bonne chose.
Tout sourire, je continue d'observer autour de moi les merveilles qui se trouvent sous mes yeux. Je me rends compte qu'une personne vient à nous lorsque j'entends des pas grincer sur les graviers au sol.
- Je vous présente Sœur Alètheia, qui sera votre révérente le temps que vous vous accommodiez de votre nouvel environnement. Elle donne aussi des cours dans la semaine, je vous conseille vivement d'y assister.
- Bonjour sœur Alètheia, Je suis sœur Eve, merci de prendre de votre temps pour m'aider à m'intégrer parmi vous.
- Enchantée, sœur Eve, c'est avec grand plaisir !
Les présentations se font dans les règles, je suis heureuse de tomber sur une personne aussi gentille que sœur Alètheia, cela me rassure pour mes prochains mois ici. Elle me propose de la suivre afin qu'elle puisse m'expliquer le fonctionnement du couvent ainsi que les différentes tâches auxquelles les sœurs font face. Nous sommes à présent retournées à l'intérieur du bâtiment, traversant à nouveau la grande salle à manger en passant aux abords des fenêtres. Son doigt pointe les sœurs en train de travailler dehors, m'expliquant que ce sont aussi des choses que je vais apprendre à faire avec le temps, ce qui me ravie particulièrement. Nous continuons vers un large escalier se trouvant à l'entrée que je n'avais pas remarqué la première fois. Il est pourtant assez imposant de ses grandes marches de pierres. Sœur Alètheia m'invite à monter, je suis ses pas avec dextérité jusqu'à l'étage. Celui-ci n'est pas très grand, il doit y avoir trois ou quatre pièces à tout casser, mais elles ont toutes une porte avec serrure comparé au rez-de-chaussée. La femme me faisant face sort un trousseau de clés faisant un bruit tressaillant. Elle choisit une des clés et l'insère dans la serrure de la porte face à l'escalier. C'est une salle de classe des plus basiques avec un grand tableau à craie et des bureaux d'une seule place qui comblent la pièce.
- C'est ici que je donne des cours sur la religion et sur les règles du couvent. Si l'envie te prend d'y assister, ils sont mis en place tous les deux jours après le dîner du soir.
J'hoche la tête lentement tout en essayant de comprendre pourquoi cela se fait après le dîner, gardant cette pensée pour moi-même. Intérieurement, j'ai déjà hâte d'assister à des cours comme ceux proposés ici, ça ne sera que bénéfique sur mon apprentissage de la religion, bien que je sois déjà pas mal avancée sur la théorie. En redescendant l'escalier, Sœur Alètheia me précise que les autres pièces ne sont pas mises à disposition des novices et des sœurs n'ayant pas prononcé leurs vœux. Je réfrène ma curiosité intérieure qui est un vilain défaut et laisse s'évaporer dans l'oubli les mots qu'elle venait de prononcer.
- Il se fait tard, je vais t'accompagner jusqu'à la salle pour aller dîner.
Le soleil entame sa course vers l'horizon, laissant place à un ciel orangé des plus époustouflants. De doux rayons sont filtrés à travers les longues fenêtres de la salle à manger, parsemant les tables et les murs d'une somptueuse couleur. La vue est imprenable et me laisse un gout de nostalgie que j'apprécie fort bien. Je me dirige à une place libre en bout de table et remercie Sœur Alètheia pour m'avoir appris tant de choses aujourd'hui. Elle me répond dans un sourire et part s'attabler aux côtés d'autres sœurs sur la table juste derrière la mienne. Les mains de toutes les femmes se joignent entre elles, capturant quelques rayons orangés entre leurs paumes, priant pour remercier le Seigneur. Nos voix sont à l'unisson et remplissent cette gigantesque pièce d'un écho divin, faisant de ce moment quelque chose d'unique et figé dans le temps. Une fois que la Révérende Mère est assise, nous faisons de même et commençons notre repas dans le calme et la bonne humeur.
- Tu es sœur Eve si je ne me trompe ?
La sœur à ma droite m'adresse la parole entre deux bouchées, faisant tourner mon regard vers elle. C'est ainsi que je la reconnais et que je me remémore la fille plus tôt dans la journée dans nos dortoirs.
- C'est exact ! Comment vous appelez-vous ?
- Je suis sœur Marcia, et tu peux me tutoyer, je pense que nous avons le même âge.
- Enchantée, Sœur Marcia. Depuis combien de temps es-tu dans le couvent ?
Elle m'explique qu'elle est arrivée ici il y a quelques semaines seulement, c'est aussi pour ça qu'elle ose venir m'adresser la parole. Disons que c'est plus simple que de vouloir s'intégrer aux anciens groupes qui sont déjà formés. Bien que le couvent prône l'intégrité, pour certaines personnes, il est assez difficile de s'imposer de par leur timidité. Nous continuons notre repas tout en discutant, je la trouve très agréable et je suis contente qu'elle ait osé venir vers moi. Nous allons bien nous entendre, c'est une certitude. Une fois le dîner terminé, chacune de nous débrasse son assiette et la nettoie dans l'évier de la cuisine attenante. Le plus long est de faire la queue si je ne m'abuse. Nous sommes maintenant libres de faire ce que bon nous semble pour le reste de la soirée. Certaines se réfugient dans la bibliothèque, d'autres vont chahuter en silence dans le dortoir et les plus sérieuses vont commencer leurs prières du soir avant d'aller se coucher. Je pensai aller au cours du soir, mais ils ne se font que demain. Je vais donc devoir prendre mon mal en patiente et décide d'aller lire un livre tranquillement sur mon lit, laissant le temps couler jusqu'à une heure raisonnable.
La grosse horloge silencieuse affiche 22h22, me faisant refermer mon livre et prendre mon chapelet dans ma petite boite dorée. Quoi de mieux que de tomber sur une heure miroir pour faire ma prière. Les genoux au sol, les paumes collées et le chapelets entremêlé à mes doigts, je prie intérieurement durant de longues minutes, me sentant en paix avec mon esprit et mes états d'âmes. Ce fut une première journée riche en découverte et en émerveillement. Je remercie le Seigneur une dernière fois et me mets au lit, prête à affronter chaque jour avec cette même envie insatiable.
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