Chapitre 8

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Le navire fendait les flots à toute allure, ses voiles blanches, gonflées par le vent marin, arboraient fièrement l’emblème d’Arendelle. Debout sur le pont, Roderick s’avança en direction de la proue. Au loin à tribord, il pouvait apercevoir le légendaire Narval de lumière flotter paisiblement dans le ciel de la Forêt Enchantée. Mais la forêt n’était pas son objectif aujourd’hui.
Son long manteau bleu marine voletait dans son dos, claquant au rythme du vent, et ses ornements en or étaient plus éblouissants que le soleil. Un large sourire éclairait son visage et même ses yeux, d’habitude si sombres.

« Sur mon royaume, en maître je règne,
Dans leur amour, la gloire et la fortune je baigne.
Je suis leur gardien, le héros sans peur,
Et tous m’adulent, car je suis leur protecteur ! »

Autour de lui, les marins chantaient en chœur des refrains joyeux, leurs rires se mêlant au clapotis apaisant de l’eau contre la coque. Après deux jours à naviguer sur ces eaux calmes, leur objectif apparaissait enfin à l’horizon : Ahtohallan. Le nid de pie le cria au reste du navire, et l’équipage tout entier poussa des exclamations de joie.
Roderick, lui, sentait son cœur s’accélérer. Il aurait volontiers rejoint son équipage, poussant de plus grands cris qu’eux tous réunis, si son statut de roi ne l’obligeait pas à garder sa prestance et tout temps. Enfin, son objectif était là, devant ses yeux. Aujourd’hui, il deviendrait le plus puissant souverain qu’on ait jamais connu. Plus personne n’osera jamais s’en prendre à Arendelle, et cela, grâce à lui.

« Dans mon cœur, je le sais, je suis destiné à régner !
Et cette forêt abrite une puissance inégalée.
De cette magie, je suis le seul à être digne,
Et de ma grandeur elle sera le signe. »

Le roi et son équipage descendirent enfin sur le rivage gelé du glacier, leurs pas crissants faiblement sur la glace immaculée. Ils trépignaient tous d’impatience, mais les marins s’étaient tus. Autour d’eux régnait un silence propre à un lieu sacré. Ils se tenaient face à une entrée creusée dans l’immense falaise, et Roderick s’approcha, se sentant comme appelé par les profondeurs mystérieuses d’Ahtohallan. Il posa la main sur la surface lisse du glacier, qui reflétait son visage emprunt de confiance et d’excitation.

« Dans la glace, je ne vois que mon reflet,
Un roi glorieux, majestueux, inégalé !
Avec ces pouvoirs, Arendelle sera protégée,
Et moi, je serais une légende adulée ! »

Il fit signe aux matelots de l’attendre ici. C’était quelque chose qu’il devait faire seul. Il entra dans la grotte, ressentant la magie ancestrale qui sommeillait en ces lieux, une force qui semblait le guider inexorablement.
Les murs de la caverne émettaient une faible lumière bleutée, mais plus Roderick avançait le long des tunnels sinueux, plus la lumière s’effaçait, jusqu’à l’abandonner dans le noir complet. Il s’apprêtait à se saisir de sa torche et d’un peu d’amadou lorsqu’il remarqua une lumière au bout du tunnel dans lequel il se tenait. Il poursuivit son chemin dans cette direction, gardant une main sur le mur de glace par sécurité. Un froid intense traversa sa chaire alors qu’il parcourait la surface lisse du glacier.
Il déboucha dans une immense salle traversée par un gouffre abyssal. Les murs de glace semblaient scintiller faiblement dans la lumière du rayon de soleil qui filtrait à travers une ouverture au plafond. Face à lui, de l’autre côté du ravin, une lumière douce et blanche se dégageait d’une ouverture dans la glace, attirant son regard. De prime abord, rien ne lui permettait de traverser le gouffre, et malgré l’impressionnante distance qui le séparait de cette ouverture, Roderick sentit une détermination sans faille grandir en lui. Rien ne pourrait empêcher le roi d’Arendelle d’atteindre son objectif.
Roderick détacha le grappin de sa ceinture et le lança avec une précision experte vers les rochers gelés qui surplombaient la paroi opposée. La corde s’enroula autour d’un des rochers, et après s’être assuré de sa solidité, il prit de l’élan, une profonde inspiration, et s’élança.
Son vertige ne dura que quelques secondes à peine. Évitant soigneusement de regarder les profondeurs en dessous de lui, il lâcha la corde au moment opportun et atterrit avec une certaine lourdeur de l’autre côté, se réceptionnant avec une roulade qui lui permit d’amortir le choc. En se relevant, il observa la pièce dans laquelle il était arrivé : Un vaste dôme tout de glace, au centre duquel était gravé un étrange symbole sur le sol. Instinctivement, Roderick sut qu’il devait s’y placer.

