Chapitre 5

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Rhys était passé de danseur de rue à héritier du plus grand empire de la planète. Autant dire qu’il y avait quelques petits changements dans sa vie. Cela commençait par son lit, si grand qu’il pouvait accueillir dix personnes, et qui toutes les nuits le malmenait par sa trop grande douceur ! L’adolescent était habitué à la dureté du sol et au froid de l’hiver. Mais il avait désormais le droit à des oreilles en dentelle et à des draps de soie.

Bien sûr, beaucoup d’autres changements l’avaient tourmenté depuis son arrivée au palais, il y a de cela deux semaines. Premièrement, pour une raison aussi obscure que ridicule, tous les héritiers dormaient dans la même aile, ce qui l’amenait à croiser en permanence des jeunes paons arrogants et insupportables. Chose dont il se serait bien passé, mais était-ce utile de le préciser ? Deuxièmement, il y avait quatre repas dans une même journée. Pourquoi diable manger autant ?! Rhys comprenait mieux pourquoi Astyal lui avait reproché sa maigreur. Même en tentant d’avaler dix kilos de sucre par jour, le jeune homme n’était pas certain d’atteindre le même poids que certains de ses compagnons princiers.

Il repensa à sa propre vie d’artiste, non, son ancienne vie d’artiste, alors qu’il pouvait pleurer de joie lorsqu’il avait suffisamment à manger pour tenir trois jours. Désormais, le moindre refus de nourriture de sa part pouvait être interprété comme du dégoût et faire renvoyer le cuisinier. Comme s’il pouvait se permettre d’être dégoûté par les plats exquis qu’on lui apportait… Le seul problème que Rhys que rencontrait, c’était la quantité ! Aussi, l’unique moyen efficace qu’il trouva après cinq jours au palais fut d’éviter les repas. Ainsi, pas de cuisinier renvoyé, et pas d’obésité en perspective.

En quelques jours, Rhys avait conclu deux choses : il n’avait rien à faire ici et tout le monde s’en tamponnait le coquillard. Alors que l’adolescent avait imaginé sa vie à la cour comme un combat contre un panier de crabes tandis qu’il était armé d’un couteau à huitres, son quotidien se résumait plutôt à une course d’autruches dans un champ de vaches (comprenne qui pourra).

Les dieux soient loués (ces bâtards), il avait été dispensé des innombrables activités des héritiers, le temps qu’il s’habitue à toute cette nouveauté. En réalité, l’empereur fêtait son anniversaire trois semaines avant et trois semaines après la date officielle. Cela constituait six semaines d’effervescence où le palais était transformé en cuve de Coca-Cola et ses résidents, en Mentos. Aussi, personne n’avait le temps de se préoccuper d’un jeune héritier pauvre et paumé.

Enfin, il y avait des exceptions. Astyal, bien sûr, qui restait punie pour une raison inconnue et passait son temps libre avec le jeune danseur. Il s’en allait justement la rejoindre, car il savait qu’elle avait fini ses corvées de la journée à cette heure tardive.

Puisque Rhys se perdait constamment dans l’immense palais, il avait marqué au crayon rouge les couloirs à emprunter pour rejoindre Astyal dans l’aile des serviteurs, et au crayon bleu les couloirs menant à l’extérieur. Il suivait les marques écarlates sur les murs brodés d’or, surpris que personne n’ait encore fait une crise d’apoplexie à la vue de cette infâme dégradation.

Il mit peu de temps à rejoindre les quartiers de la servante qui l’attendait impatiemment devant la porte de sa chambre.

— Pourquoi tu arrives si tard ? demanda-t-elle.

— Parce que je pensais que tu étais encore en train de travailler.

Elle haussa les épaules et l’entraîna à sa suite dans la petite chambre. Astyal y avait entreposé des livres et des articles de presse aux quatre coins. Elle se chargeait toujours de les lire à l’adolescent, dont le niveau de lecture était quasi inexistant.

— On a du pain sur la planche, assieds-toi par terre.

Rhys l’observa sans comprendre.

— Tout de suite ! ordonna-t-elle.

Le jeune danseur s’exécuta, se demandant intérieurement pourquoi il écoutait toujours cette fille alors qu’il avait désormais un rang bien plus élevé que le sien. La peur d’être décapité, sans doute. Astyal se positionna en face de lui, le visage sévère.

