Fascinante chaleur

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J'étais en train de réfléchir vivement à ce que pouvait réellement ressembler une contemplation. Pouvait-elle être saine, ou bien une noirceur venait forcément tâcher le tableau qu'une personne peignait dans son esprit. Mes bras frottaient avec force les murs du couvent, tous incrustés d'un vert peu chatoyant sur cette fin de l'hiver encore bien rude. Mes mouvements mécaniques me plongeaient dans une hypnose que mon cerveau comblait par ces questions toutes aussi farfelues les unes des autres. Mon visage se tourna vers Marcia, peut-être qu'elle pourrait m'aider à comprendre. Je peux rester évasive sur le genre de contemplation que l'on peut rencontrer, mais je dois pouvoir répondre aux interrogations de sœur Serina et trouver un moyen d'être renseignée.

- Marcia, est-ce que tu as déjà emprunte à un sentiment de contemplation ? Ma voix été tel un chuchotement presque inaudible dans l'air.

Elle se tourna vers moi, arrêtant de frotter pendant quelques secondes, et je ne pouvais dire si c'était ma phrase ou bien le froid qui faisait rosir ses joues et son nez.

- Une fois, peut-être bien. Pourquoi cette question ?

- C'est par rapport au livre sur lequel je suis tombée, il parle de contemplation, mais je n'ai jamais rien ressenti de tel et j'ai besoin que quelqu'un m'en parle pour m'en faire une idée concrète.

Son sourire transpirait la compassion, elle me proposa qu'on en discute cette après-midi dans la salle de cours, comme nous sommes libres et que nous avons juste à demander l'autorisation à sœur Alètheia. Cette nouvelle me donne de l'énergie que je mets dans mes mouvements de bras contre la pierre, la rendant luisante et propre comme il se doit.

Pendant le repas, nous sentons que nos muscles sont lourds après avoir passé des heures à se contracter continuellement, et nous nous hâtons déjà d'aller prendre notre bain en fin de journée. Les minutes passent sans que l'idée de ce matin quitte mon esprit. Non seulement je vais avoir un point de vue extérieur, mais en plus de cela, je vais apprendre à connaitre un peu mieux Marcia. Depuis que nous sommes arrivées au couvent, nous n'avons pas eu de temps libre pour nous et nous ne connaissons que très peu des personnalités qui nous entourent dans ce lieu sacré. Après avoir débarrassé nos couverts, nous partons à la recherche de sœur Alètheia chacune de notre côté pour avoir plus d'efficacité. Je monte à l'étage, ce qui ne devrait pas me prendre trop de temps au vu des deux seules salles que je peux explorer. Je commence par toquer à la salle de cours, mais celle-ci est visiblement fermée à clé. Je me dirige ensuite vers la salle dédiée à la conception de chapelet, je fais frapper la poignée de métal contre la porte, avant de la pousser doucement pour vérifier s'il y a quelqu'un à l'intérieur. Heureuse de voir que la personne que je recherche est ici, je m'avance doucement vers elle, les mains jointes triturant mes doigts.

- Bonjour sœur Alètheia. Excusez-moi de vous déranger dans votre travail. Avec Marcia, nous aimerions avoir accès à la salle de cours pour l'après-midi, si cela est possible, s'il vous plait ?

Je crois qu'elle ne m'avait pas remarqué, car le son de ma voix lui extirpe un petit sursaut sur sa chaise. Elle lève son regard sur moi, réfléchissant à ma question tout en sortant petit à petit de sa concentration que je lui ai volée.

- Sœur Eve, je ne vous ai pas entendu entrée. Cela ne me pose aucun problème, je vais vous ouvrir, dit-elle en se levant et en déposant sa plume sur le bureau lui servant d'appui.

Je la remercie et la suis sans attendre, enfilant la trace invisible de ses pas sur le sol. Sur ce court chemin, je remarque tout juste qu'elle n'est pas si grande que ça, d'une tête pas plus. Comme je suis toujours à la fin de la file, je n'ai pas le temps de m'attarder sur ce genre de détails. Il n'y a pas que notre propre groupe que nous ne connaissons pas, mais toutes les autres sœurs du couvent en font partie elles aussi, ce qui me rend légèrement triste à l'idée de me dire que je ne connais pas grand monde, pas réellement. Marcia nous attend déjà devant la porte, saluant à son tour sœur Alètheia qui est en train de déverrouiller la serrure à l'aide de la clé prévue à cet effet. Nous nous engouffrons à l'intérieur de la petite pièce faiblement éclairée, mais suffisamment pour ne pas allumer les bougies à cette heure de la journée. Sœur Alètheia nous prévient qu'elle reviendra nous voir en fin de journée avant de refermer la porte derrière nous, nous laissant seules pour notre plus grand bonheur. Nous prenons chacune une chaise et nous nous essayons l'une à côté de l'autre face à une petite table. Rapidement, je dépose mon livre sur sa surface lisse et l'ouvre pour montrer le passage que j'ai pu lire hier à Marcia.

