Chapitre 9
« Alors… Cet homme était vraiment le roi d’Arendelle ? »
Anna observait avec incrédulité le visage du Roderick de glace qui était apparu au milieu du campement Northuldra. Sa silhouette, cape au vent, pointait son épée en direction d’un gigantesque Narval à la corne ornementée et aux angles compliqués.
À ses côtés se tenaient Kristoff, Yelena et Honeymaren, qui semblaient tout aussi perdus qu’elle. Au loin, le campement des Northuldras et des réfugiés d’Arendelle poursuivait son activité habituelle, ignorant l’existence des statues qui pouvaient décider du destin du royaume entier.
— Voilà donc ce qui s’est passé ce jour-là, murmura Yelena.
Tous se tournèrent vers elle.
— Nous avions entendu un bruit terrible, expliqua-t-elle, semblable à mille coups de tonnerre. Peu après, une tempête éternelle s’était abattue sur la mer qui entoure notre forêt. Ce bruit, c’était les canons de Roderick qui assassinaient le Narval…
— Je ne m’en souviens pas, avoua Honeymaren.
— Cela s’est passé quelques années avant ta naissance. Moi-même, je n’étais qu’une jeune femme à l’époque. J’avais complètement oublié cet événement…
Ils reportèrent leur attention sur les deux statues qui trônaient désormais dans le campement, réfléchissant à tout ce qu’ils avaient entendu. Anna poussa soudain une exclamation, si fort que Kristoff se précipita vers elle, pensant qu’elle s’était fait mal. Il la prit dans ses bras et la blottit contre lui tandis que des larmes roulaient sur les joues de la jeune femme.
— Que se passe-t-il, Anna ?
— C’est… C’est sa faute ! sanglota-t-elle d’une voix forte.
— De quoi parles-tu ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
Anna se dégagea doucement de son étreinte, tentant tant bien que mal d’essuyer ses larmes tout en fixant la figure de Roderick avec colère.
— Si cet homme n’avait pas tué le Narval, poursuivit-elle en hoquetant, il n’y aurait jamais eu de tempête éternelle dans la mer de la Forêt Enchantée. Et le bateau de nos parents n’aurait jamais coulé.
Kristoff lui prit la main, et lorsque la rousse se tourna vers lui, il déposa un baiser réconfortant sur son front. Elle se blottit de nouveau contre lui, essayant de calmer ses hoquets tremblants, et il lui caressa lentement les cheveux, comprenant le tourbillon d’émotions qui l’envahissait.
À côté d’eux, Yelena et Honeymaren observaient la scène sans intervenir, laissant de l’intimité à la reine le temps que son chagrin se dissipe quelque peu. Finalement, la cheffe des Northuldras s’éclaircit la gorge et fit un pas en parlant d’une voix douce :
— Excusez-moi, Anna, je sais que cette révélation est difficile pour vous. Mais nous devons maintenant réfléchir sur tout ce que votre sœur nous a transmis. Il doit y avoir un indice quelque part qui pourrait nous permettre de vaincre Roderick.
Anna recula, embrassa rapidement Kristoff pour le remercier, puis se tourna vers Yelena en essuyant ses joues une fois de plus.
— Vous avez raison, pardonnez-moi, renifla-t-elle.
Elle prit une longue inspiration pour reprendre contenance et fit de nouveau face aux statues de glace d’un air décidé.
— Voyons voir…
— Je me pose une question depuis tout à l’heure, avoua Kristoff. Mais qui était ce Runeard qui a destitué Roderick ?
— Mon grand-père, répondit Anna sur le ton de l’évidence. Tu sais, celui qui a fait construire le barrage.
— Oh ! s’exclama Kristoff, surpris de ne pas y avoir pensé. Oh oui, évidemment.
— Mais ce qui me surprend, c’est qu’il n’y avait aucune trace de Roderick dans les archives royales, murmura Anna.
— Ça n’a pas l’air d’être le genre de chose qu’on lit pour le plaisir, ironisa Honeymaren en espérant détendre un peu l’atmosphère.
Anna se tourna vers elle en se permettant un petit sourire. Malgré ses yeux rouges et bouffis, elle semblait amusée.
— Lorsque vous passez des années seule dans un immense château sans pouvoir en sortir, crois-moi que même les grimoires de la bibliothèque ont l’air intéressants.
— Attends, tu as lu tous les livres de la bibliothèque du château ? s’étonna Kristoff, impressionné.
