Chapitre 4
« Je pensais que nos liens étaient indestructibles,
Nous surmontions tout grâce à cet amour indicible.
Mais voilà qu’une ombre s’installe entre nos cœurs,
Et je me sens perdue, sans repères, sans lueur. »
La voix tremblante d’Anna s’éleva, à moitié étouffée, alors que la reine était affalée contre la rambarde du balcon. Elle releva la tête, sans prêter attention aux larmes qui coulaient sur ses joues ni aux mèches de ses cheveux flamboyants qui lui tombaient dans les yeux. À travers ses yeux embués, elle observait les toits de la ville endormie, sans vraiment les voir, lorsque quelque chose attira son attention du coin de l’œil.
Au loin, un épais nuage noir flottait au-dessus de la mer, sous l’horizon. Anna chassa ses larmes et plissa les yeux, essayant de comprendre cet étrange phénomène. Elle constata avec effroi que le brouillard avançait à une vitesse alarmante en direction d’Arendelle. La reine se précipita à l’intérieur du château, appelant la garde, son chagrin remplacé par une angoisse grandissante. À son grand soulagement, elle tomba rapidement sur Mattias, le chef de la garde royale, au détour d’un couloir, et ordonna l’évacuation de la ville. Il fallait guider les habitants en sûreté sur un point en hauteur, sur les flancs des montagnes qui entouraient le royaume.
Mattias venait tout juste de partir lorsque l’écho de pas précipités retentirent derrière elle. En se retournant, elle découvrit Elsa et Kristoff se diriger vers elle, l’air inquiets.
— Que se passe-t-il ? demanda Kristoff.
— Quelque chose arrive sur Arendelle, expliqua précipitamment Anna, évitant soigneusement de regarder sa sœur. Une sorte de grand brouillard noir. Il vient droit sur le royaume, comme s’il était vivant ! Il faut évacuer la ville jusqu’à ce que nous sachions de quoi il s’agit !
Les deux autres hochèrent la tête et tous trois se hâtèrent d’aider les gardes. Elsa n’échangea pas un mot avec sa sœur, mais lui lançait des regards insistants qu’Anna s’efforçait d’ignorer. Arrivés à une intersection, la jeune blonde bifurqua dans un couloir différent de celui d’Anna et Kristoff afin d’aller prévenir Aodhan et Olaf.
Dehors, les habitants sortaient de leurs maisons, la mine encore endormie et bredouillants. Au-dessus de leur tête, Le ciel s’assombrissait à mesure que le brouillard avançait, dévorant l’horizon dans son sillage.
Pendant que les gardes dirigeaient les habitants vers les hauteurs, Anna sentait une boule d’angoisse se former dans sa gorge. Kristoff se glissa à ses côtés et lui prit la main.
— Tout ira bien, murmura-t-il. Nous allons régler ça tous ensemble.
— Comment… ? répondit-elle d’un ton implorant.
Le jeune homme ne sut quoi répondre, mais il n’en eût pas besoin : la foule des habitants se pressait autour d’eux. Ils attendaient d’être guidés par leur nouvelle reine, et cette dernière n’eût d’autre choix que de se placer en tête de file pour guider tout Arendelle vers les hauteurs. Le brouillard commençait à s’insinuer dans les rues, produisant un bruissement inquiétant à mesure qu’il progressait lentement.
Une demi-heure plus tard, après s’être assurés que tous les habitants étaient sains et saufs, Anna, Kristoff et Mattias fendirent la foule pour retrouver Elsa, Olaf, Sven et Aodhan. Autour d’eux, un murmure inquiet s’élevait.
— Que se passe-t-il encore ? demanda l’un.
— Si on me parle encore d’esprit de la forêt..., grommela un autre.
— Dames Elsa et Anna vont encore régler ça, pas vrai ? s’inquiéta une femme.
Anna poussa une exclamation triomphante en apercevant la chevelure platine de sa sœur par-dessus la foule. Elle se précipita et se planta face à elle, l’air déterminé. Mais avant qu’elle n’ait pu dire quoi que ce soit, Elsa l’interrompit en levant une main, l’air tout aussi désorienté que les autres.
— Cette fois, je n’y suis pour rien. Je n’ai pas réveillé d’autres esprits d’une Forêt Enchantée.
— Alors que se passe-t-il ? s’exclama Anna en désignant le royaume en contrebas.
Ce dernier était désormais à peine visible, totalement englouti dans le brouillard noir. Sa fumée dense bougeait de manière imprévisible, presque vivante, étouffant la moindre lueur des fenêtres des habitations ou des lampadaires. Il semblait même absorber les sons, faisant régner un silence pesant sur la ville. Les contours des bâtiments étaient flous, comme dissous dans cette obscurité opaque. Seule la plus haute tour du château parvenait à percer cette masse noire inquiétante.
Elsa et Anna, le visage crispé d’inquiétude, scrutaient le brouillard en espérant y déceler le moindre indice sur ce qui se passait. Kristoff, lui, se tenait aux côtés de sa fiancée, enlaçant sa taille pour cacher ses propres tremblements. Même Olaf, d’habitude si joyeux et insouciant, contemplait Arendelle avec une expression d’incompréhension. Non loin d’eux, légèrement à l’écart, Aodhan observait lui aussi ce nuage noir, l’air aussi désemparé que les autres, ses doigts jouant nerveusement avec les boutons de son manteau rouge sombre.
Un rire sinistre s’éleva alors du plus profond des ténèbres, faisant taire les murmures préoccupés des habitants. Alors qu’ils cherchaient l’origine de ce rire, luttant contre un frisson de peur, certains pointèrent le doigt pour montrer quelque chose à l’intérieur du brouillard.
