Chapitre 16
Deux semaines s'étaient écoulées depuis la libération d'Arendelle. Les habitants avaient pu retrouver leur foyer, heureux de constater que la plupart étaient encore intacts. D'autres n'avaient pas eu cette chance ; ici, des traces de griffes gigantesques lacéraient le mur, là, c'était un pan entier du bâtiment qui s'était effondré.
Fort heureusement, le peuple d'Arendelle n'était pas seul. Les Northuldras étaient venus leur apporter savoir-faire et main d'œuvre. Même les esprits apportaient leur aide - bien que les géants de pierre soient interdits en ville - Gale soufflant dans les rues pour réunir les débris et détritus, et l'esprit du feu brûlait avec joie les décombres inutiles.
Même Anna, malgré de nombreuses protestations (« Mais vous êtes la reine ! Vous devez vous préparer pour le bal de ce soir ! »), avait revêtu une tenue de travail simple pour aider les habitants. Elle tenait à s'impliquer dans la reconstruction de la ville, à montrer quel genre de reine elle souhaitait être, proche de son peuple.
À ses côtés, Kristoff apportait son aide avec une énergie inépuisable. Sa jambe s'était rapidement remise de l'assaut des ombres et son expérience en travail manuel était d'une aide précieuse dans les efforts de reconstruction. Aidé de Sven, qui tirait un chariot rempli de planches et autres choses diverses, il parcourait les rues qui résonnaient du bruit des marteaux et des scies.
Miraculeusement, le château était intact - en dehors de quelques tuiles cassées. Heureusement pour le royaume, Roderick avait été suffisamment orgueilleux pour interdire à ses ombres de détruire « son » château et « sa » ville. Les créatures avaient visiblement fait un peu de zèle dans les rues, mais rien qui ne pouvait être réparé.
Quant à Elsa, bien qu'elle n'aidât pas directement aux travaux de restauration, elle zigzaguait entre les différents chefs de chantier réunis sur la place de la ville, prodiguant ses conseils et utilisant parfois sa glace comme renfort temporaire sur certains bâtiments.
Aodhan, lui, était étrangement le plus à plaindre des quatre. Le pauvre ne pouvait plus faire un pas hors du château sans être interpellé de toutes parts. Les passants tenaient tous à remercier celui qui avait sauvé leur royaume, s'accrochant à son bras pour se faire prendre en photo avec lui, ou pour le traîner devant un peintre qui voulait être le premier à faire son portrait. Le jeune homme, un peu gêné par l'attention qu'il recevait, trouvait toujours une excuse pour prendre congé et rejoindre Elsa sur la place. Cette dernière le regardait toujours arriver avec un petit rire.
- Voici la célébrité d'Arendelle, ne pouvait-elle s'empêcher de lui dire lorsqu'il se postait à ses côtés.
Pour toute réponse, Aodhan lui tirait la langue.
Ce soir-là, alors que les ouvriers rangeaient leurs outils après les derniers travaux de la journée, les portes du château s'ouvrirent sur un tout autre spectacle. Anna avait organisé un fabuleux banquet pour célébrer la libération d'Arendelle et la fin imminente des travaux. Anna avait revêtu sa plus belle robe de bal aux couleurs du royaume et se tenait sur le palier du château pour accueillir les convives. Même Kristoff avait dû se plier aux exigences et porter une tenue de soirée, qui lui donnait l'impression d'étouffer et l'empêchait de tourner la tête. Il se contentait de saluer les invités de sa main libre, son autre bras servant de perchoir à sa fiancée.
- Ooooh, de la neige ! s'écria un enfant dans la foule.
Anna tourna vivement la tête en direction de la cour et constata avec émerveillement qu'en effet, les premiers flocons de l'hiver étaient en train de tomber.
Laissant complètement tomber le bras de Kristoff et les visiteurs, elle dévala les quelques marches en direction de la cour intérieure du château. Avec un enthousiasme proche de celui des enfants qui l'imitaient, elle tournoyait tout autour de la fontaine centrale, observant les flocons qui flottaient sur Arendelle.
Son rire était contagieux et les invités s'étaient tous arrêtés pour observer avec affection leur reine danser seule, les yeux fermés et un sourire accroché aux lèvres. Les pans de sa robe et de sa cape ondulaient gracieusement à chacun de ses mouvements, emportant quelques flocons sur son passage.
L'instant avait quelque chose de féérique, comme si le monde entier s'était arrêté pour contempler cette scène, où la magie de l'hiver se mêlait à la joie des habitants d'Arendelle incarnée dans la jeune reine. Sa joie était rayonnante et éclatante, et lorsqu'ils rentrèrent tous dans le château, les convives ne pouvaient s'empêcher de sourire.
