Chapitre 15
Ils eurent à peine le temps de poser un pied à l'intérieur de la pièce qu'un trait noir se jeta sur eux. D'un geste rapide, Elsa invoqua sa glace pour dévier le sort, qui alla s'écraser sur l'un des piliers qui encadraient la salle.
Un rire s'éleva près du trône, sinistre et sans joie, alors que Roderick s'avançait vers eux, menaçant. Derrière lui, Anna était assise sur le trône, ligotée par des ténèbres, le regard terrifié.
- Elsa ! s'exclama-t-elle.
- Je ne pensais pas qu'il serait aussi facile de te faire venir ici, déclara l'homme d'un ton moqueur.
- Libérez ma sœur, ordonna Elsa.
Roderick éclata à nouveau de rire tout en s'approchant. Aodhan s'interposa entre lui et Elsa, la lame de l'Épine dirigée vers le roi déchu.
- N'approchez pas, menaça-t-il.
Ses yeux s'illuminèrent à nouveau d'une lueur orange alors que sa colère contre Roderick l'envahissait. Ce dernier se stoppa sur place, et pendant un instant, ils pensèrent lire la surprise sur son visage. Mais cela fut si bref qu'ils auraient tout aussi bien avoir pu l'imaginer.
Sa bouche fut déformée par un horrible sourire alors qu'il scrutait Aodhan.
- Intéressant, tu as donc des pouvoirs toi aussi ? Pourtant, tu ne dégages pas la même aura que les esprits de la forêt... Yohamitään a dû estimer que tu n'étais pas une menace.
- Je n'ai aucune idée de quoi vous parlez, mais si jamais vous faites du mal à Elsa et Anna...
- Allons, allons, jeune homme. Si j'avais voulu faire du mal à ta chère reine, je ne vous aurais pas attendu. Quant à Elsa (ses yeux se posèrent sur la jeune femme qui vacilla légèrement) elle n'aura pas le temps de souffrir, ne t'en fais pas.
Les doigts d'Aodhan se resserrèrent sur les poignées de ses épées. Il recula légèrement son pied, prêt à bondir. Elsa se hâta de poser une main sur son épaule.
- Aodhan, non. C'est ce qu'il veut.
Elle se rapprocha pour murmurer à son oreille :
- Libère Anna puis sors du château pour utiliser la corne.
Les yeux toujours fixés sur Roderick, il prit de profondes inspirations tremblantes pour tenter de se calmer, sans succès. Il hocha la tête mais ne se détendit pas pour autant.
Le magicien noir posa sa main droite sur son avant-bras gauche et, d'un geste vif, en tira une longue lame noire aux reflets violets. Il se précipita vers Aodhan et lui asséna un coup puissant que le jeune homme parvint à parer avec ses deux armes, reculant légèrement sous l'impact.
Il le repoussa et l'homme bondit en arrière. Laissant libre cours à sa colère, Aodhan invoqua des flammes le long de ses lames. Usant de son entraînement avec Mattias, il fit tournoyer les épées autour de lui, formant un mur impénétrable de flammes et d'acier.
Sa posture était à la fois offensive et défensive, utilisant la force de ses mouvements pour parer les assauts de son adversaire tout en cherchant les ouvertures pour contre-attaquer. Chacun de ses mouvements était d'une précision redoutable, et il bougeait avec l'aisance d'un danseur.
Le sourire de Roderick avait disparu. Il tentait d'atteindre Aodhan, mais il était visiblement déconcerté qu'un homme si jeune parvienne à lui tenir tête. La chaleur de ses flammes lui léchaient dangereusement le visage. Il décrivit un arc de cercle avec sa main libre et une onde de choc ténébreuse surgit de son bras. Aodhan parvint à l'esquiver de justesse, et le sort s'écrasa dans le pilier derrière lui, brisant la pierre sous l'impact.
C'était l'opportunité qu'attendait Aodhan : profitant de l'élan de son esquive, il effectua une roulade qui le rapprocha du trône. Dans son dos, il entendit une exclamation de surprise.
- Qu'est-ce que c'est ? s'écria Roderick.
Il tenta de poursuivre Aodhan, mais un mur de glace se forma devant lui, manquant de le percuter. Il fit un bond en arrière pour l'esquiver et jeta un regard par-dessus son épaule : Elsa avait les mains tendues en avant, les sourcils froncés, déterminée à l'empêcher d'atteindre son ami.
Roderick poussa un soupir irrité. Il s'était laissé distraire de son objectif principal. Mais elle était là, juste devant lui, et elle avait formé elle-même une barrière entre lui et les autres.
