Chapitre 4

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Les dieux de ce monde étaient réellement de gros salauds. Rhys les maudissait depuis déjà une demi-heure, mais il ne se sentait toujours pas satisfait. Il aurait aimé rencontré le responsable de son infortune et lui coller une belle droite en pleine face. Puis l’enguirlander grassement. Et lui remettre une droite.

— Oh ! un autre animateur ! Quel est votre numéro jeune homme ? Nous venons d’assister à un magnifique spectacle de jonglage, le talent des animateurs et des athlètes est tout simplement impressionnant !

Rhys contracta les poings et se retint de hurler pour la cinquantième fois qu’il n’était PAS un animateur de la fête, mais juste un invité incrusté.

— Je ne fais pas partie des animateurs, je suis navrée madame.

La bourgeoise prit un air abattu et s’éloigna au bras d’un charmant jeune homme sans accorder plus d’attention au pauvre danseur malmené. En arrivant à la fête d’anniversaire de l’empereur, il avait espéré en son for intérieur que la mode impériale fut très mauvaise, et que nombre d’invité fut tout aussi, voire davantage, ridicule que lui. Que nenni ! Il était le seul. Le seul dans cet accoutrement à froufrous orange et à pois rouges ! C’était certain : cette histoire finirait dans le feu et dans le sang.

Rhys contempla de loin tous ces beaux invités qui virevoltaient sur la piste de danse, qui riaient si gaiement et qui appartenaient à un monde qui ne serait jamais le sien. Le soleil jouait sur les robes des demoiselles pour les rendre encore plus belles, le vent ébouriffait les cheveux de ces messieurs pour les rendre encore plus chevaleresques, le tout dans un cadre parfait à en vomir. Il avait beau chercher, l’adolescent ne réussissait pas à trouver quelqu’un de moche. Il finit par se faire une raison, persuadé que l’entrée était refusé à tous ceux qui ne convenaient pas aux normes de beauté. C’est ça ! Ils n’acceptent pas les beaux, se consola-t-il.

— Vous portez un drôle de costume.

JE SAIS, hurla en pensée Rhys. Il répondit d’un soupir, espérant ainsi que la nouvelle venue le considère comme trop impoli pour lui faire don de sa naissance. Mais cela serait trop simple, pas vrai ?

— Ne prenez pas un air aussi désespéré, cela change de tous ces costumes clinquants qui valent une fortune.

— Oh eh bien… J’imagine que celui-ci a également coûté une fortune, mais reste à savoir si le concepteur a facturé pour les horribles couleurs ou les froufrous ridicules dans le dos.

La femme éclata de rire aux paroles de l’adolescent. Elle s’installa à côté de lui sur le banc où il avait trouvé refuge, un peu écarté de la foule. Il leva la tête pour contempler la dame et fut paralysé par ses yeux vert émeraude. Dans sa région native, une telle couleur de pupille n’existait pas et il voyait pour la première fois un aussi beau regard. En examinant un peu plus attentivement l’inconnue, il ne sut lui donner un âge. Elle paraissait mature par sa tenue et les plis aux coins de ses yeux, mais le petit rictus aux coins de ses lèvres lui donnait un air terriblement jeune.

— Comment vous nommez-vous ?

— Rhys. Et vous ?

Si le danseur se montrait impoli et ne respectait pas l’étiquette (ce dont il était certain), la femme n’y fit aucune allusion et lui parla comme si de rien n’était.

— Vous pouvez m’appeler Lynia.

Il acquiesça et elle reprit :

— Vous ne semblez pas du tout profiter de la fête.

— Comment le pourrais-je, dans un tel accoutrement ? grommela le jeune homme.

— Je suis certaine que si vous alliez rejoindre les autres invités, ils n’en tiendraient pas rigueur et vous trouveraient davantage drôle que ridicule. Et puis, si vous voulez savoir, j’ai bien peur qu’une grande partie d’entre eux n’ait plus la capacité de se souvenir de leur propre nom.

En jetant un coup d’œil aux bourgeois, Rhys constata effectivement que la plupart paraissait éméchée, et que ceux qui ne l’étaient pas riaient aux éclats de l’ivresse de leurs compagnons.

— En réalité, je suis censé trouver l’impératrice, confia-t-il.

— Oh, vraiment ? Mais que faites-vous ici dans ce cas ?

— Je ne vais tout de même pas me présenter à elle dans cette tenue ! Et j’ignore à quoi elle ressemble, alors je ne peux qu’observer toutes les femmes que je croise pour tenter de deviner s’il s’agit d’elle.

— Vous n’avez pas fini vos recherches au vu du nombre d’invités.

Rhys poussa un long et profond soupir de défi. Il le savait bien ! Mais c’était la faute d’Astyal de l’avoir traîné jusqu’ici contre son gré. Et le seul indice qu’elle lui avait laissé lorsqu’il avait fait remarquer qu’il ignorait à quoi ressemblait sa majesté, était qu’il la reconnaîtrait sûrement en la voyant. Ne pouvait-elle pas être plus clair ?!

