Chapitre 11
C’était avec un grand soulagement qu’ils arrivèrent enfin dans le campement Northuldra. Le fracas des roues du chariot sur le chemin de terre attirait l’attention des réfugiés, et lorsque le petit groupe approcha du campement de Yelena et Honeymaren, ils aperçurent deux têtes blondes familières se précipiter vers eux. Anna sauta du chariot en marche et sauta dans les bras de sa sœur.
— Elsa !
— Anna !
— Tu vas bien ? Quand êtes-vous rentrés ?
— Ça va. Nous sommes rentrés hier soir, répondit Elsa avec un sourire.
Pendant que les sœurs restaient blotties l’une contre l’autre avec soulagement, Kristoff se dirigea vers Aodhan qui observait la scène avec une certaine tendresse. Il posa une main sur l’épaule du jeune homme, observant le pansement sur sa joue.
— Comment tu vas, Aodhan ? Qu’est-ce que tu as à la joue ?
— Nous avons croisé la route d’une des créatures de Roderick à l’aller, expliqua-t-il avec un haussement d’épaules. Elsa m’a soigné juste après, et Honeymaren a changé le pansement lorsque nous sommes arrivés hier soir. Apparemment, je risque d’avoir une cicatrice, ajouta-t-il avec un sourire qui dévoilait bien que ce n’était pas pour lui déplaire.
— Vous êtes tombés sur une ombre vous aussi ? s’étonna Kristoff.
— « Vous aussi » ? Yelena nous a parlé du Bosquet, que s’est-il passé là-bas ?
— Je crois que nous allons avoir beaucoup de choses à nous raconter, déclara Anna en s’approchant d’eux, suivie de près par Elsa. Quelqu’un a vu Olaf ?
Ils cherchèrent tout autour d’eux avant de découvrir le bonhomme de neige près du chariot, tenant un objet long enveloppé dans du tissu, sous le regard de Sven. Anna poussa une exclamation inquiète et se précipita vers lui.
— Ne le laissez pas avec une épée !
Elle s’agenouilla auprès d’Olaf qui la regarda avec des yeux vitreux et un sourire léthargique et l’air absent. Il était de toute évidence sous l’influence de la magie de l’épine du Narval.
— Tout va bien, Olaf… ? demanda Anna, hésitante, tandis que les autres s’approchaient d’eux.
— Avons-nous oublié comment écouter le murmure de la nature, ou bien la course effrénée à la modernité nous a-t-elle simplement rendus sourds à sa douce mélodie ? demanda-t-il d’une voix lente et grave sans s’adresser à quelqu’un en particulier.
Ils échangèrent des regards médusés.
— Je crois qu’il est encore en… « crise d’adolescence », murmura Elsa.
Anna prit lentement l’épée des mains d’Olaf qui retrouva aussitôt sa joie de vivre habituelle.
— Ouah, c’est comme si j’avais pris un bain de soleil sur la plus belle des plages ! Bien que la chaleur me ferait sûrement fondre, ajouta-t-il d’un air sombre, avant de s’éclaircir de nouveau. Qui veut faire un cache-cache ? C’est moi qui cherche !
Avant qu’ils ne puissent répondre quoi que ce soit, le bonhomme de neige se précipita vers le campement de réfugiés, aussitôt rejoint par les enfants qui riaient rien qu’en le voyant faire le pitre.
Anna se releva en poussant un soupir amusé et garda l’épée près d’elle alors que Kristoff se cachait derrière Aodhan pour rire.
— Il vaut mieux que je la garde pour le moment.
Les autres hochèrent la tête, n’y voyant aucune objection.
Nokk s’approcha lentement d’Anna, qui resta pétrifiée sur place. Elle n’avait pas vraiment l’habitude que l’esprit l’approche autant. Arrivé à sa hauteur, le cheval poussa un long hennissement, semblable à une complainte, et donna un coup de museau sur l’épée. Ils distinguèrent tous une larme perler au coin de ses yeux et rouler le long de sa surface givrée. Elsa s’approcha et enlaça l’encolure de l’esprit de l’eau.
— J’ai compris, murmura-t-elle.
Elle se recula en adressant un sourire désolé au cheval, puis se tourna vers les autres.
— Le Narval était sûrement un ami de Nokk. Cela expliquerait pourquoi les esprits lui ont accordé des pouvoirs de lumière bien qu’il ne soit qu’un animal ordinaire.
— C’est aussi pour ça qu’une tempête s’abat sur la mer de la Forêt Enchantée depuis sa mort ! s’exclama Anna.
Elsa hocha la tête, l’air attristé, elle fixait l’épée des yeux.