Le grand hall du château grouillait désormais de toutes gens qui s'étaient apprêtés pour l'occasion, les domestiques allaient et venaient en proposant des petits fours et des coupelles de champagne aux convives.
Mais le plus impressionnant était la métamorphose de la salle du trône. Ce dernier avait disparu le temps de la soirée, et sur son estrade se trouvait désormais un petit orchestre qui jouait une harmonie dansante et mélodieuse. La pièce était noire de monde, des guirlandes de crocus dorés - le blason d'Arendelle - et de rubans multicolores ornaient les murs ou tombaient en cascade entre chaque pilier. De chaque côté de la pièce se trouvaient de longues tables chargées de mets délicieux.
Les invités affluaient dans la salle, vêtus de leurs plus beaux atours pour l'occasion, échangeant des salutations joyeuses et des nouvelles de la journée. La musique résonnait gaiement entre les murs et tout le monde dansait depuis une bonne heure.
Parmi eux, Aodhan tentait de se frayer un chemin dans la foule, qui formait un cercle et applaudissait en rythme tout en regardant Anna et Kristoff danser en son centre. Le jeune homme avait troqué son manteau habituel pour un costume élégant, bien que le veston ait conservé la couleur rouge vin. Il saluait les quelques personnes qui le reconnaissaient avec un sourire timide, et ses yeux s'illuminèrent lorsqu'il reconnut au loin la chevelure de la personne qu'il cherchait.
- M'accorderiez-vous cette danse, ô grand esprit de la forêt ? murmura-t-il à son oreille en parvenant à se glisser dans son dos.
Elsa sursauta et se tourna vers lui, un large sourire aux lèvres.
- Pardonnez-moi, grand sauveur d'Arendelle, mais je n'aime pas danser, répondit-elle sur le même ton amusé.
Ils s'observèrent d'un œil malicieux pendant quelques secondes avant d'éclater de rire.
La jeune femme était tout aussi resplendissante que sa sœur. Elle portait une longue robe blanche brodée d'or, un voile léger suspendu dans son dos ondulant à chacun de ses gestes, et des gants dans la même matière qui remontaient le long de ses bras. Elle avait attaché ses cheveux dans une longue natte qui tombait sur son épaule, mais avait laissé quelques mèches rebelles descendre devant ses yeux.
Ils finirent par reprendre leur sérieux et Aodhan se posta aux côtés d'Elsa, tous deux se tournant vers Anna et Kristoff qui continuaient de tournoyer gracieusement sur la piste de danse.
- Tu crois que Kristoff a pris des cours de danse auprès de Sven pour ce soir ? ne put s'empêcher de souffler Aodhan en observant les mouvements du concerné.
De nouveau, Elsa s'esclaffa et lui poussa gentiment l'épaule. Ils gloussèrent plus ou moins silencieusement, s'attirant les regards interrogateurs des personnes autour d'eux.
- Je dois t'avouer qu'il commence à y avoir un peu trop de monde pour moi, poursuivit Elsa.
- Alors viens près des tables, je commence à avoir faim personnellement.
Aodhan lui prit la main et l'entraîna en direction de l'une des tables qui débordait de nourriture. Mais ce qui attira surtout leur attention était le plat surchargé de chocolats.
- Tu sais, commença lentement le jeune homme. Ce serait dommage que quelqu'un emmène le plateau et mange tous les chocolats...
- Aodhan, on ne va pas tout manger !
Il planta son regard dans le sien, les sourcils levés et un sourire aux lèvres. Sans la quitter des yeux, il avançait lentement sa main en direction du plat.
- Aodhan ! s'écria Elsa d'un air faussement désapprobateur.
- Personne n'en saura rien, assura-t-il avec un clin d'œil.
Il se saisit du plat et se dirigea vers la porte la plus proche, l'air de rien. Elsa l'interpella encore une fois, et après avoir jeté un dernier regard inquiet autour d'elle pour s'assurer que personne ne l'avait remarqué, elle le suivit hors de la pièce.
Les deux jeunes gens s'étaient installés dans le salon où ils jouaient habituellement aux devinettes avec les autres. Les murs résonnaient de l'écho de leurs rires alors qu'ils étaient installés confortablement sur le sofa et dégustaient de délicieux chocolats, le plat posé entre eux deux.
- Je ne devrais pas être étonné qu'une femme aussi espiègle qu'Anna sache organiser une fête remarquable... Mais je dois bien avouer que ce bal est impressionnant.