— Et que lui voulez-vous à l’impératrice ? C’est pourtant l’empereur qui fête son anniversaire.

— C’est une longue histoire, madame. Je ne voudrais pas vous ennuyer avec ceci.

Il souhaitait surtout garder secret son statut d’héritier ! Le jeune danseur mentait mal, et une voix lui soufflait que Lynia n’était pas une personne à qui mentir à la légère. Mieux valait éviter la conversation.

— Oh mais cela ne m’ennuiera pas ! Au contraire, je suis curieuse de savoir ce que vous avez de si important à dire à l’impératrice !

— Non, non, je vous assure, c’est très ennuyeux.

— Je vous en prie, racontez-moi.

Face à l’insistance de cette femme, Rhys sentit sa résistance faiblir. Il lui fallait rapidement fuir avant qu’il ne commente une énorme erreur en révélant la vérité à son propos. Mais Lynia ne le laissa pas s’en tirer aussi facilement. Dès qu’il tentait de mettre un terme à la conversation, elle revenait à la charge et trouvait toujours un moyen pour l’empêcher de s’enfuir à toute jambe.

— Si vous continuez à refuser de m’expliquer, je vais finir par croire que vous me détestez…

Voilà qu’elle lui faisait du chantage affectif. Le jeune danseur bafouilla un peu, sentant ses barrières tomber :

— Ce n’est pas cela ! Simplement… C’est difficile à expliquer… C’était l’homme… Ce pervers ! Et à cause de lui tout a été foutu en l’air. Et après je suis arrivé ici, et là… Une furie qui m’a habillé en poireau orange.

Il aurait été difficile de rendre les propos de Rhys moins clair que cela. La femme lui adressa pourtant un signe de tête compréhensif pour l’inciter à poursuivre. Cela encouragea le jeune homme qui finit par abandonner de plus en plus d’informations à l’inconnue. Maintenant qu’il avait commencé, il était trop tard pour reculer. Rhys déballa toute l’affaire et sortit la broche de l’Attributeur de Rois pour confirmer ses dires. Ses explications étaient ponctuées par des jurons fleuries lorsqu’il parlait de l’idiot qui l’avait pris pour une femme. Il évoqua également Aldarant qui l’avait si gentiment aidé et Astyal qui le tuerait s’il revenait sans avoir parlé à l’impératrice pour revendiquer ses droits d’héritier.

Lynia écouta attentivement sans jamais l’interrompre. Elle prit la broche pour l’examiner sous différente couture avant de hocher la tête comme pour approuver qu’il s’agissait d’une vraie.

— Eh bien, toute cette histoire est si chevaleresque ! N’êtes-vous pas content d’avoir été nommé héritier ? Vous bénéficierez de tellement de privilèges désormais. Vous mangerez à ta faim, vous aurez le droit à de beaux vêtements, à des serviteurs, et à tout ce que vous désirerez.

— Je suis content de cela ! Mais je pense honnêtement que tout ceci est simplement une farce d’un obsédé sexuel. Je n’ai rien à faire dans un palais, alors en tant qu’héritier ! C’est tout juste si je sais lire, je ne peux pas devenir un prince. Non, vraiment, je pense que je n’ai rien à faire ici. Et puis je n’y connais rien en politique. Quand ça tournait mal, chez moi, c’était frapper ou être frappé. Je doute que ce soit comme ça ici…

Son interlocutrice rigola.

— Je doute effectivement que vous puissiez résoudre des problèmes par la violence dans le palais !

L’idée parut vraiment l’amuser et elle pouffa encore un peu, les yeux dans le vague, avant de reprendre la parole :

— Je pense toutefois que vous vous trompez à votre propos. Si vous avez été choisi comme héritier par un Attributeur de Rois, c’est que vous en avez l’étoffe. Ne vous sous-estimez pas ainsi, je suis certaine que vous vous débrouillerez bien mieux que ce que vous ne le croyez.

— Oui enfin, actuellement je reste un invité incrusté en costume ridicule. Et je n’ai pas la moindre idée de la façon de convaincre une impératrice.

— Je trouve pourtant que tu t’es bien débrouillé.

— Hein ?

Rhys redressa la tête sans comprendre, surprit par le soudain tutoiement. Lynia se leva, majestueuse dans sa robe saphir. Elle porta une main à ses cheveux et tira d’un coup sec sur les boucles blondes. La perruque s’effondra au sol sans un bruit, révélant une longue chevelure rousse flamboyante. Quelques exclamations fusèrent autour de la sublime femme. Des invités vinrent lui présenter leur respect, complimentant sa tenue et sa beauté qu’ils avaient alors dédaigné.