— Une très grande partie, oui, avoua Anna avec un haussement d’épaules. L’histoire de tous les rois était consignée dans les archives royales, mais le nom de Roderick n’était mentionné nulle part…
— Le peuple d’Arendelle devait vraiment avoir eu honte de lui, après ce qu’il a fait au Narval, soupira Yelena. Lui qui était apparemment si admiré par son royaume…
Écoutant distraitement les mots de la Northuldra, Anna posa les yeux sur le Narval. La forme de sa corne, semblable à un point d’interrogation carré et anguleux, lui rappelait quelque chose… Elle fixa la corne tout en fouillant dans sa mémoire.
— Le Narval, le Narval… Le Narval ! s’exclama-t-elle soudain dans un cri strident.
Elle se tourna vers les trois autres, un large sourire aux lèvres.
— Le Narval de lumière ! On racontait qu’il était capable de dissiper même les ténèbres les plus denses grâce à sa corne ! Voilà ce qu’il nous faut, sa corne !
— Mais il y a un problème, rétorqua Honeymaren. Le Narval est mort.
— Pas tout à fait, corrigea Yelena.
Les autres se tournèrent vers elle, l’air stupéfait.
— Ne me regardez pas comme ça, voyons. Vous vous souvenez que Runeard a mentionné une épée ? Une épée de lumière ?
— Oui, c’est vrai qu’il en a parlé, concéda Kristoff en réfléchissant. Il a dit que c’était…
— « Une épine de lumière qui serait tombée du Narval », compléta aussitôt Anna. Ce qui signifie…
— Qu’une partie du Narval vit encore dans cette épée, finit à son tour Yelena. Si nous parvenons à trouver l’épée, il est probable que nous parvenions à faire revenir le Narval pour qu’il utilise sa corne et sauve Arendelle.
Un long silence ensuivit ses paroles. Sans s’en rendre compte, Anna s’était rapprochée de Yelena, excitée par cette série de découverte dont elle attendait naturellement la suite. Mais le silence fit retomber ses émotions et son sourire glissa lentement de son visage.
— Vous ne savez pas où trouver cette épée, c’est ça ? devina-t-elle sombrement.
— Si, soupira Yelena. Mais elle se trouve dans une partie de la forêt où même les Northuldras n’osent s’aventurer.
— Pourquoi ? demanda Kristoff en haussant un sourcil.
Honeymaren se tourna vers Yelena, visiblement surprise, sa bouche formant un O parfait.
— Vous ne parlez tout de même pas du Bosquet Figé ?
— J’en ai bien peur, ma chère. Le Bosquet se trouve dans une large clairière à l’ouest d’ici. Vous ne pouvez pas vous tromper ; les arbres sont comme pétrifiés, envahis de ronces, et un large rayon de lumière se trouve en son centre. Nous ne nous y sommes jamais risqués, les animaux évitent ce bosquet, et même les esprits ont toujours refusé de s’en approcher.
Anna se redressa, l’air déterminé.
— S’il y a la moindre chance que cette épée puisse sauver Arendelle, alors nous devons y aller !
— Anna, faites attention ! s’exclama Yelena.
Mais déjà, la jeune reine se précipitait vers Sven qui broutait tranquillement à quelques mètres de là. Il écarquilla les yeux en voyant Anna déambuler vers lui, son esprit déjà en proie à l’action, et il se demanda ce qu’il avait bien pu faire cette fois-ci.
— Anna, attends ! s’exclama Kristoff en se lançant à sa poursuite.
Il l’attrapa par le bras, mais elle se dégagea rapidement d’un coup sec.
— Non, Kristoff, on ne peut pas attendre plus longtemps ! Elsa nous fait confiance pour nous en occuper pendant son retour !
— Je sais, ce n’est pas ce que j’ai dit ! protesta le jeune homme.
— Il en va de l’avenir d’Arendelle !
— Anna, écoute-moi !
Elle se planta face à lui, les mains sur les hanches et une moue sur le visage. Elle était prête à l’écouter, mais il savait que cela ne durerait pas longtemps. Anna n’était pas du genre patiente. Mais il se contenta de sourire en pointant du doigt son renne, qui ne comprenait décidément rien à ce qui se passait.
— Il nous faudra un chariot, se contenta-t-il de dire. Pense un peu au pauvre dos de Sven ! Il nous faudra de la place pour s’asseoir, pour ranger nos provisions, pour ranger…
— Moi ! s’exclama une voix en dessous d’eux.
