Chapitre 18

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Les jours défilaient et se ressemblaient tous. Elsa se sentait emportée par un tourbillon, une succession de jours qui n'avait plus aucun sens. Une semaine avait déjà passé avant qu'elle ne s'en rende compte.
Elle s'était enfermée dans sa chambre et refusait catégoriquement d'ouvrir la porte à qui que ce soit, y compris Anna. Cette dernière avait l'impression d'être revenue des années en arrière, mais cette fois-ci, les pouvoirs de sa sœur n'étaient pas en cause. Tout était la faute d'Aodhan.

Une fois de plus, aujourd'hui, Anna toqua à la porte. Elle entendait Elsa renifler dans la pièce, derrière, mais aucun bruissement ou autre signe de mouvement lui indiqua qu'elle venait lui ouvrir. La jeune rousse soupira, déposa le plateau de nourriture devant la porte, et s'éloigna, non sans un dernier regard attristé en arrière.
Elsa était assise sur son lit, ses yeux vitreux posés sur la fenêtre, d'où elle apercevait les froids rayons du soleil faire scintiller la neige qui tombait paresseusement sur Arendelle. Elle expira, produisant un nuage de condensation, avant d'enfouir sa tête entre ses bras.
Toute la pièce était recouverte d'une fine couche de glace, des flocons tombaient sur les meubles ou s'accrochaient dans la chevelure blonde d'Elsa. La pièce ne s'était pas retrouvé dans un tel état depuis la mort de ses parents.
La jeune femme se sentait désemparée. Le cœur à la fois lourd et vide. Plusieurs fois, elle frappa sa poitrine pour s'assurer qu'il battait encore. Ses larmes s'étaient asséchées au bout de deux jours, et elle n'arrivait maintenant plus à pleurer, bien que le poids du chagrin soit toujours présent.
Le soir, elle avait l'impression qu'on lui enserrait les poumons et elle étouffait, jusqu'à ce qu'elle se lève et rejoigne le balcon. L'air frais de la nuit hivernale dissipait légèrement ce poids et lui permettait de reprendre consistance, au moins pour un instant. La journée, elle se sentait comme étrangère à son propre corps, sentant le temps s'écouler lentement, indifférent à sa peine. Elle tentait bien parfois de se changer les idées avec un livre, mais elle ne parvenait pas à se concentrer plus de quelques minutes. Ses pensées dérivaient toujours vers Aodhan.

Elle ne parvenait pas à comprendre ce qui l'avait poussé à suivre Roderick vers Yohamitään. Parfois, elle espérait qu'il avait un plan pour stopper l'ancien roi d'Arendelle et cette dangereuse entité qui lui avait donné ses pouvoirs. Puis elle se rappela son regard vide et son silence pesant, et hocha tristement la tête contre elle-même. Il lui aurait sûrement parlé d'un tel plan. Il lui faisait confiance, il l'aimait – du moins c'était ce qu'elle avait pensé.
Elle laissa glisser ses doigts sur ses lèvres, gercées par le froid ambiant de la chambre. La sensation de ses lèvres contre les siennes demeurait encore dans son esprit, un souvenir à la fois doux et amer qui la hantait douloureusement. Pour la première fois, elle avait abaissé ses barrières, elle s'était autorisée à aimer quelqu'un. Et voilà qu'Aodhan était parti avec une partie de son cœur, qu'elle ne pourra jamais retrouver avec le temps.

Une nouvelle journée. D'épais nuages blancs cachaient le soleil et menaçaient de faire tomber de la neige à tout instant. Elsa, accoudée à la rambarde du balcon, observait tristement Arendelle en contrebas sans le voir.
Derrière elle, des coups retentirent à la porte de sa chambre avec un rythme particulier. Elle ne prit pas la peine de répondre. Comme tous les jours, elle attendrait qu'Anna soit partie pour prendre le plateau repas, qu'elle picorait sans appétit.
Un fracas retentissant retentit en la faisant sursauter, et elle fit volte-face, les mains en avant, prête à utiliser sa magie.
Anna était assise par terre, et à en juger par le plateau cassé et les vestiges d'un repas fumant autour d'elle, il n'était pas bien compliqué de deviner ce qu'il s'était passé.