- Je vois que vous avez trouvé la corne de ce cher Narval, susurra-t-il. Malheureusement pour vous, sa magie s'est éteinte depuis longtemps. Aucune lumière ne viendra te sauver du néant.
Il se jeta sur Elsa, lame brandie. Par réflexe, elle érigea un nouveau mur de glace qu'il esquiva habilement. D'un geste rapide, elle projeta des stalactites sur lui avant qu'il ait pu se remettre de son esquive, mais il les brisa d'un tourbillon de son arme, dans une imitation parfaite de la technique d'Aodhan.
Il s'approchait dangereusement. Elsa recula d'un pas et lança de nouveau sa magie sur Roderick. S'il possédait encore un cœur, elle allait le geler. Et aucun acte d'amour véritable ne viendrait le sauver.
Mais il l'esquiva avec une habilité surnaturelle en se cachant derrière un pilier. Sa glace s'écrasa sur l'un des murs qu'elle avait invoqués, qui se brisa sous l'impact. Son cœur rata un battement alors que Roderick se tenait face à elle, prêt à lui asséner un coup fatal. Le temps sembla se figer, et elle ferma les yeux, s'attendant à ressentir la douleur de la lame. Le désespoir et la peur firent trembler son corps.
Mais le coup ne vint pas. Un tintement retentit, puis le silence. Elle rouvrit lentement les yeux et découvrit Anna entre elle et Roderick. Elle avait paré le coup de l'ancien roi grâce à l'épée qu'Aodhan avait pris à l'armure.
- Vous ne ferez aucun mal à ma sœur ! s'écria-t-elle.
Des larmes de soulagement coulèrent sur les joues d'Elsa alors que sa sœur repoussait son assaillant. En jetant un regard autour d'elle, elle découvrit qu'Aodhan avait suivi ses instructions et avait profité de la confusion pour s'éclipser.
La fraîcheur de la nuit surprit Aodhan après l'intensité du combat et la chaleur de ses flammes. L'Épine du Narval rengainée, il avait trouvé le balcon le plus proche et se hissait sur la balustrade. S'il devait invoquer la lumière de la corne, autant trouver le point le plus haut de tout Arendelle pour que la magie atteigne tout le royaume. Et là, au-dessus de sa tête, une tour du château dépassait du nuage de ténèbres.
Il tendit les mains, attrapa le rebord du toit et s'y hissa tant bien que mal. Tout d'un coup, il regrettait de s'être attaqué à Roderick. Le combat l'avait beaucoup fatigué.
Il posa un pied sur le toit et glissa brusquement, manquant de tomber dans le vide, mais parvint à se rattraper de justesse. Il avait négligé un détail : le toit était couvert de glace.
- Bon sang Elsa, pesta-t-il entre ses dents. C'est bien joli, des toits en glace, mais ça ne va pas me faciliter la tâche ! Tu m'excuseras...
Il invoqua de l'air chaud qu'il projeta tout au long du toit. La glace qui le recouvrait fondit à vue d'œil et bientôt, il put marcher sur les tuiles sans avoir à craindre de glisser. Désormais, il ne lui restait plus qu'à lutter contre la hauteur et le vent froid qui lui piquait les joues.
Alors qu'il avançait précautionneusement, un fracas retentissant provenant de la cour manqua de le faire tomber à la renverse. Avec horreur, il comprit que les portes avaient cédé sous l'assaut des ombres. Comme pour confirmer ses craintes, les créatures commençaient déjà à se hisser sur le toit, leurs griffes perçant les tuiles sans difficulté, et lui barraient le chemin jusqu'à la tour.
Il songea à Kristoff, qui était toujours dans la cour, mais n'eut pas le temps de s'inquiéter pour lui. Il lui restait toute la longueur du toit à parcourir et les ombres avançaient vers lui, d'abord en rampant, puis en courant vers lui, griffes en avant. Certaines glissaient et tombaient du toit, mais elles remontaient immédiatement. L'amas d'ombres ne semblait avoir aucune conscience individuelle, tout ce qui leur importait était leur proie : Aodhan.
Il lui vint alors une idée. Il s'arrêta, prit une profonde respiration, et croisa les bras en X face à lui. Ses doigts se crispèrent comme s'il tirait des ficelles invisibles, et la chaleur envahit ses paumes tandis que des flammes apparaissaient. Il tendit lentement les bras devant lui, ses doigts semblant déchirer l'air d'où jaillissait le feu qu'il invoquait. Il libéra ses pouvoirs vers la vague d'ombres qui gagnait inlassablement du terrain.