- Je comprends mieux ton questionnement soudain, je dois t'avouer que ça m'a un peu surprise sur le moment. Si ce livre t'a été donné par sœur Serina, c'est que nous pouvons en parler sans se soucier de nos mots.

Je confirme ses dires, n'étant pas la seule à penser de cette façon face à cet écrit. D'une petite voix suffisante, je lui lis quelques passages du livre, parfois avec incompréhension.

- Avant que je ne me dirige vers l'église, j'ai connu un garçon avec qui j'ai partagé des choses ne dépassant pas l'ultime péché, mais j'ai tout de même pu ressentir des sensations uniques. Je dirais que la contemplation est une phase qui précède obligatoirement le désir, puis les sentiments. C'est assez difficile à expliquer, c'est quelque chose qui se ressent avec des regards, avec un stress constant et une impossibilité à s'échapper, comme pris au piège malgré nous. On ne peut jamais reculer une fois que l'on est dans la contemplation d'une personne. Tout nous appelle chez elle, nous voulons découvrir son monde et plus encore.

Je buvais ces mots, à ce moment précis, j'aimerais connaitre cette sensation, avec autre chose qu'un être de chair, bien évidemment.

- Tu penses que c'est possible de ressentir ce genre de chose sans qu'une personne soit l'objet de notre contemplation ?

- Je crois que c'est impossible, à part peut-être notre Seigneur, mais nous ne pouvons ni croiser son regard, ni le toucher. Ses joues deviennent roses quelques secondes à la prononciation de ses mots, désirant un être bien au-dessus de nous. Je ne trouve pas qu'il y ait quelconque mal à ressentir ce genre de choses, tant qu'on ne succombe pas à nos désirs, qu'on les combat avec ferveur.

Elle-même avait partiellement succombé à ce genre de désir auparavant, goutant au fruit défendu recherché au même titre qu'un trésor millénial. Je repris les livres et tournai les pages, cherchant un passage qui pourrait être intéressant à décortiquer entre nous.

- « Dans votre contemplation, s'installe une fascination. Cette personne n'est-elle pas idéale, susurrant votre petite voix au creux de votre cœur. La beauté de ses yeux, la couleur de ses cheveux, la douceur de sa peau, l'intonation de sa voix, fascination. Un fort mélange se produit, chassant ce stress qui s'était niché contre votre peau, laissant place à une irrésistible envie de briser les barrières qui vous séparent. Votre cerveau ne contrôle plus votre corps, le laissant dériver dans une mer de torrents vous rapprochant sans cesse de votre Saint Graal. Vous aurez beau tenter de fuir, jamais vous ne trouverez complaisance, il vous faut désirer plus fort encore. »

Nous nous regardons dans le blanc des yeux, ne sachant pas quoi dire à propos de ce passage des plus énonciateurs, sans filtres. Marcia se mit à réfléchir longuement, retournant les mots à travers les lignes pour essayer de les assembler pour m'expliquer clairement ce qui me manquait. Elle me prit la main et entremêla ses doigts aux miens, laissant planer nos paumes collées dans l'air tout en tenant le livre de son autre main.

- Les barrières qui vous séparent, c'est de ce genre de choses que ça parle. Que ressens-tu à ce moment précis ?

Je lui réponds honnêtement que rien ne se passe, et que c'est impossible que je ressente quoi que ce soit pour quelqu'un, et encore moins pour une femme, c'est interdit.

- C'est vrai... Mon expérience tombe à l'eau.

Nos rires sont rapidement coupés par la voix de sœur Alètheia sur le pas de la porte, les bras croisés en train de nous observer, ou plutôt d'observer nos mains jointes. Je ne pourrais dire avec exactitude quelle option est la plus vraie. Nous nous séparons subitement, gênées par la situation, qui de l'extérieur parait vraiment très déplacée.

- Ce n'est plus l'heure de faire des expériences, les filles, allez dîner.

Marcia me tend le livre et pas une seconde de plus avant de filer, me laissant ranger rapidement la salle. Je crois qu'elle a pris peur, je ne peux pas lui en vouloir, sœur Alètheia est intimidante.