— Esprits de la Forêt ! s’exclama-t-il. Je suis Roderick, roi d’Arendelle ! J’ai traversé vos épreuves et suis désormais prêt à recevoir mes pouvoirs !

Alors qu’il parlait, il pivotait sur lui-même, les bras écartés, comme s’il s’adressait à une audience qui l’entourait. Il les sentait, les esprits, leur présence tourbillonnait tout autour de lui, comme une silhouette qu’on aperçoit du coin de l’œil sans jamais réussir à voir vraiment.
Mais rien ne se passa. Roderick fronça les sourcils et éleva de nouveau la voix :

— Je suis le roi d’Arendelle ! Le plus digne de recevoir ces pouvoirs ! Sans eux, je ne pourrais pas protéger mon royaume des envahisseurs !

La lumière de la salle déclina peu à peu à mesure que les murs se ternissaient. La glace semblait perdre de son éclat, devenir plus opaque, plus sombre et grisâtre. Le roi d’Arendelle écarquilla les yeux.

— Non ! Vous ne pouvez pas faire cela !

Une sorte de lamentation retentit au loin, et les murs se teintèrent de rouge vif pendant quelques instants, avant de devenir complètement noir, plongeant le pauvre homme dans les ténèbres et le silence.
Les esprits avaient prononcé leur refus.

— Ce sont mes pouvoirs ! enragea Roderick. Les miens, à moi seul ! Je suis le seul à être digne de la magie de la Forêt Enchantée !

Il se saisit de sa torche et, après de pénible efforts, ses mains tremblantes de colère, il parvint à l’allumer. Seule la lueur vacillante de la flamme l’éclairait désormais. Tout, autour de lui, était sombre.
Roderick sentit le rouge lui monter aux joues sous l’effet de la colère. Il serrait si fort le poing sur sa torche que le bois craqua dangereusement.

— Minables esprits arrogants ! poursuivit-il en hurlant, les yeux exorbités. Vous pensez être au-dessus de moi ? J’obtiendrai ces pouvoirs, et vous ne m’en empêcherez pas !

Sa voix résonna en écho, mais seul le silence répondit. Un lourd silence qu’il ne pouvait accepter.

Alors qu’il sortit d’Ahtohallan, le roi fut accueilli par les exclamations endiablées de son équipage. Tous tenaient à le féliciter d’avoir été béni de pouvoirs magiques par la Forêt Enchantée. Roderick les regarda, l’œil sombre. Toute trace de grandeur et de confiance avait disparu de son visage.

— Retournez au navire ! aboya-t-il. Nous rentrons à Arendelle !

Les marins se turent aussitôt, l’air médusé, et retournèrent lentement sur le pont du navire royal pour exécuter ses ordres.
Ils venaient tout juste de se mettre en route, traversant les flots en sens inverse, lorsqu’un homme sortit de la cabine du capitaine et se dirigea vers le roi.

— Mon roi, s’inclina-t-il, l’équipage s’inquiète pour vous. Et moi aussi, je dois l’avouer. Que s’est-il passé à Ahtohallan ?

L’homme était grand et robuste, aux épaules carrées. Ses yeux, d’un bleu azur, brillaient comme deux perles au-dessus d’une imposante moustache. Ses cheveux blonds vénitien étaient parfaitement coiffés, et ses favoris encadraient un visage bienveillant malgré ses traits durs.
Lorsqu’il se releva, il dominait facilement Roderick d’une tête de plus, ce qui n’intimida pas le roi le moins du monde.

— Relève-toi, Runeard, lui ordonna Roderick.

Il soupira longuement avant de poursuivre :

— Je suppose que je peux au moins en parler à mon conseiller… Ahtohallan ne m’a pas accordé de pouvoirs.

Le dénommé Runeard écarquilla les yeux de surprise, et un silence s’installa entre eux, seulement perturbé par le doux chant du Narval de lumière au loin.

— Mon roi, je suis sûr qu’il y a une bonne raison, articula lentement le conseiller. Les esprits de la Forêt ont dû voir la grandeur de l’homme qui se tenait face à eux, et ont jugé qu’il n’avait pas besoin de pouvoirs pour être plus fort.
— Je pourrais être plus grand encore, siffla le roi entre ses dents. Les esprits ont eu peur de moi. À moins que…

Il se tourna vers le Narval de lumière qui continuait de flotter paisiblement au-dessus de la Forêt Enchantée.

— … à moins qu’ils ne me mettent une nouvelle fois à l’épreuve, conclut-il dans un souffle.

Runeard suivit le regard de son roi, et un sourire s’étira sur ses lèvres.

— Vous pensez à l’épée dorée, sire ? demanda-t-il. J’ai lu sa légende dans les archives royales, une épine de lumière qui serait tombée du Narval de lumière et qui aurait le pouvoir de ramener la lumière même…
— Quoi ? Non, non, ce n’est pas ça, l’interrompit Roderick. Je n’ai que faire de légendes stupides.
— Mon roi, insista son conseiller, si vous trouviez cette épée, vous gagnerez sûrement ses pouvoirs ainsi que le respect de votre peuple.