Les flammes déchirèrent un grand nombre de créatures qui disparurent en panaches de fumée, mais elles étaient trop nombreuses et semblaient grignoter les flammes qui s'estompaient peu à peu.
- Gale ! hurla Aodhan de toutes ses forces.
L'esprit du vent le rejoignit en quelques instants en sifflotant. Voyant le jeune homme en détresse, il se précipita sur les ombres. Mais au lieu de les envoyer valser du toit - ce qui n'aurait eu d'autre effet que les retarder le temps qu'elles remontent - il tourbillonna au milieu des flammes qu'Aodhan continuait à lancer sur les créatures.
Une véritable tornade de flammes ardentes s'éleva au milieu des ombres. Les plus proches d'Aodhan furent emportées par la bourrasque à l'intérieur, leurs contours brumeux disparaissant dans la danse furieuse des flammes. La horde d'ombres disparut dans des lambeaux de fumée noire, dispersées par la fureur éclatante des flammes emportées par le vent.
Aodhan fit de son mieux pour calmer sa colère et dissiper ses flammes, aidé par le pouvoir de l'Épine du Narval.
- Merci, Gale.
L'esprit lui répondit en sifflant joyeusement tandis qu'Aodhan se précipitait vers la tour, oubliant totalement le risque de tomber. Par chance, il parvint au pied de l'édifice sans encombre, et il s'aida de son pouvoir pour se propulser le plus haut possible dans les airs. Arrivé au point culminant de son saut, il s'agrippa au mur de pierre.
L'ascension de la tour était une véritable épreuve pour Aodhan. À chaque prise, il devait s'accrocher fermement aux pierres froides et rugueuses, le vent claquait son manteau dans son dos. Il avait du mal à trouver des prises capables de soutenir son poids, la fatigue l'essoufflait déjà alors qu'il venait à peine de dépasser la moitié de la hauteur qu'il devait parcourir.
Il se hissa jusqu'à une nouvelle prise, mais la pierre était glissante et se délogea du mur. Dans un élan de terreur, Aodhan se sentit basculer en arrière. Il allait s'écraser en bas.
Un nouveau sifflement retentit à ses oreilles et il sentit sa chute s'arrêter doucement. Gale venait de le rattraper. Le jeune homme souffla pour extérioriser sa panique, son cœur cognant encore contre sa poitrine comme s'il tentait de s'en échapper. L'esprit le poussa doucement en direction du mur auquel il s'agrippa de nouveau.
- Merci, Gale, souffla-t-il. C'est la deuxième fois que tu me sauves la vie.
L'esprit souffla en tournant autour de lui. Aodhan lui sourit et reprit son ascension, rassuré d'avoir quelqu'un qui veillait sur lui. Autour de lui, le vent le secouait de toutes parts, jusqu'à ce que Gale s'interpose. Un grondement retentit au pied de la tour, et il y risqua un coup d'œil.
Une nouvelle masse d'ombres s'était formée et grimpait vers lui. Grouillant de rage, les créatures progressaient bien plus vite que lui : certaines plantaient leurs griffes dans le mur pour se hisser, mais la plus grande partie se contentait de marcher sur les autres ombres en dessous d'elles. Heureusement, Aodhan se trouvait juste sous les tuiles du toit, mais il devait faire un bond pour en attraper le rebord.
- Gale ! appela-t-il. Je vais me laisser tomber, pousse-moi vers le toit !
L'esprit approuva en sifflant. Aodhan inspira profondément, rassemblant son courage, et se laissa tomber. Gale le rattrapa et le poussa de nouveau, et il put s'accrocher au rebord des tuiles. Il se hissa sans difficulté sur le toit en pointe et s'agrippa au mât de la bannière d'Arendelle qui flottait au vent.
En dessous de lui, les toits d'Arendelle étaient à peine visibles dans le brouillard.
Dans ses rues, Mattias et les soldats se battaient toujours. La fatigue se faisait ressentir, et malgré leurs cris de guerre et les ordres que leur hurlait leur capitaine, les soldats commençaient à se faire happer par les ténèbres. Mattias trancha les ombres qui se tenait face à lui, mais elles furent immédiatement remplacées. Ils étaient submergés par le nombre de créatures qui ne cessait de croître.
Kristoff, quant à lui, brandissait une arme improvisée avec les restes d'un traîneau et se battait contre les ombres qui s'infiltraient dans la cour du château. Il cessa un instant de se battre, hébété en réalisant qu'il se trouvait face à une horde de créatures qui semblait sans fin. L'une d'elle parvint à le saisir à la jambe et commença à le traîner vers les ténèbres.