- C'est vrai, approuva vivement Elsa. Elle met toujours les petits plats dans les grands, je faisais toujours appel à elle pour organiser des réceptions grandioses. Si tu avais vu nos fêtes de noël, ajouta-t-elle en souriant.
- Tout le monde a l'air tellement heureux ce soir, commenta Aodhan.
- Et toi, comment te sens-tu après tout ce qui s'est passé ?
Il prit un chocolat et le mangea le temps de réfléchir à sa réponse. Elsa patientait, curieuse.
- Je ne m'attendais pas vraiment à me retrouver au centre de tout ça, dit-il enfin. Je me sens encore un peu perdu de ne pas me souvenir totalement de mon passé, et d'être devenu soudainement le héros d'Arendelle...
Il posa les yeux sur Elsa et un sourire éclaira son visage. Sa main se posa délicatement sur celle de la jeune femme.
- Mais mon passé ne m'importe plus autant qu'avant, poursuivit-il. Le plus important, c'est celui que je suis maintenant. Ici, à Arendelle. Avec toi.
Les joues d'Elsa rougirent légèrement à ses mots. Elle ne savait pas quoi répondre, et un silence s'installa entre eux. Ils n'arrivaient plus à détacher leur regard de l'autre, et leurs visages s'approchaient lentement.
La porte s'ouvrit à la volée et la voix triomphante d'Anna retentit à leurs oreilles tandis qu'ils se séparaient vivement, le rouge aux joues et l'air coupable.
- Ahah ! Vous êtes là ! Tu vois Kristoff, je t'avais dit qu'il manquait un plat de chocolats !
La reine, son fiancé et Olaf entrèrent dans la pièce, sans se rendre compte du malaise des deux autres. Ils s'installèrent à côté d'eux, mais le sofa était trop petit et Elsa et Aodhan se retrouvèrent collés l'un contre l'autre, l'accoudoir douloureusement enfoncé dans le dos du jeune homme. Anna soupira en s'affalant, oubliant momentanément sa stature de reine.
- Je n'en peux plus ! s'exclama-t-elle. Je ne pensais pas que toute la ville viendrait ! Et tout le monde nous regardait danser, je n'ai pas osé arrêter, et maintenant mes chaussures me font mal aux pieds ! C'est moi ou il fait chaud ici ?
Les deux autres l'écoutèrent en hochant la tête, évitant soigneusement de se regarder. Heureusement pour eux, Olaf proposa de se changer les idées avec une soirée devinettes, et ils acceptèrent sa suggestion avec un peu trop d'enthousiasme.
La gêne d'Elsa et Aodhan avait rapidement disparu pour laisser place à l'hilarité de leurs jeux avec Kristoff et Anna. Olaf les fit tous rire aux éclats en imitant Roderick, désormais enfermé dans sa cellule, dans une caricature de méchant de contes de fée. Puis il imita Elsa avec sa natte sur l'épaule.
- Il t'imite étrangement bien, commenta Aodhan à l'oreille de l'intéressée. Hé, Olaf, interpella-t-il d'une voix plus forte. Est-ce que tu sais faire Anna aussi ?
Ignorant les protestations de la reine, le bonhomme de neige changea de forme et sa silhouette rappela rapidement Anna, ses cheveux attachés et une petite couronne brillant sur sa tête. Ils éclatèrent tous de rire et même Anna, malgré son air faussement boudeur, ne put s'empêcher de sourire.
Aodhan attrapa Olaf dans ses bras et le tendit en direction d'Anna.
- Désolé Anna, mais je crois que nous avons trouvé la véritable reine d'Arendelle.
Olaf prit immédiatement la pose, un bras derrière la tête, en haussant les sourcils d'un air séducteur. Anna fronça les sourcils, apparemment pas amusée le moins du monde.
- Je l'avoue, concéda-t-elle. Je ne suis pas la véritable Anna d'Arendelle. En vérité, je suis...
Elle plongea sur Olaf, attrapa ses deux grandes dents en neige et lui retira.
- Hé, ça chatouille ! s'exclama le bonhomme de neige en bafouillant.
Elle sépara les deux dents et les planta dans sa bouche, avant de conclure sa phrase :
- En férité, fe fuis la méffante fampire qui feut boire fotre fang ! Aaaargh !
Elle tendit les mains vers eux et Olaf poussa un cri terrorisé en bondissant des bras d'Aodhan. Tout le petit groupe courut dans la pièce en tentant d'échapper aux terribles crocs de neiges de la méchante vampire Anna, qui les chatouillait lorsqu'elle les attrapait.
Elle venait de se saisir de Kristoff et s'apprêtait à le « mordre » lorsque des petits coups retentirent à la porte et qu'un domestique entra, l'air imperturbable.
