Les livres, l’hérésie mathématique

4 minutes de lecture

Et si un deuxième échec m’assommait à nouveau ? Longtemps, j’ai voulu croire en ma capacité à avoir un esprit scientifique mais tout s’est éteint. Des années à aimer la littérature avec un soupçon de calculs et tout dansait en moi si facilement. Parfois des phrases se répandaient : « Tu es forte. Moi pas. ». Comme si mon pouvoir de tout relier me rendait supérieur aux autres et provoquait de temps en temps de la jalousie involontairement.

Les lacunes arrivaient puis partaient. Je peux les surmonter, tout ira bien. Les notes de français et de sciences étaient interchangeables selon mon humeur et mes envies. Je n’aime pas ce chapitre sur le cercle trigonométrique. Il n’y avait pas de soucis, la littérature venait compenser cette peine.

Mais des peines il y en a eu des bien plus sévères lorsque j’échouais en physique et qu’elle préparait mon avenir. C’est à ce moment-là que tout a commencé à s’anéantir. Le monde se rétrécissait. Tout se mélangeait : les notions, les lois, les calculs. Les mots de l’énoncé devenaient une substance, un poison qui se répandaient dans mes veines. Je vais encore avoir une sale note. Les yeux s’humidifiaient, je n’arrivais plus à écrire, à lire, à réfléchir et je me mettais à pleurer. Quelques bribes de pensées. Fais chier. C’est de la saloperie, ça n’a aucun sens ça.

Ça n’a pas de sens parce que je suis constituée ainsi. Une littéraire qui se bat contre les scientifiques ça ne devrait pas exister. L’époque des philosophes polyvalents dans les mathématiques était révolue. Moi je ne suis pas un génie. Je continuais mon acharnement en vain. Tout se diluait, il en était ainsi. Pas besoin de se battre encore et encore contre quelque chose à l’état liquide.

Une deuxième douleur venait s’y ajouter : je ne pouvais donc pas suivre celui que j’aimais qui vivait pour ces matières. Avec ses discours pédantesques et hautains, il fallait réussir. Les livres, l’hérésie mathématique. Une folie. Cet acharnement de ces futurs scientifiques m’intriguait. Ils méprisent tout ce qui ne leur sera pas utile dans leurs calculs et rabaissent ceux qui n’en font pas. On m’a méprisée de cette manière. Je devais avoir un penchant pour les mots. Les vrais. Pas les mots dans un énoncé qui ordonne de chercher un procédé calculatoire et l’appliquer.

Il y avait trois écoles : eux, moi et les littéraires. Je tenais les deux bouts de la corde pour les joindre en moi. C’est ainsi qu’elle cédait, usée de ce combat. J’ai voulu jouer dans les récréations et je m’écorchais à chaque fois.

La loi de la statique des fluides. La loi d’Ohm. Et puis celle de Boyle-Mariotte. La constante d’Avogadro mêlée à la quantité de matière. La danse macabre entre la masse et le volume. C’était quoi tout ça pour moi ? J’ai cessé la lutte et j’ai laissé derrière moi la chimie empoissonnée et la physique pesante.

Et à nouveau, cette année, les choses ne se sont pas déroulées comme souhaité. Les mathématiques, la nouvelle souffrance. La prof qui danse avec de la méchanceté et des savoirs, ça n’a rien de logique non plus. Les nombres complexes, c’est intéressant. Non, c’est blessant. C’est aussi tranchant qu’un couteau. Ils m’emprisonnent. Module. Argument. Formes trigonométrique et arithmétique. Les conjugués. C’est douloureux, la prof nous les enseigne avec dureté. Explications erronées, sévérité accrue. Ça, ça ne me conviendra pas pour toute l’année. Il faut vite abandonner sans quoi je vais y laisser encore plus de larmes. C’est une leçon de vie dit-elle. C’est de la souffrance pensais-je. Vos trucs ça ne vaut rien. Ça déglingue juste le cœur, ça le réduit en miette. Moi je n’ai jamais voulu que ça me fasse mal. Maintenant je dois abandonner et laisser la matière à celui qui voudra en faire quelque chose. Ma place je la donne à un élève qui en fera meilleur usage. Prenez-la, je vous l’offre. C’est que des savoirs peu fondés avec cette prof, vous n’apprendrez rien et pourtant vous continuez de vous battre. À croire qu’il y a de la matière, qu’il y a une force mystérieuse dans vos calculs mais ça c’est du mensonge. Vous rêvez d’une prépa maths mais à moi elle dit que ma question c’est du niveau sixième. J’ai fait maths expertes par plaisir, l’an prochain je n’aurais plus que de la littérature dans le cœur. Finalement, on a réussi à me dégouter de la lettre i avec des chiffres juxtaposés. Je me fais du mal quand je vois ça, mes mains tremblent et je vais éclater en sanglot. Je vais être seule à ce moment-là et la seule phrase qu’on me dira sera : Il faut que tu apprennes à te gérer. J’en n’ai rien à foutre je vais me casser. Vous avez qu'à me mettre zéro, je viendrai plus. Mon unique pensée que je ne prononçais pas, par respect.

Tout ce que j’ai vu, ce sont des littéraires qui avaient peur devant la science. Des matheux trop prétentieux, méchants, vulgaires. Il y a une limite entre ces deux mondes et j’ai voulu me frayer un chemin par plaisir. Je m’amusais dans deux domaines complètement différents et la science a causé une affliction en moi.

La forme exponentielle. Encore une notion effrayante que cette fois-ci je ne connaitrais jamais.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire iphigenia- ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0