Roderick abattit sa lame vers Anna, mais un mur de glace bloqua son geste. L'ancien roi d'Arendelle enrageait. Seules, ces fillettes n'auraient aucune chance face à lui. Mais les deux sœurs étaient si bien coordonnées qu'il ne parvenait pas à les neutraliser. Anna attaquait, Elsa protégeait, et lorsqu'il s'en prenait à l'une, l'autre entravait ses mouvements.
Il était à bout de patience. Il invoqua une onde de choc qui propulsa Anna contre un pilier. Elle retomba comme une poupée de chiffon, sonnée. Il se tourna vers Elsa avec un sourire sadique et se précipita vers elle.
La jeune femme érigea aussitôt un mur de glace entre eux, d'où dépassaient des pics acérés. De sa main libre, Roderick invoqua ses ténèbres qu'il propulsa vers le mur. Avec horreur, Elsa regarda la glace se briser en morceaux, découvrant son adversaire, son épée brandit vers elle.
La lame noire, ses reflets violets étincelant à la lueur vacillante du chandelier au-dessus d'eux, approchait inexorablement de son cœur.
Aodhan détacha la corne du Narval de son dos et la brandit au-dessus de sa tête. Mais malgré la magie qui vibrait en elle, la corne resta terne et inerte.
- Allez, c'est le moment de t'illuminer ! maugréa-t-il. Il faut que tu sauves Arendelle !
La corne resta sourde à ses supplications. Le cœur battant furieusement, Aodhan la brandit plus haut, les yeux rivés sur elle. Le grondement des ombres se rapprochait en dessous de lui. Elles commençaient à monter sur le toit pointu de la tour.
- Je t'en prie ! implora-t-il, désespéré. Fais-le pour Arendelle ! Pour Elsa !
À ces derniers mots, la corne s'illumina soudain. Une agréable chaleur se répandit dans sa main puis dans tout son corps. L'éclat fut tel qu'il dût fermer les yeux pour ne pas être aveuglé.
La lumière éclatante baigna tout Arendelle, ses rayons dorés perçant la brume qui recouvrait la ville jusqu'à la faire disparaître totalement. Les ténèbres qui avaient englouti les soldats disparurent, fondant comme de la glace sous un soleil de plomb. Les ombres qui se jetaient sur Mattias, les créatures qui traînaient Kristoff par la jambe, toutes s'enfuirent paniquée en essayant désespérément d'échapper à la lumière. Mais le pouvoir de la corne les rattrapa et elles se transformèrent en volutes de fumée, se dissipèrent dans l'air, et disparurent à jamais.
Roderick laissa échapper une exclamation de surprise. Sa lame, à quelques centimètres du cœur d'Elsa, se dissipa jusqu'à disparaître totalement, ne laissant que de la fumée dans la paume de sa main.
- Non ! Mes pouvoirs ! s'écria-t-il.
Elsa, qui se trouvait dans la lumière qui passait à travers l'une des hautes fenêtres de la salle du trône, ne lui laissa pas le temps de réagir. Elle invoqua sa glace et emprisonna l'homme, ne laissant dépasser que son buste.
Anna la rejoignit, essoufflée, un bleu sur le front, mais apparemment indemne. Elle s'approcha de Roderick, désormais impuissant, et se redressa de toute sa hauteur en le regardant avec fierté et dédain. Ainsi prisonnier, dépourvu de tout pouvoir, il lui faisait pitié.
- Roderick, déclara-t-elle froidement. Au nom d'Arendelle, je déclare que vous serez enfermé et jugé pour vos crimes.
L'homme cracha à ses pieds. Anna ne réagit pas immédiatement, s'approchant seulement de lui. Puis elle lui asséna un grand coup sur le crâne avec le pommeau de son épée, et Roderick tomba inconscient, retenu par la glace qui l'enfermait toujours.
La reine laissa tomber son arme et se précipita vers Elsa, qui la pris dans ses bras. Toutes deux laissèrent libre cours à leurs larmes, soulagées et heureuses.
- Elsa, hoqueta la rousse.
- Tout va bien, Anna, murmura sa sœur en lui caressant les cheveux d'un geste rassurant. Nous avons réussi.
Après de longues secondes, elles rompirent leur étreinte et s'approchèrent de la fenêtre, bras-dessus bras-dessous. La lumière de la corne se dissipa au même instant.
Face à elles, Arendelle était redevenue calme, en paix. La ville était baignée par la douce lumière du ciel nocturne, un silence apaisant régnait dans ses rues.
Arendelle était sauvée.
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