L’allumeuse
En sous vêtements devant ma penderie, je cherchais dans mes shorts. Celui-là ? Trop long. Celui-ci ? Trop vieux. Ah ! Celui-là ? Hyper sexy ! Pourquoi pas… Et maintenant le haut. Je n’eus pas à chercher, je l’avais acheté spécialement pour l’occasion. Rouge vif, un décolleté vertigineux, je me demandais si je serais reconnaissable. Bon et maintenant, des baskets. L’endroit où je me rendais m’interdisait le port de chaussures plus élégantes, mais il importait que je fasse impression.
Maintenant, mes cheveux ! Je me saisis de sa brosse et entreprit de démêler ma chevelure noire et bouclée, le shampoing à l’huile d’argan avait fait son œuvre, mes bouclettes brillaient de mille feux. Je n’en revenais pas.
Le maquillage. Point trop n’en faudrait, les lieux ne s’y prêtaient pas. Juste un peu de mascara, histoire de mettre un peu de velours dans mes yeux. Peut-être un rouge à lèvres. Bien rouge comme mon T-shirt pour être assortie. Je me refusais au fond de teint, c’était trop pour moi et m’aurait dénaturé, une petite crème hydratante suffirait. Je jetai un regard dans le miroir de la salle de bain, non sans éprouver une petite pointe de fierté.
Mon téléphone fonctionnait bien : batterie pleine, heure juste. Quoi d’autre ? Une bouteille d’alcool à brûler, des allumettes. Je glissai l’ensemble dans mon sac à dos, accompagné d’un sandwich pour le pique nique, une gourde d’eau, pas besoin d’autre chose. Ça devrait le faire ! Du plus profond de mon corps un feu couvait, une excitation inhabituelle me dévorait. J’allais le faire après des semaines de préparation, c’était le jour, je m’embrasais d’impatience. J’imaginais déjà mes lèvres s’enflammer au contact des siennes.
Dégringolant les escaliers de l’immeuble un peu trop vite, je perdis l’équilibre et manquai de me tordre la cheville. Heureusement, celles-ci étaient souples et la légère torsion n’occasionna aucune douleur. Je m’arrêtai un instant pour vérifier que tout allait bien, et repartis plus prudemment. Ne pas se presser, surtout être prudente, prendre son temps, sinon, tout serait à recommencer. Respire ma vielle, concentre-toi sur tes tâches, n’imagine pas ce qui pourrait advenir.
Enfin arrivée dans le parking souterrain j’avisai ma voiture. La pauvre machine n’était plus tellement au goût du jour : sa forme un peu anguleuse la datait d’au moins une vingtaine d’années, impression renforcée par sa peinture défraîchie et les nombreuses bosses occasionnée par diverses avaries. Le malheureux véhicule ne servait pas vraiment mon but, mais c’était ainsi, une simple caissière de supermarché ne pouvait s’offrir les derniers modèles vus dans les publicités.
Après avoir toussoté, le moteur démarra avec l’air malade que je lui connaissais et m’en fus vers la forêt, vers le parking. Enfin descendue de mon véhicule, j’empruntai le chemin de la clairière que j’avais spécialement préparée. Après deux heures éreintantes à marcher, j’arrivai à destination, avalai ma collation et m’hydratai. Il fallait attendre quatorze heures trente. Le temps d’être certaine de sa présence.
J’avais ainsi le temps de faire une petite sieste. Je m’allongeai, mais impossible de tenir en place, mes pensées m’assaillaient avec des si, trop nombreux pour me laisser en paix. Une petite promenade dans les alentours me serait plus profitable, mais je devais faire attention de ne pas être vue.
Après un petit tour, regardant l’heure sur mon téléphone toutes les deux minutes, fébrile, je revins en place et commençai à vérifier l’installation : tout autour de la clairière j’avais disposé des végétaux secs, herbes, petits branchages en mettant une certaine distance entre mon cercle et la forêt elle-même, afin d’éviter les débordements. Enfin le moment tant attendu arriva, je dévidai alors la bouteille d’alcool sur toute la circonférence.