— Nous devons honorer la mémoire du Narval en utilisant sa corne et cette épée pour combattre les ténèbres de Roderick.
Assis aux côtés de Yelena et Honeymaren, ils partagèrent le récit de leurs aventures tout au long de la matinée. Elsa retint une exclamation de surprise lorsqu’Anna décrivit leur fuite du Bosquet.
— Il y a autre chose, confia la reine.
Elle jeta un regard à Kristoff. Elle avait attendu qu’ils soient tous réunis pour en parler, et elle espérait qu’il la pardonnerait de ne pas lui avoir raconté ce qu’elle s’apprêtait à dire. Les autres, tout autour d’elle, la regardait avec curiosité.
— Lorsque j’ai pris l’épée, commença-t-elle, j’ai entendu comme… Une voix, dans ma tête.
Olaf s’approcha d’Elsa et tenta de lui murmurer discrètement – c’est-à-dire que tout le monde l’entendit clairement :
— Je crois qu’elle est en train de perdre la boule.
— C’était comme une prophétie, poursuivit Anna sans tenir compte de la remarque du bonhomme de neige dont il avait le secret. Elle disait…
Elle prit quelques secondes pour essayer de s’en souvenir dans sa globalité :
— « Porteur de la lumière, mon âme est souillée par les ténèbres. Sur la colline surplombant la tragédie, invoque-moi et libère-moi. Ma corne est la clé de notre salut. »
Le silence s’installa tandis qu’ils réfléchirent tous à ses paroles. Kristoff fixait un point à l’horizon, les sourcils froncés, tandis qu’Elsa était plongée dans une profonde réflexion. Aodhan tentait de réfléchir à cette prophétie, mais il ne connaissait que trop peu la Forêt Enchantée et son histoire pour pouvoir être d’une quelconque aide aux autres.
Ce fut finalement Yelena qui brisa le silence :
— Est-ce que « la tragédie » pourrait décrire l’endroit où Roderick a tué le Narval ?
— Ça serait logique, approuva Elsa. Mais nous ne savons pas où cela se trouve.
— En réalité, si, avoua Yelena. J’ai discuté avec les anciens parmi les Northuldra, il se trouve qu’ils se souviennent de la peur qu’ils ont ressenti en voyant le Narval chuter. C’était, il me semble, vers le nord-est de l’île.
— Le nord-est ? répéta Elsa.
Elle échangea un regard inquiet avec Anna.
— Tu penses que c’est là-bas ? demanda cette dernière à mi-voix.
— Oui, répondit Elsa en hochant la tête. Je suis certaine que cela correspond aussi à l’endroit où se trouve l’épave du navire de nos parents, expliqua-t-elle au reste du groupe.
Anna prit la main de sa sœur alors qu’elles tentaient toutes deux de retenir leurs larmes. Aodhan les regarda d’un air interdit, comprenant désormais pourquoi Elsa avait tenu à faire un détour pour aller et revenir d’Ahtohallan.
— Il y a autre chose qui m’interpelle, intervint alors Kristoff. « Mon âme est souillée par les ténèbres » cela ne voudrait pas dire que le Narval va être entouré de créatures de Roderick, ces… ombres ?
— C’est ce que j’étais en train de me dire, renchérit Aodhan qui osa enfin parler. Même avec la garde d’Arendelle, nous ne savons pas si nous serons assez nombreux pour les affronter. Il faudra récupérer la corne du Narval en priorité, si j’ai bien compris la suite de cette prophétie.
— Il est hors de question de mettre des civils en danger, et nous devons impliquer le moins de personnes possibles, expliqua Elsa. Si nous… Si nous échouons, il doit rester des personnes capables de protéger le peuple d’Arendelle et les Northuldras.
Anna réfléchit. Sa position de reine se révélait bien plus complexe qu’elle n’avait pu l’imaginer quelques jours plus tôt. Elle était d’accord avec les explications de sa sœur, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser que plus ils étaient nombreux, meilleures seraient leurs chances de réussite. Elle poussa finalement un soupir fatigué.
— Je suis d’accord avec Elsa, concéda-t-elle enfin. Si nous échouons, les ténèbres de Roderick continueront d’envahir la Forêt Enchantée. Avec l’aide de la garde d’Arendelle, les réfugiés auront une chance de s’enfuir. Si toute la garde vienne avec nous et que nous échouons quand même… (Elle frissonna à cette idée) Arendelle et les Northuldra seront condamnés à coup sûr.
— Alors que faisons-nous ? demanda Honeymaren.