Une silhouette se découpa du noir complet, celle d’un homme grand à la carrure imposante. Il s’éleva dans les airs comme s’il marchait sur les volutes de fumée, jusqu’à faire face au groupe royal, qui put le détailler.
Le visage de l’homme, caché sous de longs cheveux noirs et gras et une barbe de plusieurs jours, était creusé par les rides du temps. Il était vêtu d’un long manteau tout aussi sombre, qui flottait derrière lui comme s’il était constitué des mêmes ténèbres que celles qui recouvraient la ville. Derrière les mèches de ses cheveux, on pouvait distinguer deux yeux sombres semblables à des puits sans fond absorbant toute lumière et ne renvoyant aucune lueur. Il fixait intensément Elsa, qui fut de nouveau parcourue d’un frisson.
— Ainsi donc, Elsa, la grande reine d’Arendelle, l’esprit de glace de la Forêt Enchantée… n’est qu’une enfant.
Sa voix était grave, rauque et gutturale, comme s’il n’avait pas parlé depuis des années. Il les observait comme un loup observe sa proie, flottant au-dessus de tous et les dominant de toute sa hauteur.
— Que peux-tu avoir de si spécial ? poursuivit-il. Pourquoi les esprits ont-ils accordés des pouvoirs à une fillette si frêle ?
Elsa fronça les sourcils et s’apprêta à répliquer, mais Anna avança en se plaçant devant elle, ignorant la peur qui enserrait son cœur.
— Je suis Anna, la reine d’Arendelle, et je ne vous permets pas d’insulter ma sœur ! s’exclama-t-elle. Qui que vous soyez, vous n’êtes pas le bienvenu ici !
— Je n’ai que faire de vous, cracha l’homme d’un ton dédaigneux. Je suis venu reprendre ce royaume qui est le mien.
— Je vous en empêcherai ! protesta Elsa en poussant légèrement sa sœur sur le côté, les poings serrés de rage.
— Essaie donc ! Malgré tes pouvoirs, tu n’es qu’une enfant incapable de protéger son royaume ! Regarde avec quelle facilité j’ai pu envahir Arendelle ! Maintenant, inclinez-vous face à moi, et célébrez le retour de Roderick, votre véritable suzerain !
— Jamais ! hurla quelqu’un dans la foule.
Aussitôt, un flot de cris et de protestation s’éleva des habitants, et les deux sœurs ressentirent un élan de gratitude en voyant leur peuple prendre ainsi leur défense.
Mais le dénommé Roderick se contenta de sourire, une grimace inquiétante qui lui donnait l’air plus dangereux encore.
— Arendelle ne vous appartient pas. Nous nous battrons s’il le faut ! reprit Anna.
— J’aimerais bien voir ça, répondit simplement l’autre.
L’homme recula, flottant toujours dans les airs, et son sourire sinistre disparu dans les ténèbres. Au même moment, un grattement inquiétant retentit au bas de la falaise. Elsa s’approcha pour découvrir la source du bruit.
Des créatures escaladaient la falaise. Leurs silhouettes difformes se découpaient contre le brouillard noir, révélant des formes anguleuses et des contours indistincts, comme si elles émergeaient des ténèbres elles-mêmes. Leurs yeux jaunes brillaient d’une lueur sinistre, perçant l’obscurité telles des lanternes démoniaques.
Leurs doigts allongés ressemblant à des griffes acérées se plantaient dans la roche alors qu’elles poursuivaient leur ascension, gagnant du terrain, et leurs cris stridents et inhumains résonnaient dans l’air. En les voyant, certains habitants poussèrent des cris de terreur.
L’une d’elle sauta juste devant Elsa qui tomba à la renverse. La créature, qui avait échappé à sa vigilance, avançait ses longues griffes d’un air menaçant. Un frisson de terreur parcourut l’échine d’Elsa, alors qu’elle observait la créature s’approcher lentement d’elle.
À cet instant précis, Aodhan se précipita sur Mattias sans réfléchir, se saisit de son épée, et dans le même geste, l’abattit sur la créature. Un cri déchirant résonna tandis que la lame fendait en deux le corps du monstre, le dissipant dans un tourbillon de fumée noire. Après avoir rendu son arme au capitaine de la garde, il tendit sa main à Elsa pour l’aider à se relever.
— Merci, souffla-t-elle.
— Vous me remercierez lorsque nous serons à l’abri, répliqua-t-il.
Il lui sourit malgré tout, soulagé qu’elle n’ait pas été blessée.
— Il a raison, approuva Mattias en se tournant vers Anna. Nous ne sommes pas assez nombreux pour affronter tous ces… monstres. Nous ne savons même pas combien ils sont, il faut fuir !
Le regard de la reine d’Arendelle passa de la foule d’habitants aux personnes chères qui se tenaient devant elle. Tous attendaient ses instructions. Elle hocha finalement la tête.
— Allons-y ! Suivez-nous ! s’écria-t-elle. Dépêchez-vous avant que le reste des créatures n’arrive ici !
Tandis que le groupe se mettait en marche, ils réalisaient la véritable ampleur de la menace qui pesait sur eux. La rencontre avec ce monstre avait révélé toute la sinistre puissance des ténèbres qui les assiégeaient, les poussant à fuir précipitamment leur royaume bien-aimé.
— Où allons-nous ? demanda Kristoff en rattrapant Anna.
Il prit sa main dans la sienne et tenta de suivre son rythme. La rousse avançait à grands pas décidés tout en jetant des regards inquiets aux habitants derrière elle, vérifiant que tout le monde allait bien.
— Vers les alliés les plus proches d’Arendelle, déclara-t-elle résolument. J’espère que les Northuldras accepteront de nous accueillir.
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