Je sortis ma boîte d’allumettes, la posai et respirai un bon coup. Puis je sortis mon téléphone. Je tapai dix-huit.
— Bonjour, sapeurs pompiers, comment puis-je vous aider ? me demanda une voix de femme.
— Je suis perdue dans la forêt, j’ai remarqué quelqu’un qui allumait un feu et… lorsqu’il m’a vue arriver, il s’est enfui, mais… le feu a pris et je ne sais pas quoi faire. Il commence à se répandre dans la clairière.
— Ne raccrocher surtout pas, je vais vous localiser.
Quelques longues secondes s’écoulèrent pendant lesquelles je sortis une allumette de ma boîte.
— C’est bon, j’envoie une équipe de secours, il y a un relais de pompiers à cinq minutes d’où vous êtes, j’ai déjà envoyé un message à l’équipe, ils arrivent.
Je craquai l’allumette qui crépita un instant, j’approchai la petite flamme du combustible et une flamme bleue apparut, entourant, grâce à l’alcool déversé, le tour de la clairière. Je me plaçai au centre où les flammes ne viendraient pas. Parfait. La fumée commençait à me piquer les narines. Je m’accroupis en espérant y échapper, mais la tête me tournait déjà.
Les pompiers n’arrivaient pas, ce n’est pas du tout ce que j’avais imaginé, au bout de six minutes, personne à l’horizon, je commençais à paniquer, ma respiration se faisait de plus en plus difficile, je manquais d’air, mes yeux commençaient à se fermer… doucement. L’œil à moitié ouvert, j’aperçus au loin des formes se mouvoir dans ma direction, ça n’avait plus d’importance, je me sentais partir dans un pays de songes… Oh, ma belle pompière qui accourait à ma rescousse… Je perdis connaissance…
… Ma belle, penchée sur moi, ses jolis cheveux roux dépassant de son casque, me soufflait dans la bouche. Ce n’était pas un baiser, que faisait-elle ?… Je sombrai à nouveau dans les abysses de l’inconscience…
*
Alors que mon esprit s’évaporait dans les limbes, se reconstruisait en moi les différentes pièces du puzzle de ma relation avec Sidonie. J’en rejouai le film avec nostalgie. Je revis la belle rousse la première fois qu’elle apparut à ma caisse de chez Prixpourris. Longiligne, de jolies formes, l’allure sportive, ses longs cheveux ondulés décorant ce visage de rêve, je l’avais trouvée divine lorsque ses yeux verts se posèrent sur moi.
— Bonjour ! Le lait, je dois le laisser dans le caddy ou je le mets sur le tapis ?
Si la sensualité de sa voix n’est pas spécialement mise en valeur dans la première phrase qu’elle m’adressa alors, mais j’en ressentis toute l’intensité potentielle. J’étais restée là, quelques secondes la mâchoire décrochée avant de pouvoir lui répondre.
Puis nous avions sympathisé. Elle venait faire ses courses deux fois par semaine dans ce supermarché, choisissant à chaque fois ma caisse et nous ne manquions pas d’échanger quelques paroles amicales. J’étais tombée follement amoureuse de cette fille. Pour être à la hauteur, je me suis mise au sport, une heure tous les soirs dans une salle, j’ai commencé à choisir des vêtements plus sexy, et j’ai cru remarqué que son regard sur moi avait changé.
Un jour elle est venue avec son uniforme de pompier, et j’ai pu lire nom et prénom. Sidonie lui allait si bien ! Le mien était inscrit sur l’uniforme du magasin, nous nous alors sommes mis à les utiliser, pour mon plus grand bonheur ! Aussi, je me suis mise à me faire des films sur elle, parfois le soir, dans le secret de ma chambre.
Il fallait que je sache qui elle était vraiment. Était-elle seule ? Je ne l’avais jamais vu accompagnée. Je tentai de la sonder par des questions sans véritable sens apparent : « Que va dire votre mari s’il voit que vous achetez ce maquillage », « Ces bonbons, c’est pour vos enfants ? »… elle se laissa docilement questionner et exerça les mêmes subterfuges sur moi. Je compris qu’elle était célibataire sans enfants, et elle obtint le même type de réponses de ma part.