— Anna ! Tu vas bien ? s'exclama Elsa avec inquiétude en se précipitant pour l'aider.
— J'ai mal aux fesses, mais ça devrait aller, répondit Anna en se remettant sur pied.

Elle jeta un coup d'œil à sa sœur, espérant que sa tentative d'humour ait fait mouche, mais son état l'inquiétait. Les cheveux en batailles, des cernes noires sous les yeux et l'air maladif, elle manquait assurément de sommeil.

— Il faut qu'on parle, assura-t-elle sans laisser à Elsa le temps de dire quoi que ce soit.

Elle attrapa le bras de sa sœur, autant pour l'emmener sur le balcon que pour éviter de glisser sur la glace recouvrant le sol. Réprimant un frisson sous la brise hivernale, elles se tinrent debout l'une contre l'autre, appuyées sur la rambarde face à Arendelle.
Elle avait tenté des jours durant de parler à Elsa, et maintenant, voilà qu'elle ne savait plus comment aborder le sujet qui pesait entre elles.

— J'ai discuté avec Mattias et Kristoff, commença-t-elle enfin. Nous avons mobilisé la flotte royale d'Arendelle. Demain, nous partirons pour Yohamitään.
— Quoi ?

Elsa se tourna vers sa sœur, les yeux ronds.

— Anna, c'est trop dangereux ! rétorqua-t-elle immédiatement. Des tempêtes recouvrent la mer du sud presque continuellement ! Vos navires vont... vous allez... Je ne peux pas vous perdre, vous aussi !

Anna posa la main sur celle de sa sœur. La peau d'Elsa était gelée.

— Nous devons le faire, murmura-t-elle. Pour sauver Arendelle une bonne fois pour toutes, nous devons arrêter Roderick, Yohamitään, et... Et Aodhan.

Elle prononça ce nom dans un soupir résigné. Elle ne pouvait pas repousser le sujet plus longtemps. En l'entendant, Elsa eût l'impression qu'une pierre s'enfonçait douloureusement dans sa poitrine.

— Je ne peux pas..., murmura-t-elle faiblement.
— Elsa. Je sais que tu l'aimais beaucoup – non, que tu l'aimes beaucoup – et qu'il ressentait la même chose. Cela crevait les yeux.

Anna poussa un nouveau soupir et posa son front contre l'épaule d'Elsa, qui lui caressa machinalement les cheveux, l'esprit ailleurs, emporté par ses paroles.

— Je crois que c'était aussi pour cela que j'ai eu autant de mal avec lui, avoua-t-elle. J'avais peur qu'il t'emporte loin de moi.
— Ça ne serait jamais arrivé ! protesta Elsa. Jamais je ne...
— Je sais, je sais, l'interrompit Anna. Ce que je veux dire, c'est que...

Elle prit quelques secondes pour chercher ses mots, tout en se mordant l'intérieur de la joue.

— Son comportement n'est pas cohérent, reprit-elle enfin. Mattias et Kristoff sont d'accords avec moi. Après avoir tout fait pour sauver Arendelle, pour nous prouver sa bonne foi, pour te montrer son amour, il nous trahit aussi soudainement ? Ça n'a pas de sens.
— J'y ai souvent pensé aussi, répondit Elsa. Mais peut-être cherchons-nous un sens là où il n'y en a pas.

Un nouveau silence s'étira entre elles, un peu plus long que le précédent.

— Parfois, j'ai l'espoir de le voir ouvrir la porte et venir vers moi. Il me prend dans ses bras et me dit que tout va bien, que ce n'était qu'un mauvais rêve. Il me semble souvent entendre l'écho de sa voix dans les couloirs. Le soir, le vent ressemble à ses murmures, comme s'il tentait de me rassurer.

Sa voix se brisa et elle laissa échapper un sanglot, le premier depuis plusieurs jours. Anna la regarda, peinée, et la blottit contre elle, lui caressant doucement le dos. Elsa reprit rapidement consistance grâce à une longue inspiration.