Roderick se tourna vers lui, l’air sévère. Ses yeux trahissaient un certain dédain, proche du dégoût.

— J’ai déjà le respect du peuple d’Arendelle, et je n’ai que faire d’une vulgaire épée, cracha-t-il. Ce sont les pouvoirs magiques de la Forêt Enchantée que je veux. Et quel meilleur moyen pour prouver ma valeur que de vaincre cet animal ? Ce n’est pas un esprit, et pourtant ils lui ont accordé le pouvoir de la lumière… Lorsque je l’aurais vaincu, Ahtohallan sera forcé de reconnaître ma supériorité et de m’octroyer les pouvoirs du Narval.

Il se tourna vers l’équipage :

— À bâbord toutes ! s’époumona-t-il. Dirigez-vous vers le Narval de lumière et préparez vos canons !

Le sourire de Runeard disparut tandis qu’il détournait le regard et posait ses yeux inquiets sur le pauvre animal qui flottait dans les cieux, sa corne flamboyant comme le soleil. Derrière le conseiller, l’équipage marmonnait, visiblement inquiet des sauts d’humeur du roi. Mais le capitaine n’eût d’autre choix que d’obéir aux ordres de Roderick.
Ce dernier se tenait sur le pont alors qu’ils s’approchaient du Narval. La créature les repéra et sembla s’avancer vers eux en tournoyant joyeusement. Un sourire mauvais s’étira sur la bouche de Roderick. La pauvre bête stupide pensait qu’ils voulaient jouer. Mais de ce jeu, lui seul sortirait vainqueur.
Il se tenait toujours sur le pont lorsqu’il donna l’ordre aux canons de tirer. Il s’y tenait toujours lorsque le Narval poussa des hurlements déchirants. Et il s’y tenait toujours lorsque son corps sans vie s’échoua lentement dans la mer et fut englouti par les vagues.
Pendant quelques instants, un silence de mort s’abattit sur le navire. Aucun marin n’avait le cœur à célébrer cette victoire, ou plutôt cette mise à mort. Ils n’eurent cependant pas le temps de se morfondre, car une vague gigantesque plongea sur eux.

— Tempête ! Une tempête ! s’exclamèrent certains d’entre eux, paniqués.

En effet, la mer était de plus en plus agitée. D’épais nuages noirs obscurcirent le ciel jusqu’à les plonger dans l’obscurité semblable à la nuit. Le navire luttait pour faire demi-tour et retourner à Arendelle, mais c’était inutile. Une vague scélérate apparut à l’horizon, si large que le navire ne pouvait l’éviter. L’équipage tout entier s’arrêta et observa cet épais mur d’eau approcher dans leur direction, si haut qu’il semblait toucher le ciel. Un éclair zébra le ciel, et certains pensèrent voir une créature équidé dans la vague.
Cette dernière se renversa sur le navire, qui se brisa et fut précipité dans les fonds marins. Le navire royal d’Arendelle avait disparu.

— Pour avoir tué une créature légendaire et pacifique, et ainsi déclenché la colère des esprits de la Forêt Enchantée par votre seule arrogance et votre propre intérêt, moi, Runeard, vous destitue de votre titre de roi, et par la présente, vous exile du royaume d’Arendelle à tout jamais.

Le marteau s’abattit, tout comme la sentence écrasa le cœur de Roderick.
Par chance, le roi et son conseiller avaient survécu à la tempête, dont ils étaient les deux survivants. Après avoir été secouru par le peuple Northuldra qui habitait la Forêt Enchantée, ils étaient rentrés à Arendelle, où s’était tenu durant deux semaines le procès du roi.
Ce dernier, enchaîné et menotté, leva un regard sombre et mauvais vers celui qui était son plus fidèle conseiller.

— Je vois, marmonna-t-il. C’est ainsi que ça se passe, Runeard ? Tu as orchestré tout cela pour m’évincer et prendre ma place de roi ! Tu n’es qu’un traître !
— Et tu n’es qu’un fou, Roderick, soupira le nouveau roi Runeard. Nous te donnerons une barque, et que les éléments soient cléments pour t’épargner alors que tu dérives vers le sud.

Il fit signe aux gardes d’emmener Roderick qui se débattait comme un diable. Ils le saisirent fermement chacun par un bras et le traînèrent de force hors de la salle. Le roi déchu se contorsionna pour faire face à Runeard tout en hurlant :

— Un traître et un lâche ! Tu veux les pouvoirs pour toi tout seul ! Mais je te le ferais payer, Runeard, tu m’entends ?! Toi et ta descendance ! Ces pouvoirs m’appartiennent ! Ils sont à moi !

Les doubles portes se fermèrent, et jamais plus on ne vit ou mentionna Roderick, la honte et le roi fou, à Arendelle.

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