- Montre-moi ce que tu lis, Eve.

Je lui tends le livre et lui explique que c'est l'exercice de sœur Serina.

- Nous ne faisions rien qui puisse énerver le seigneur, je voulais seulement comprendre un passage du livre et Marcia a accepté de m'aider.

Sœur Alètheia me regarde avant d'acquiescer et de me redonner le livre, ses yeux plissés, comme si elle voulait déchiffrer quelque chose émanant de ma personne. Gênée par la situation, je quitte rapidement la pièce pour rejoindre Marcia debout devant la table à manger. Une fois que tout le monde est là, nous prions pour le repas qui nous est offert et nous asseyons dans le calme, commençant à manger avec discernement.

- Est-ce que sœur Alètheia t'a dit quelque chose en particulier ? Me demande Marcia en chuchotant à mon oreille.

- Non, rien de spécial, elle a juste observé le livre et m'a laissé partir.

Elle ne dit rien et fronce les sourcils avant de se détendre pour de bon. Une punition aurait pu être donnée à la vue de ce que nous faisions, même si cela portait surtout à confusion plus qu'à autre chose. Nous continuons à chuchoter à nos oreilles sur ce qui s'est passé plus tôt, ce n'est que lorsque je détourne les yeux vers l'arrière que je remarque le regard de sœur Alètheia, planté sur nous, me faisant me retourner et me tenir droite comme si quelqu'un tendait des fils accrochés à mon corps.

- Nous devrions en parler plus tard, sœur Alètheia est en train de nous fusiller du regard, dis-je à Marcia avant de continuer à manger, sans oser me retourner durant le reste du repas.

Lorsque nous quittons nos places, nous faisons en sorte de partir rapidement de la salle avec Marcia, telles des enfants prises en flagrant délit voulant esquiver leur juge suprême. Nous nous tenons bras dessus bras dessous jusqu'au bain, ne préférant pas trainer dans les couloirs, fuyant notre bourreau féminin. L'eau chaude et fumante nous accueille avec délicatesse en son sein, détendant tous nos muscles après cette longue journée pleine de rebondissements.

- Tu penses qu'elle va nous faire la morale ou nous punir pour nous être enfuis comme deux petites filles ?

Nous rigolions malgré nous face à cette situation, je la rassure en lui disant qu'elle doit être bien trop occupée à autre chose en ce moment, ou n'importe quel autre jour de la semaine. Sœur Alètheia n'est pas du genre à tenir rigueur, elle est calme, sereine et sérieuse. Fascinante. Nous parlions encore du livre tout en nous frottant le dos et les cheveux, comme si la leçon n'avait pas eu l'effet escompté, pas le moins du monde en réalité.

Ne pas être dans le groupe appartenant à sœur Alètheia devenait plus une chance qu'une punition, nous pouvions beaucoup plus facilement esquiver ses regards devenant de plus en plus suspicieux au fil des jours. Lointaine et vive. Tout notre temps passe par sœur Serina, allant des activités au cours du soir. Nous apprenions les mêmes choses qu'avec Alètheia, dans une forme globale et tout aussi instructive.

Nous sommes dans le couloir en train de discuter avec Marcia à la fin du rang, attendant que sœur Serina ouvre la salle de classe. Le cliquetis de la poignet retentit dans l'air, laissant filer les premières filles s'infiltrer dans la pièce, plus bruyante qu'à leur habitude. Nous entamons le pas derrière la petite troupe et tombons nez à nez avec sœur Alètheia, ayant l'air ravie de nous avoir sous ses yeux à ce moment précis. Nos bouches arrêtent de fonctionner tandis que nos corps trouvent tout seuls le chemin jusqu'à nos chaises, nous asseyant sans un mot en nous regardant, comme si le feu venait de nous rattraper à toute allure, prêts à brûler notre insouciance.

- Sœur Serina ne peut pas donner cours ce soir. Son regard nous fixa à tour de rôle, Marcia, puis moi. J'espère réussir à capter toute votre attention pour ce cours important.

Sœur Alètheia commence à parler des vœux de pauvreté, qui sont les premiers prononcés lorsque le moment est venu. Tout le monde est concentré sur ces paroles, nous remémorant les premiers cours passés avec elle. Durant les vingt premières minutes, tout se passe à merveille, mais mes pensées commencent à faire des siennes et à se disperser, pensant à nouveau à ce livre que je suis en train d'étudier. Une contemplation traversant votre flux sanguin. En ce moment précis, cette phrase prenait du sens sans que je n'en connaisse vraiment la raison. Une contemplation qui m'est impossible, jamais je ne connaitrais ce sentiment à l'intérieur du couvent.