Ils replongèrent tous dans leur réflexion, sauf Aodhan qui intervint une nouvelle fois :
— Si je peux me permettre…
Il se renfrogna lorsque toute l’attention fut portée sur lui. Après s’être éclairci la gorge, il poursuivit :
— Mattias m’avait proposé de me former au maniement de l’épée, et Elsa voulait poursuivre mon entraînement à la magie. Si vous acceptez de me confier l’Épine, je suis sûr qu’Elsa et moi pourront faire face aux ombres une fois que je serais correctement entraîné.
— S’il le faut, les esprits de la Forêt pourront nous venir en aide, ajouta Elsa.
— Attendez, je refuse que tu te mettes en danger Elsa ! s’exclama Anna. Et s’il t’arrivait quelque chose ? Vous ne serez pas assez de deux pour affronter les ombres, et même si les esprits vous épaulent…
— Anna, quelle autre alternative y a-t-il ? interrompit Elsa en levant une main. Aodhan et moi sont les seuls à avoir des pouvoirs ici, il serait trop dangereux que vous autres veniez à nos côtés. Comme tu l’as si bien dit, nous ne serons que deux, ce qui n’est pas suffisant pour vous défendre.
— Mais…
— Je pourrais vous aider, intervint Honeymaren. Maintenant que les géants de pierre ont été apaisés, je pourrais les diriger pour vous aider à combattre ?
— Ce qui revient à ce que je disais, conclut Elsa. Les esprits de la Forêt pourront nous aider si Aodhan et moi sommes en difficulté.
Un long silence s’ensuivit. Apparemment, personne ne trouva rien à redire au plan d’Elsa et Aodhan. C’était risqué, trop risqué, mais ils ne pouvaient pas se permettre de perdre du temps à trouver une alternative. Pendant qu’ils débattaient, les ombres de Roderick gagnaient du terrain.
Anna se leva soudainement, attrapa l’épée et se dirigea vers Aodhan. Elle s’arrêta face à lui et lui tendit l’arme dorée, les yeux plissés, un air presque défiant sur le visage.
— Tu as intérêt à prendre ton entraînement aux sérieux.
Durant la semaine qui suivit, les journées d’Aodhan furent rythmées par des entraînements intensifs. Chaque matin, dès l’aube, il retrouvait Mattias pour apprendre à manier l’Épine du Narval. Le chef de la garde fut impressionné par son habileté, l’épée semblait être une extension du bras du jeune homme, ce qui était grandement facilité par la légèreté de l’arme.
Après avoir appris différentes postures et mouvements basiques, Aodhan commença à développer son propre style. Il faisait tourbillonner l’épée avec grâce tout autour de lui, créant un véritable mur pratiquement impénétrable, et après un long combat, il parvint à désarmer les trois personnes qui s’étaient portées volontaire pour l’affronter en même temps. Même Mattias fut étonné par l’aisance d’Aodhan, car les exercices qu’il lui imposait étaient loin d’être faciles. Derrière son masque d’entraîneur impassible se cachait une profonde empathie pour le jeune homme.
Loin de le laisser se reposer, les entraînements avec Elsa l’épuisaient mentalement, tandis que ses muscles protestaient encore des exercices du matin. Aodhan n’arrivait plus à créer la moindre flamme.
— J’ai l’impression d’être revenu au point de départ, soupira-t-il un jour en se laissant tomber sur le sol, épuisé.
Elsa le rejoignit et s’assit face à lui.
— Avant, je devais apprendre à contrôler toute ma colère, expliqua-t-il. Mais avec cette épée, c’est différent. Sa magie m’empêche de ressentir des émotions fortes, en dehors du calme qu’elle insuffle.
— On pourrait pourtant penser que c’est une bénédiction qu’un objet ait un tel pouvoir apaisant, rétorqua Elsa avec un sourire.
— Ça le serait en d’autres circonstances, répondit Aodhan. Mais j’ai besoin de ma magie contre le Narval. Mais sans colère, pas de magie. Avant, j’avais juste à me souvenir de mon passé, l’injustice de mon exil, le regard des autres…
Il marqua une pause, visiblement mal à l’aise.
— Mais cette épée m’empêche d’y penser, comme s’il y avait un mur invisible qui retenait ces souvenirs pour les empêcher de me faire du mal. Et je ne peux pas m’empêcher de me sentir triste.
Il releva les yeux vers Elsa, un sourire désolé sur le visage.
