Désolation campagnarde

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5°challenge des Canteurs, le sujet : La prose s'impose, la rime s'invite.

Mots imposés : rivière, chaise, pérégrination

Le citadin imagine la campagne comme un lieu idéal et merveilleux où mère nature s’explique pleinement, répandant çà quelques fleurs des champs et là quelques buissons emplis de délicieuses baies sauvages. Dans cette vision idéale, il imagine des collines, des forêts, des prairies, une eau limpide la traversant parcourant joyeusement ces contrées enchantées, s’arrêtant parfois pour former un lac aux eaux foisonnantes de poissons. Sur les branches chantent des oiseaux et dans les champs paissent placidement quelques troupeaux de vaches sur le nez desquels se posent parfois un papillon, courent quelques chevaux. Les forêts grouillent d’animaux sauvages, cerfs, écureuils…

Cette vision est parfois proche de la réalité, mais ce n’est pas le cas ici, dans cet endroit perdu. Sur des centaines de kilomètres carrés s’étalent des champs à perte de vue. Des champs rectilignes aux vallonnements à peine dessinés, déjà peu accentués au départ, ils ont été rabotés par les machines des laboureurs au fil du temps. En hiver, la terre nue, sur laquelle on a tué à coup de fongicides, herbicides, insecticides… tout ce qui aurait pu y vivre, apparaît crue aux yeux de celui qui, par hasard s’égare sur la route unique. En été, ne s’y ajoute qu’une fine couche de blé. Elle est si fine et parfaitement tartinée, qu’elle n’enlève rien à la désolation des lieux.

La rivière qui traversait jadis ces domaines a été maîtrisée, elle est désormais toute droite et strie les étendues herbeuses pour les abreuver, ne laissant échapper à sa sortie qu’un mince filet d’eau. Dans ces lieux sinistres, des oiseaux de métal ont remplacé ceux de chair et d’os. Nul chant. Ne perturbe ce silence mortuaire que le bourdonnement lointain d’un éventuel drone parcourant ces déserts, traquant la moindre anomalie, herbe sauvage, trou dans la couverture de céréales.

Ici les propriétaires n’apparaissent jamais. Ils n’ont jamais utilisé un outil, jamais touché la terre, jamais vu un champ, à part peut-être à la télévision. Et encore, si par mégarde ils en voient un, ils changent de chaîne, ça leur rappelle trop leur travail. Ils habitent Paris et gèrent leur exploitation comme une simple ressource pécuniaire. Ils ont des graphiques, qui leur donnent le rendement, le nombre d’ouvriers qu’ils essaient toujours de diminuer, ainsi que d’autres indicateurs divers et variés. Un conseiller financier les aide à réduire les impôts qu’ils paient. Heureusement le coût lié à ces employés, vampires parasites, disparaîtront bientôt, l’intelligence artificielle est là.

Quelques fermes végètent ici et là. Les toits tiennent de moins en moins debout, des briques se délogent, des murs s’inclinent avant la chute finale. Les ronces envahissent les anciens potagers, percent le béton, s’invitent dans les bâtisses. Aux chaînes rouillées attachées autour des arbres qui, en prenant de l’ampleur les ont incorporées dans leur écorce, nul chien n’est relié.

Ceux qui y logent sont des mercenaires, ouvriers agricoles venus de villes ou de pays lointains. Ils y posent leurs valises pendant quelques mois, le temps des semailles ou celui des moissons, histoire de gagner quelque menue monnaie, subsister le temps d’une saison, puis s’enfuient pour ne plus jamais revoir ces lieux déprimants. Un jour, peut-être, des machines automatiques les auront remplacés, ainsi ces lieux où pousse la matière nourricière des populations, auront enfin complètement disparu de la mémoire humaine. Mais ce n’est pas encore le cas.

Au milieu de tout ceci, accroché à une bâtisse encore à peu près debout, pend une enseigne au bleu délavé. On peut encore à peu près y lire : « Au cheval blanc ». Un jour, peut-être y en a-t-il eu un ? Les vestiges d’une grange pourraient tendre à le faire croire. Si dans vos pérégrinations, vous poussiez la porte toute de guingois, au milieu d’un grincement de charnières, et après avoir entendu tinter le fantôme d’une clochette, vous découvririez un sol recouvert de mégots de cigarettes, de verres et bouteilles cassées. Des tables brinquebalantes constitueraient votre seul accueil. Si vous vous accoudiez au zinc, vous n’y trouveriez personne pour vous servir. Il reste bien un fut de bière, mais celui-ci est éventré, le liquide s’est écoulé il y a plusieurs dizaines d’années.

Mais ceci, c’est en journée. Si vous veniez à minuit vous seriez bien surpris. Vous verriez le Dédé, assis au piano et jouant un air de De Bussy avec une partition achetée à la foire de la ville proche, la Marcelle en train de nettoyer les verres, Raymond, Claude, Arthur et le Jean, le cul sur une chaise en train de taper le carton, l’Albert qui en est déjà à sa deuxième bouteille et qui aura du mal de rentrer chez lui. Dans un coin, Madame la marquise et Monsieur le baron comme on les appelle, en fait c’est la Lucienne et le Robert ! Chacun des deux tient un livre dans sa main, tout en devisant. Vous seriez saisis par le contenu de leur conversation :

— Voulez-vous mon ami, reprendre un verre ?

— Imaginez-vous qu’il me suffira ma chère ?

— Soyez raisonnables, il ne faut point trop boire,

« Car à nos pénates, nous rentrerons ce soir.

« Prenez un verre de bière, si le cœur vous en dit,(1)

« N’exagérez donc pas, cela est interdit. »

Mais lorsque l’horloge aurait frappé la première heure de la journée,

Ces fantômes d’un autre temps ce seront effacés.

1 - Vers emprunté à Jaques Prévert, je ne sais pas si je lui rendrai.

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