Chapitre 10
Le lendemain, Anna, Kristoff, Sven et Olaf reprirent la route après une nuit de sommeil. Les rayons du soleil ne parvenaient plus à percer les nuages qui s’assombrissaient à mesure qu’ils approchaient du Bosquet Figé. Le vent soufflait doucement dans leur dos, son froid s’insinuant dans les plis de leurs vêtements et glaçait leurs os, les envahissant d’une désagréable sensation de malaise. Le chemin avait disparu, mais Sven avançait d’un pas déterminé et Kristoff savait que son renne déviait rarement de sa trajectoire.
Une bonne heure plus tard, les arbres commencèrent à être plus clairsemés jusqu’à laisser place à une large clairière, au centre de laquelle s’étendait un sinistre bosquet. Les arbres grisâtres, comme l’avait décrit Yelena, étaient comme pétrifiés, leurs branches griffues et sinistres tendues vers le ciel. Les deux arbres qui encadraient ce qui restait du chemin ressemblaient à des sentinelles figées dans le temps, prêtes à se saisir des intrus.
Un large rayon de lumière perçait la canopée et les nuages noirs au-dessus d’eux, comme une balise pour les diriger dans le bosquet. Une étrange brume serpentait entre les arbres, émergeait des bois et s’estompait dans l’air frais de la clairière, enveloppant la végétation d’un voile fantomatique.
— Cet endroit est vraiment effrayant, commenta Olaf alors qu’ils approchaient du bosquet. Mais nous aurons une histoire passionnante à raconter à Elsa et Aodhan en rentrant, ils seront verts de jalousie ! s’exclama-t-il joyeusement.
Il se tourna vers eux, la mine soudain sombre.
— Enfin, si nous rentrons en vie.
— Allons Olaf, nous avons vu pire que des arbres figés et quelques ronces, lui sourit Anna en chassant les habituelles remarques sombres du bonhomme de neige d’un geste de la main.
Lorsqu’il ne regarda pas, cependant, elle se tourna vers Kristoff d’un air inquiet et lui prit la main. Le jeune homme entrelaça leurs doigts avec un sourire encourageant.
— S’il y a quoi que ce soit, nous montons sur Sven pour partir, expliqua-t-il. Il peut courir à la vitesse de l’éclair, pas vrai mon pote ?
Il s’adossa contre son renne et lui saisit le museau, comme il le faisait lorsqu’il parlait pour lui.
— Bien sûr ! poursuivit-il avec une voix plus grave en agitant un peu le museau de Sven. J’ai fait la course avec les géants de pierre, je vous rappelle ! Je suis une véritable flèche !
Le renne fit la moue et secoua la tête pour que Kristoff le lâche, ce qu’il fit en riant avant de le détacher du chariot. Son imitation eût au moins le mérite de faire sourire sa fiancée qui sentait le malaise du bosquet desserrer légèrement son emprise sur son cœur. Olaf les avait déjà devancés de plusieurs pas, et après s’être jetés un regard décidé, Anna et Kristoff serrèrent leurs mains plus fort avant de le suivre, accompagnés par Sven.
Le petit groupe progressait lentement dans les bois, entourés par un épais silence seulement perturbé par le léger bruissement de leurs pas sur le sol moussu. Le vent s’était tu, leur donnant l’impression de se trouver dans un lieu hors du temps. Anna et Kristoff avançaient main dans la main, leurs pas décidés malgré le frisson d’appréhension qui leur parcourait l’échine. Chacune de leur respiration semblait amplifiée par l’absence de bruit aux alentours, si bien qu’Anna finit par placer la main sur sa bouche pour éviter d’être entendue par tout ce qui pouvait se cacher dans la brume. Car quelque chose les surveillait, elle en était sûre, car elle pouvait sentir le poids d’un regard sur sa nuque.
Parfois, entre les arbres, ils pouvaient apercevoir le rayon de lumière dorée qui les guidait comme une balise rassurante.
— Je comprends pourquoi les Northuldras évitent cet endroit, commenta Kristoff, parlant à voix basse par instinct.
— Mais ça n’explique pas pourquoi même les esprits n’y vont pas, rétorqua Anna sur le même ton.
Au loin, un craquement de branche retentit, les figeant tous sur place. Tous, sauf Olaf, qui se dirigea vers la source du bruit, apparemment inconscient de tout danger, en criant :
— Hohéééé, il y a quelqu’un ? Samantha ?
Anna se précipita et posa sa main sur la bouche du bonhomme de neige pour le forcer à se taire. Il la regarda en fronçant des sourcils et elle lui intima le silence en posant le doigt sur ses lèvres. Elle reporta son regard en direction du bruit, mais le silence les entourait de nouveau. Tout comme la brume qui semblait s’épaissir. Sven et Kristoff les rattrapèrent rapidement.
— Olaf, je t’en supplie, ne dit plus rien ! vociféra le blond.
Ce dernier grommela mais obtempéra, et il poursuivit sa route à leurs côtés, l’air grognon.
À mesure qu’ils avançaient, les ronces étaient de plus en plus présentes, émergeant du sol et entourant les arbres comme si elles tentaient de les ensevelir. Finalement, ils arrivèrent au centre du bosquet. Au bas du rayon de lumière, au centre d’un petit cratère, se trouvait une épée dorée, plantée à même le sol.
Tout autour de la lame, le parterre avait fleuri et l’herbe était verdoyante et ondulait sous un vent paisible pourtant absent. Les ronces acérées du bosquet entouraient le renfoncement, comme des doigts crochus qui tentaient de s’emparer l’arme, mais se retrouvaient bloqués par une force invisible. Lorsque le groupe s’approcha et que leurs pas foulèrent l’herbe soyeuse, ils ressentirent aussitôt une douce chaleur les envelopper et leur inquiétude s’apaisa.