— Vous… Vous êtes… ? balbutia le jeune danseur déconfit.

Un homme l’interrompit en s’inclinant bas et en baisant la main de Lynia.

— Votre Majesté, permettez-moi de vous dire que vous êtes sublime aujourd’hui. Vous êtes plus radieuse que le soleil et je suis étonné de ne pas avoir perdu la vue en posant mes yeux sur le joyau que vous êtes.

— Quelle gentillesse Marquis de Rombiny ! Je suis étonnée que vous n’ayez pas remarqué ma beauté resplendissante auparavant !

Le Marquis pinça des lèvres et ne trouva rien à répliquer. Il s’inclina bien bas et prit congé, les sourcils froncés de mécontentement.

Rhys bondit sur ses pieds et se plia en deux dans une courbette qui manqua de le faire tomber. Il n’osa regarder la femme rousse dans les yeux, trop honteux de son comportement.

— Votre Majesté… Je suis sincèrement désolé, j’ignorais que…

— Allons, allons, ne soyez pas aussi tendu. J’ai trouvé notre échange particulièrement intéressant et drôle, alors ne gâchons pas tout avec des formalités inutiles.

L’impératrice congédia les serviteurs venus lui proposer différents mets et proposa au jeune danseur un entretien privé pour continuer leur conversation. Évidemment, Rhys se retrouva encore entraîné contre son gré dans une situation qui le dépassait.

En marchant aux côtés d’une femme aussi belle et aussi importante que Lynia, le jeune danseur devint aussi invisible qu’une tapisserie et l’objet d’une toute nouvelle rumeur. Plus personne ne le dévisageait pour se moquer des chaussures orange fluo, ou du vert kaki de sa veste. Qui oserait insulter un jeune homme qui se tenait aux côtés de l’impératrice ? Non, désormais, sa tenue était couverte d’éloges ! On lui trouvait des vertus inexistantes et on flattait l’élégance de son tombée, ou le choix si harmonieux des couleurs.

— Je crois comprendre pourquoi vous vous déguisez au milieu d’une foule, souffla Rhys à l’impératrice.

Celle-ci lui sourit avec gentillesse, tout à fait consciente et indifférente des regards braqués vers eux. Le jeune danseur ne put qu’imaginer le nombre d’années d’entraînement qu’il avait fallu pour se tenir aussi fièrement devant une foule. Une foule qui n’attendait qu’un de vos sourires pour vous flatter, ou qu’un faux pas pour se moquer. Il en frissonna d’inconfort.

Lynia – bien qu’il ignore s’il s’agisse de son vrai nom désormais – invita Rhys à s’asseoir dans une petite pièce isolée. Tandis qu’il retirait la veste de son immonde tenue, elle s’entretenait avec diverses serviteurs et nobles. L’adolescent attendit patiemment que sa Majesté ait fini sa conversation, mais cette dernière semblait durer des heures ! Mal à l’aise, il remua sur son siège, brûlant de s’enfuir et de se cogner la tête pour devenir amnésique.

Après plusieurs minutes, l’impératrice rejoint Rhys et s’assit en face de lui, dans un immense fauteuil. Face à la vue tous ces tissus que formaient sa robe, le jeune danseur comprit l’utilité d’un siège aussi grand.

— Bien, Rhys, j’ai réussi à arranger la plupart des problèmes administratifs. Je te rends ceci, tu en auras peut-être besoin, même si personne ne devrait pouvoir contester ton statut désormais.

L’adolescent récupéra la broche que lui avait donné l’Attributeur de Rois. Il n’avait pas remarqué que l’impératrice l’avait gardée !

— J’imagine que ce sera compliqué pour toi de rattraper tout le retard que tu as accumulé, tu auras donc droit à des cours particuliers avec l’un de nos plus éminents professeurs. Puisque tu n’as pas de tenue, une servante aura la charge de t’accompagner en ville pour acheter tout ce dont tu auras besoin. Tu percevras un salaire tous les mois et…

— Attendez, attendez ! Je ne comprends pas, que se passe-t-il ?

— Tu es désormais un héritier Rhys. Ce qui signifie que tu fais partie de la famille impériale et que, si tu travailles dur, il te sera possible de monter sur le trône.

— Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous dites ?! Je ne peux pas être héritier, je ne sais même pas ce que je suis censé faire ! Être serviteur au palais est largement suffisant, vous pouvez donner la broche à quelqu’un d’autre et oubliez toute cette histoire, pas vrai ?

L’impératrice lui offrit un sourire contrit.

— Oh Rhys… Que puis-je faire ? Tu es déjà devenu officiellement un héritier à la cour. Si tu refusais tes fonctions, cela serait vu comme une forme de désertion et tu serais exécuté.

Un long blanc s’ensuivit avant que le jeune danseur puisse à nouveau être en mesure de dire un mot.

— QUOI ?!

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