— C’est ironique, non ? Se sentir triste de ne pas pouvoir penser à des choses qui nous mettent en colère ? Attends un peu…
Il fronça les sourcils, comme s’il venait de comprendre quelque chose. Il posa la main sur la poignée de l’épée, et ressenti à nouveau cette même plénitude qui l’énervait tant. Mais il y avait cette pointe de chagrin qui transperçait son cœur, à laquelle il n’avait jamais prêté attention jusqu’à présent. Il se remémora ce qu’Anna leur avait raconté de son aventure au Bosquet Figé, les sentiments qu’elle avait ressenti en prenant l’épée. Elle aussi avait ressenti cette tristesse à ce moment-là.
— Cette tristesse, murmura-t-il. Ce n’est pas la mienne…
Elsa posa la main sur la sienne.
— Je crois comprendre, répondit-elle finalement. Il s’agit des émotions de Nokk. La sérénité de la lame vient du pouvoir de lumière du Narval, mais cette peine est celle de l’esprit de l’eau, qui pleure la disparition de son ami depuis tout ce temps.
Aodhan sentit les larmes lui monter aux yeux, comme si c’était lui qui avait perdu un ami cher. Il se releva brusquement en faisant sursauter Elsa, l’air décidé.
— Alors je vais utiliser cette tristesse à la place de ma colère !
Et ce jour-là, il parvint de nouveau à utiliser ses pouvoirs avec une maîtrise nouvelle.
Les jours qui suivirent, Elsa et lui explorèrent toutes les possibilités de sa magie de feu : après des efforts intenses, il parvint à voler sur quelques mètres, en faisant apparaître des flammes à ses pieds pour le propulser. Le seul problème restait l’atterrissage qui se finissait souvent dans la boue.
Ils découvrirent aussi qu’Aodhan était capable de manipuler la chaleur ; ainsi, malgré le froid de l’hiver qui approchait et mordait le campement, il arrivait à créer une bulle d’air chaud autour de lui qui lui donnait l’impression d’être sous un agréable soleil chaud d’été.
Le soir, lorsqu’il rejoignait les autres autour du feu de camp pour le dîner, il s’amusait aussi à faire apparaître des flammes sur Olaf – du feu dénué de toute chaleur – ce qui faisait beaucoup rire le bonhomme de neige. Lui-même ne pouvait s’empêcher de jouer avec sa magie en faisant danser une flamme le long de ses bras, ou bien en faisant apparaître une flamme dans sa paume tout en proposant à Anna ou Kristoff d’y poser leur main. S’ils étaient évidemment réticents au premier abord, ils finirent par céder devant son insistance.
— Tu as vu ! s’exclamait-il alors que leurs yeux trahissaient leur étonnement. C’est comme plonger la main dans un bon bain chaud !
L’enthousiasme du jeune homme de parvenir à maîtriser sa magie ainsi que l’Épine était contagieux, et pendant que les autres faisaient de leur mieux pour aider les Northuldra et les réfugiés, ils se sentaient de plus en plus fébriles et confiants dans la réussite du plan d’Elsa et Aodhan.
Ces derniers se retrouvaient souvent après le dîner et l’éclat de leurs rires et de leurs discussions résonnaient souvent jusque tard dans la nuit. Elsa ressentait une certaine fierté en voyant les progrès du jeune homme, et elle se sentait prête à lui confier sa vie lorsqu’ils combattraient les ombres de Roderick. Une confiance sans failles s’était installée entre eux à mesure qu’ils prenaient conscience des compétences de l’autre. Lors de ses entraînements avec Mattias, elle le regardait de loin, ses pensées naviguant entre la fierté pour les progrès du jeune homme et l’inquiétude pour le combat à venir. Les yeux fixés sur lui, elle était captivée par les efforts qu’il déployait, avant de détourner précipitamment le regard lorsque quelqu’un approchait, ses joues prenant inexplicablement une teinte rouge vif.
Même Anna était moins désagréable avec Aodhan et plus enclin à lui parler, bien que leurs discussions demeurent principalement centrées sur son entraînement. Elle ne l’admettrait jamais à voix haute, mais Anna commençait à éprouver un respect silencieux pour la détermination d’Aodhan, qui n’était pas sans lui rappeler celle qui l’avait poussée à braver les dangers du Bosquet Figé pour trouver l’épée et aider Elsa. Peut-être, au fond d’elle-même, commençait-elle à reconnaître en lui un allié, mais elle avait encore besoin de temps pour le voir comme un ami.
Lorsque Aodhan les impressionna en faisant apparaître des flammes sur la lame de l’Épine qu’il fit tournoyer avec une grâce presque surnaturelle tout autour de lui, ils décidèrent qu’il était prêt. Il était temps de mettre en marche leur plan. Ce soir-là, l’ambiance était lourde autour du feu de camp, et même Olaf ne fit aucune blague sur le combat qui les attendait.
Demain, ils libéreraient le Narval.
Annotations