Ils baissèrent les yeux vers Olaf qui les regardait avec un large sourire un peu niais, comme à son habitude.
— Olaf ? Depuis quand tu es là ? demanda Anna en s’accroupissant devant lui.
— J’ai entendu parler d’un narval et d’une forêt bizarre, avoua-t-il en baissant les yeux d’un air coupable.
Il releva les yeux vers elle, tout à coup surexcité.
— Ça a l’air dangereux ! On y va ?
— D’accord, répondit Anna en soulevant le bonhomme de neige et en le posant sur le dos de Sven. Kristoff, tu peux t’occuper du chariot ?
— Avec plaisir, soupira le concerné, mi-las, mi-amusé.
Anna resserra le châle de sa mère autour de ses épaules. Le chariot tiré par Sven avançait en cahotant sur un sentier presque effacé par la végétation. À l’arrière, Olaf dormait paisiblement, apparemment épuisé d’avoir autant joué avec les enfants du camp.
Des nuages grisâtres commençaient à obscurcir le ciel auparavant azuré, transformant peu à peu la lumière du jour en une lueur tamisée, pâle et froide. Un épais silence les enveloppait malgré le vent qui agitait lentement le quelques feuilles qui s’accrochaient encore désespérément aux arbres. Kristoff se racla la gorge et tenta de briser le silence.
— Il faut faire attention, Yelena nous a dit que des ombres avaient été aperçues dans la forêt. Elles ont l’air d’être de plus en plus nombreuses.
— Mhm, répondit distraitement Anna.
La jeune femme était toujours perdue dans ses pensées, mais Kristoff poursuivit :
— Tu sais, je n’en reviens pas que tu aies lu toute la bibliothèque royale. J’ai toujours pensé que tu étais trop impatiente pour rester devant un livre plus de quelques minutes.
Il rit doucement, et c’est ce son qui tira finalement Anna de sa rêverie. Elle posa un regard surpris sur son fiancé.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Eh bien, euh, bafouilla Kristoff, soudain gêné. Disons que tu es très… Spontanée ? Et je ne pense pas que la bibliothèque royale contienne des livres très intéressants.
Il tenta un nouveau rire. Anna soupira en reportant son attention sur le chemin face à eux, un léger sourire étirant ses lèvres.
— Eh bien, je suppose que passer des années enfermée dans un château m’a donné beaucoup de temps pour lire. Même moi, je peux finir par me lasser de courir dans tous les sens.
— Ça, j’ai du mal à le croire.
Elle donna un coup de coude à Kristoff qui rit franchement cette fois-ci. L’éclat de leurs voix résonna à travers les arbres pendant quelques instants avant que le silence retombe de nouveau entre eux. Anna avait repris son air soucieux.
— A quoi tu penses ? lui demanda doucement Kristoff.
— J’essaie de me souvenir de quelque chose que j’aurais lu sur cette épée, expliqua-t-elle. Je sais que j’en ai déjà entendu parler, mais je n’arrive pas à me souvenir où !
Elle poussa une exclamation énervée.
— C’est tellement frustrant !
— Anna, la bibliothèque royale contient des centaines, voire des milliers de livres…
— Mais je me souviens de presque tous les livres que j’ai lus ! s’exclama-t-elle. Mais cette histoire d’épée de lumière est la seule qui ne veut pas me revenir !
— Attends, tous les livres ? répéta Kristoff en hochant la tête, visiblement impressionné. Tu me surprendras toujours. Je veux dire, moi, je peux à peine me souvenir de ce que j’ai mangé au petit déjeuner hier, ajouta-t-il dans un petit rire.
— Te connaissant, c’était sûrement une carotte que tu as partagée avec Sven, rit la jeune femme.
— Hé ! s’exclama Kristoff en riant.
Le renne brama, approuvant les dires d’Anna.
— Ne t’inquiète pas, ça m’arrive parfois aussi, reprit-elle. Mais je suis certaine d’avoir lu quelque chose sur une épée semblable à celle que nous recherchons. Tout ce dont je me souviens, ce sont des informations que Yelena nous a déjà données.
Ses yeux se perdirent de nouveau dans le vague, et Kristoff devina qu’elle était en train de parcourir mentalement la bibliothèque d’Arendelle. Il décida de ne pas la déranger et posa son regard sur le chemin qu’ils suivaient. D’après les indications que Yelena leur avait fournies avant de partir, ils n’étaient plus très loin.
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