— Mais il nous a trahi, conclut-elle d'un ton qu'elle voulait tranchant. Tu avais raison depuis le début.
— Elsa, si tu venais avec nous, proposa lentement sa sœur. Tu pourrais t'assurer de notre sécurité, nous aider à vaincre Yohamitään et... Et demander des comptes à Aodhan. Tu pourrais comprendre pourquoi il a agi ainsi.
— Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? se désola Elsa. J'ai peur d'entendre sa réponse...
— Au moins, nous en aurons le cœur net, répondit Anna avec aplomb. Et lorsque nous aurons détruit Yohamitään, tu pourras passer à autre chose. Mais je suis sûre que cette situation cache quelque chose, il ne peut pas s'être fait berner par Roderick aussi facilement.
— Je ne sais pas, Anna. S'il avait un plan, il aurait pu nous en parler, nous faire confiance...
— Je suis d'accord, mais peut-être qu'il n'avait pas le choix. Il doit forcément y avoir une raison.

Sa sœur ne répondit pas, perdue dans ses pensées. Anna enleva sa tête de son épaule et regarda la jeune blonde avec tendresse.

— Si tu veux venir avec nous, retrouve-moi dans la salle du trône. Nous partirons demain à l'aube.

Elle serra dans sa main celle d'Elsa, qui commençait à se réchauffer.

— Tu avais raison sur un point, murmura-t-elle. Il n'est pas Hans.

Elsa écouta sa sœur partir et fermer la porte de la chambre derrière elle.
Ses mots provoquaient un tumulte nouveau en elle. Aux vagues de chagrin se mêlaient désormais celles d'espoir. Elle s'était suffisamment repliée sur elle-même, elle avait laissé le désespoir prendre le dessus. Elle devait retrouver la raison. Heureusement, ce n'était plus elle la reine d'Arendelle, mais Anna. Que penserait son peuple en la voyant ainsi, sinon ?
Quelque chose de chaud réchauffa son visage. Elle ouvrit les yeux et découvrit quelques rayons de soleil qui parvenaient à percer les nuages, leur couleur dorée dissipant le blanc nacré. Anna avait raison. Elle devait en avoir le cœur net. Les nuages s'écartèrent et laissèrent entrevoir le soleil, dont la lumière s'étendait chaleureusement sur Arendelle.

Les grandes portes de la salle du trône s'ouvrirent. Mattias, Kristoff et Anna, en grande conversation, s'interrompirent et se tournèrent vers l'entrée de la pièce.
Elsa avançait fièrement, l'écho de ses pas résonnant entre les piliers. Toute trace de fatigue avait disparu de son visage, et ses cheveux parfaitement coiffés tombaient gracieusement en cascade sur ses épaules, leurs reflets d'argent virevoltant à chaque mouvement. Malgré la tristesse qui voilait encore son regard, la jeune femme dégageait une aura de détermination nouvelle.
Elle s'arrêta face au petit groupe, prit une longue inspiration, et déclara d'un ton décidé :

— Je suis prête. J'irai à Yohamitään avec vous.

À l'aube, les cris des marins résonnaient dans le port d'Arendelle. Les imposants navires de la flotte royale quittaient le royaume, en direction de la mer du sud. Une fois hors du fjord, ils déplièrent toutes leurs voiles, aussitôt gonflées par le vent matinal, qui agitait fièrement les bannières d'Arendelle au sommet des mâts.
Elsa, debout sur le pont du plus gros navire, avançait vers la proue. Elle avait retrouvé toute sa prestance et son assurance, et elle fixait intensément l'horizon comme si elle pouvait déjà y voir l'île de Yohamitään. Le coeur battant, elle essayait de repousser la pensée d'Aodhan.
Anna la rejoignit, vêtue d'une tenue plus adaptée que sa robe de reine, conservant toutefois les couleurs royales. Elle prit la main de sa sœur dans la sienne, et ensemble, elles se tenaient sur la proue du navire, bercées par les vagues.
Peu importe ce qui les attendait, elles y feraient face ensemble.

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