Mais comment l’aborder ? Pas seulement quelques mots à la caisse de Prixpourris, mais lui parler vraiment, la rencontrer. Je commençai alors à chercher à en savoir un peu plus sur son métier de pompier, et c’est là que j’appris, que tous les mercredis à partir de quatorze heures elle était de faction en pleine forêt, et je réussis même à savoir où.
Alors naquit cette idée de me faire sauver par elle. La suite, vous la connaissez.
*
… Une lumière blanche désagréable, une odeur de médicament. Un hôpital ? Je tournai la tête, elle était là, dans son costume de pompier. Tellement craquante.
— Mais qu’as-tu fait Yasmina ?
Elle s’approcha du lit.
— Une tentative de suicide ? Pourquoi ?
— Non, tentais-je.
Je lui répétai ensuite ce que j’avais dit à la standardiste, mais une moue incrédule se forma sur son visage.
— Tu vas pas me faire gober ça à moi, c’est une tentative de suicide, tout a été organisé, la mise en scène, il n’y a pas de doute, c’est toi qui as mis le feu. Tu as juste voulu éviter un incendie d’ampleur en appelant le service. Je me trompe ?
Je la regardai, honteuse.
— Sidonie. Je… Ce n’est pas une tentative de suicide, je voulais…
Regard d’incompréhension.
— Tu voulais quoi ? Si tu voulais foutre le feu à la forêt c’est pas comme ça que tu t’y serais pris !
Je pris une grande respiration, j’en avais besoin, mes mains tremblaient, ma voix aussi.
— Je voulais… faire un acte romantique. Je voulais… que tu me sauves et…
Son visage se ferma soudain.
— Non mais ça va pas ? Tu vois pas le danger que tu as couru ? Encore quelques minutes, et…
Elle s’énervait passablement.
— Pardon…
— Non, mais tu crois quoi ? Maintenant qu’est-ce que je vais mettre dans le rapport ? Tu as failli foutre le feu à la forêt pour un acte romantique ? Avec ça, c’est en taule que tu vas !
Je lui fis mon regard de petit chat apeuré. Elle s’assit sur le lit à côté de moi.
— T’en fais pas, je mettrai ce que tu avais dit à la réceptionniste. Tu n’as pas pu distinguer son visage, et voilà. Mais j’ai eu peur pour toi, moi. Tu pouvais pas juste m’inviter au restaud, ça aurait été tout aussi romantique et moins dangereux.
Elle me prit la main, je lui souris.
— Lieutenante Sidonie, me permettez-vous de vous inviter au restaurant ce soir ?
Le lieutenant de pompiers repris une mine sévère.
— Je ne crois pas, non !
Voyant ma mine déconfite, elle éclata de rire.
— Non pas ce soir, car tu es clouée au lit jusqu’à demain. Mais si tu es libre, demain ça me va. Et pas la peine de faire du chichi, une pizzeria me suffira.
Ma belle pompière rousse se pencha vers moi et me sourit. Je passai une main dans ses cheveux, jouai avec ses boucles rousses et tendit mes lèvres, fermant les yeux, je sentis les siennes pleines et charnues s’y joindre. Douceur, volupté. De la pointe langue, j’appelai la sienne qui accepta l’invitation à danser, embrasant tout mon corps.
Sentant alors contre moi sa poitrine ignée attiser mon plaisir, je me laissai alors enflammer dans la tendresse de ses bras, merveilleux, chauds et aimants. Lorsque le baiser termina, alors que nos yeux se caressaient d’un feu couvant, elle ajouta :
— J’accepterai même plus volontiers un dîner chez toi.
— Et une invitation à dormir ?
— Je préférerais une nuit blanche, si ça ne te fait rien, répondit-elle en me dévorant des yeux.
— Tu vois, mon acte romantique a fonctionné, tu m’as sauvée.
Et nous nous enlaçâmes à nouveau.
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