- Votre majesté, vous êtes attendue pour le discours de clôture du bal, annonça-t-il.
Anna lâcha aussitôt Kristoff et laissa tomber ses dents en neige au sol. Elle se tenait désormais droite et fière, comme s'il ne s'était absolument rien passé. L'air totalement digne, elle remercia le domestique et, après un clin d'œil amusé à Elsa et Aodhan, elle sortit, accompagnée d'Olaf (qui avait récupéré ses dents sur le tapis) et de Kristoff qui avait l'air d'un condamné se dirigeant vers l'échaffaud.
- C'est la dernière fois que je porte cette tenue, soupira-t-il avant de refermer la porte.
Elsa et Aodhan se regardèrent, de nouveau seuls, essoufflés après avoir couru dans toute la pièce. La jeune femme proposa de rejoindre un balcon pour profiter de l'air frais de la nuit, et Aodhan accepta avec gratitude.
Ils marchèrent le long des couloirs calmes et faiblement éclairés du château. Au détour d'un couloir, ils passèrent devant deux larges tableaux, et Aodhan s'arrêta devant pour les observer.
Le tableau de gauche représentait Elsa et Anna aux côtés de Kristoff, accoudé contre Sven, et Olaf souriant au peintre, des branches de cerisier aux pétales rosés au-dessus de leur tête. Mais c'était surtout le tableau de droite qui attira l'attention du jeune homme : il représentait un homme grand et élancé, un pendentif au symbole d'Arendelle brillant sur son torse, ses épaulettes dorées accentuant sa stature droite. A ses côtés, une jeune femme brune aux traits fins souriait paisiblement, les mains jointes devant elle. Devant eux, une petite fille aux cheveux blonds imitait ses parents, souriante tout en restant droite, la main posée sur une autre jeune fille aux cheveux roux, qui observait sa grande sœur avec admiration.
- Je me souviens, commenta Elsa qui avait rejoint Aodhan. Anna avait eu un mal fou à rester en place.
Aodhan, lui, gardait les yeux posés sur les parents des deux jeunes femmes. Il se tourna lentement vers Elsa.
- Ils seraient fiers de vous deux, tu sais ? De toi. De celle que tu es devenue.
Elsa lui fit face à son tour, les yeux brillants. Un sourire attendri étira lentement ses lèvres alors qu'elle penchait la tête sur le côté. Pendant des années, elle avait attendu d'entendre ces mots.
- Merci, Aodhan, murmura-t-elle en lui prenant la main.
L'air frais de la nuit caressa agréablement leur peau alors qu'ils s'accoudaient à la balustrade du balcon. Au loin, ils entendaient les dernières notes s'élever de la salle du trône, tandis que les invités sortaient du château pour rentrer chez eux.
- Arendelle a enfin retrouvé la paix, commenta Elsa à mi-voix. Grâce à toi, Aodhan.
- Non, grâce à nous, corrigea-t-il en hochant la tête.
- C'est toi qui as gravi la plus haute tour pour utiliser la corne du Narval, insista-t-elle en lui souriant. D'ailleurs, comment t'y es-tu pris ? La corne semblait totalement inerte durant le trajet entre la Forêt Enchantée et Arendelle.
Les yeux d'Aodhan se perdirent dans le vague alors qu'il réfléchissait, la brise agitant doucement ses cheveux blonds.
- Je ne peux qu'émettre des hypothèses, répondit-il. Je pense que la corne ne répond qu'à des sentiments forts.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demanda Elsa, surprise.
Aodhan eût soudain l'air un peu gêné, mais poursuivit malgré tout.
- Eh bien, elle n'a pas réagi alors que j'ai tenté d'invoquer ma propre magie. Ni quand je l'ai implorée d'aider Arendelle. Elle s'est illuminée seulement... Lorsque j'ai pensé à toi.
- À moi ?
Aodhan se tourna vers Elsa qui le regardait avec des yeux ronds. Son cœur accéléra soudainement, alors que les cheveux de la jeune femme scintillaient à la lumière de la lune, comme la première fois qu'ils avaient discuté à la lueur de la nuit. Avant tout cela.
Il fut incapable de trouver les mots. Mais après tout, en avait-il vraiment besoin ? Elsa semblait comprendre. Sans s'en apercevoir, ils s'étaient tout deux rapprochés, leur souffle tremblant légèrement, une agréable chaleur se propageant dans leurs corps. Aodhan posa une main tendre sur la joue d'Elsa, et elle répondit à son sourire tout en l'enlaçant fort contre elle.
Il se perdit dans l'étonnante douceur de ses lèvres lorsqu'elles se posèrent sur les siennes.
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