— Quelle magie incroyable…, murmura Anna en scrutant l’épée.
Elle semblait être faite d’un métal inconnu, aussi brillant que l’or. Plus que refléter la lumière, elle semblait la créer. La poignée et la garde étaient finement ciselées et ornées de fioritures élégantes, et la base de la lame formait une double hélice qui se rejoignait pour former le reste de l’arme, droite et tranchante.
Anna prit une profonde inspiration et saisit la poignée de l’épée. Aussitôt, la chaleur dans son corps s’amplifia, son sentiment de sérénité parcourut sa main, puis son bras, jusqu’à la draper toute entière comme une couverture de réconfort. Mais quelque chose perturbait cette quiétude, une pointe douloureuse dans son cœur, comme une tristesse profonde qui l’habitait depuis des années. Elle retira sa main, et ce sentiment disparut, tout comme celui de calme intense.
— Tout va bien ? demanda Kristoff dans son dos.
— Oui, confirma Anna en hochant la tête. C’est juste que cette arme dégage une aura puissante…
— On devrait se dépêcher, je n’aime pas cet endroit.
Elle se retourna pour voir son fiancé jeter des regards inquiets de tous les côtés. Malgré le pouvoir apaisant qui irradiait de l’arme, Kristoff ne pouvait s’empêcher d’être préoccupé. Anna se souvint de son sentiment d’être épiée plus tôt, et se tourna de nouveau vers l’épine du Narval, prête à agir vite.
L’épée fut étonnamment facile à retirer, et la reine fut tout aussi surprise de son poids léger. Alors que la colonne de lumière, qui s’étendait jusqu’au ciel, s’estompait, une voix grave et profonde retentit à ses oreilles :
« Porteur de la lumière, mon âme est souillée par les ténèbres. Sur la colline surplombant la tragédie, invoque-moi et libère-moi. Ma corne est la clé de notre salut. »
Elle sursauta et regarda tout autour d’elle, cherchant la source de cette voix, en vain. Kristoff la regardait avec incrédulité, et même Olaf semblait mal à l’aise. Soudainement, il hurla en pointant quelque chose dans le dos d’Anna, qui fit aussitôt volte-face.
Une ombre avait surgi des ronces qui entouraient le cratère et s’approchait lentement, sa bouche ouverte. L’air qui sifflait entre ses crocs faisait penser à un feulement démoniaque et inquiétant. Elle bondit soudainement sur Anna, mais quelque chose retint l’une de ses pattes.
Cette dernière s’était figée sur place et se changeait en pierre. La créature paniqua alors que ses autres pattes subirent le même sort, et bientôt, ce fut une statue qui se tenait face à groupe.
— Anna…, articula Kristoff. La magie de l’épée ne protège plus cet endroit. Il faut fuir, vite !
Il saisit sa main et la jeta sans ménagement sur le dos de Sven. Olaf sauta sur les genoux de la reine et Kristoff s’installa face à eux, attrapant Sven par la bride.
— Allez mon vieux, sors-nous de là !
Le renne s’élança aussitôt au galop. Les ronces émergeaient de l’endroit où était plantée l’épée et, désormais animées d’une sinistre énergie, se multipliaient et s’entrelaçaient autour des arbres comme des serpents venimeux, formant un labyrinthe mortel qui se refermait sur le groupe.
Le craquement des branches résonnait dans les airs alors qu’elles se changeaient en pierre, accompagné du fracas des ronces qui se tortillaient et se déplaçaient comme des prédateurs affamés. Derrière eux, la nature se figeait dans des poses grotesques alors que la pierre et les ronces gagnaient du terrain, se propageant à une vitesse terrifiante comme une gangrène maléfique.
Sven fendait l’air à une vitesse désespérée, le bruit de ses sabots se répercutait en écho avec les battements du cœur d’Anna qui tambourinait contre sa poitrine. Le visage blanchit par la peur, elle ne pouvait que s’agripper à Kristoff alors que le renne sautait habillement au-dessus d’une gigantesque ronce qui venait de surgir face à eux. Le sol tremblait alors que les pointes acérées surgissaient du sol, plus en plus nombreuses, de plus en plus proches…
Dans un dernier bond, Sven sortit du bosquet, projetant les trois autres quelques mètres plus loin, sur l’herbe un peu sèche de la Forêt Enchantée. Ils roulèrent sur eux-mêmes en poussant des exclamations douloureuses. Anna se releva en se tenant ses côtes endolories, tendant l’épine du Narval face à elle, prête à trancher les ronces qui s’abattraient sur eux.
Heureusement, ces dernières semblaient s’arrêter à la limite du Bosquet Figé, qui portait désormais très bien son nom, ses arbres changés en pierre, et même les ronces, à un rythme plus lent, prenaient une teinte grise alors qu’elles devenaient incapables de bouger. Anna poussa un soupir de soulagement en retombant sur le sol, et Kristoff s’approcha d’elle.
— Je vais bien, souffla-t-elle avant qu’il puisse parler.
Il ne répondit pas, mais s’agenouilla face à elle et la prit dans ses bras, la serrant si fort qu’elle crut qu’il allait lui fêler des côtes. Plus loin, ils entendirent Olaf rire aux éclats comme si de rien n’était alors qu’il tentait de faire du rodéo sur un Sven épuisé. Kristoff la relâcha finalement, les yeux brillants et un large sourire sur le visage. Elle lui répondit avant de baisser le regard sur l’épée qu’ils étaient venus chercher.
— Nous avons réussi, murmura-t-elle. J’arrive, Elsa.
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