- Quelqu'un pourrait m'expliquer sa vision de la pauvreté dans notre religion ?

La fascination est aussi un concept qui m'est inconnu. Sans contemplation, il n'y pas de fascination, et sans fascination, il n'y a pas de torrents. Qui, à part moi, aimerait être en pleine mer, à combattre l'essence même de ce qui l'anime.

- Sœur Eve, je t'écoute.

À l'entente de mon prénom, ma torpeur prit fin, me laissant un écho de la voix de sœur Alètheia frapper mes tympans.

- Oui. Je... Pardon, je n'ai pas entendu votre question, sœur Alètheia, dis-je d'une petite voix emplie de culpabilité.

- Je vous trouve bien distraite en ce moment, venez me voir à la fin du cours.

Je grommèle intérieurement, laissant une minuscule colère prendre possession de mon être. S'enfonce au creux de ta gorge. Je passe le reste du cours la tête penchée au-dessus du livre, faisant en sorte d'être concentrée, en apparence seulement. Cette sensation ne veut plus quitter mon corps, faisant accélérer mon cœur et serrer mes doigts entre eux. Lorsque le cours prend fin, je ne me lève pas de suite et laisse tout le monde quitter la pièce, sans que l'atmosphère baisse d'un cran en mon fort intérieur.

- Pourquoi restes-tu assise ? Viens devant pour que l'on puisse discuter de ce qui t'empêche d'être à l'écoute.

Je m'exécute en silence et me rapproche de son bureau où elle est attablée. Je reste là, debout, à attendre mon explosion interne prendre vie.

- Sœur Serina m'a assurée que tu étais très sérieuse, pourtant je vois bien qu'il y a un problème depuis quelque temps, je me trompe ?

Je ne réponds rien, ne sachant pas réellement s'il y a un problème. Je ne pense pas qu'il y en ait un. La contemplation sous toutes ces formes. Les paroles du livre ne cessent de cogner contre ma tête, les unes après les autres, elles m'envahissent.

- Eve, regarde-moi quand je te parle.

À sa demande, mon regard se lève et prend place dans le sien. La beauté de ses yeux. Cette boule d'énervement qui s'était formée dans ma gorge depuis plusieurs minutes maintenant se met à disparaitre petit à petit, laissant place au calme après la tempête.

- Je suis désolée de ne pas vous avoir écoutée, j'étais dans mes pensées à ce moment-là, tout simplement.

Ses yeux semblent s'adoucir à nouveau, me rassurant et m'enlevant cette culpabilité qui faisait rage. Avant qu'elle ne me libère, elle me demande d'essayer d'être moins distraire lorsqu'il s'agit des cours. Sans attendre mon reste, je lui souhaite une bonne soirée et m'extirpe de la salle non sans soulagement.

Je marche calmement dans le long couloir, me dirigeant vers l'énorme salle de prière pour y passer un moment avec le Seigneur, voulant m'excuser pour mon manque de discernement ces derniers temps. Mes yeux captent une faible lumière émanant de la porte de la bibliothèque entre ouverte, alors que celle-ci devrait être fermée à cette heure-ci. Un claquement s'échappe de la pièce, comme si quelque chose venait de tomber au sol, forçant mon interrogation à en connaitre la raison. Je me rapproche sans un bruit, mon cerveau imaginant tout un tas de choses effrayantes pouvant surgir à tout moment, frayant un chemin à la peur contre mon cœur palpitant férocement. Mes doigts poussent la grande porte avec tant de délicatesse que cela en est presque long, laissant s'échapper plus de lumière encore dans l'enceinte du bâtiment, qui lui est pratiquement plongée dans le noir. Je me décide à passer ma tête à travers l'embouchure, laissant mes yeux rencontrer une scène que jamais je n'aurais cru voir un jour, me laissant sans voix, sans aucun moyen de penser correctement. Mon corps se recule violemment contre le mur froid, mon cœur battant la chamade alors qu'aucun monstre n'a surgi à travers les ombres.

Sœur Serina est là, penchée au-dessus de la table encombrant la petite pièce, surplombant une autre fille de son propre corps. Coulant, le sable fin entre vos doigts. Leurs visages sont si proches l'un de l'autre. Votre foi inébranlable au coin de ce mur. Leurs peaux entrent en contact passionnément. Irrésistible envie. Leurs bouches s'entrelacent sous une flamme vacillante, chacune éprise de cette chaleur mortelle. Parce qu'il vous faut désirer plus fort encore.

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