— C’est le dernier jour de la fête d’anniversaire de l’empereur, ça veut dire que demain, tu vas devoir commencer ton apprentissage d’héritier.

Super.

— Tu dois absolument te faire bien voir des professeurs, tu comprends ? Les autres princes vont te détester et ils auront bien raison, car tu représentes une menace pour la monarchie. Mais…

Déjà quatorze jours que l’adolescent écoutait tout ça. Il se contenta de hocher la tête par moments et n’écouta plus un mot du discours révolutionnaire de la domestique. Il se fichait de bien de devoir se faire des alliés, d’apprendre la gestion des terres et de l’économie, ou encore de savoir parler d’autres langues (alors qu’il avait déjà du mal avec la sienne). Rhys n’avait enregistré qu’une seule chose : le fait d’héritier ne faisait pas de lui un empereur, mais un potentiel candidat. Il lui suffisait de louper toutes les épreuves et il vivrait dans le luxe pour le reste de ses jours comme ancien héritier qui n’avait malheureusement pas pu accéder au trône. Mince alors, quel dommage !

— Tu écoutes ce que je te dis, face de navet ?!

Astyal lui balança un livre en pleine face. Elle se mit à le traiter d’idiot et de poireau orange (douloureux souvenir à son cœur). Le jeune homme comprit qu’il était temps de s’éclipser, une tempête se préparait.

Il sortit en trombe de la chambre avant de perdre un œil ou d’être amputé d’un membre. Cette fille était terrifiante. Bien évidemment, dans sa précipitation, Rhys n’accorda aucune attention aux couloirs qu’il empruntait. Il se retrouva perdu en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire.

— ARGH ! CES CONNARDS !

(Les dieux, encore et toujours).

Résigné, il finit par arpenter au hasard le palais. Il s’éloignait de plus en plus de son point de départ, bien qu’il l’ignorait, paumé comme il était. Il croisa quelques nobles ivres à la recherche d’une chambre libre pour se foutre en l’air (sans commentaire) ou des serviteurs qui colportaient toute sorte de rumeurs ridicules. Malchanceux, Rhys tomba évidemment sur un héritier bien connu parmi les princes : Sytian. Il fallait que ce soit lui, bien sûr.

Remettons les choses dans son contexte : si Rhys n’existait pas, Sytian serait assurément le personnage principal de cette histoire. Il était fort beau, fort grand, fort intelligent, fort fort. Juste fort. Bref. Il était LE prince charmant par excellence. Tout simplement insupportable et détestable, avec des mèches de cheveux blonds qui flottaient toujours au vent (par on ne sait quel miracle) et des yeux plus bleus que le ciel. Il représentait bien sûr aux yeux d’Astyal, l’ennemi public numéro un, la menace la plus tangible pour le jeune danseur. La servante lui avait expliqué qu’il était actuellement le favori de la cour et que beaucoup le voyait déjà comme futur empereur.

Puisque Rhys ne cessait de se perdre, il avait déjà croisé à plusieurs reprises ce sublime spécimen princier et avait attiré son attention : le jeune danseur n’ayant pas encore été officiellement présenté à la cour, peu de gens connaissaient son existence et il n’avait aucune intention de se faire remarquer. Aussi, il prenait beaucoup de précautions lorsqu’il retournait dans l’aile des héritiers pour que personne ne comprenne son statut. En d’autres termes, il ressemblait à quelqu’un de très louche qui se baladait entre des adolescents riches et destinés à un avenir prometteur.

— Ne serait-ce pas le poireau orange ? s’exclama Sytian.

Ah oui, autre précision, tout le monde avait remarqué son horrible costume à la fête d’anniversaire de l’empereur.

— Tu es encore perdu ?

Rhys acquiesça. C’était toujours l’excuse qu’il donnait lorsqu’on lui demandait pourquoi il se trouvait dans l’aile des héritiers.

— Où est-ce que tu veux aller ? demanda le blond.

L’adolescent s’apprêtait à répondre lorsqu’il se rendit compte qu’il ne pouvait pas dire la vérité. S’il disait qu’il voulait retourner à l’aile des héritiers, cela revenait à admettre qu’il en était un lui-même, et il arborait déjà suffisamment la journée de demain où son statut serait officialisé pour ne pas, en plus, faire un coming out en avance.

— Les bains publics, répondit-il sans réfléchir.

Y avait-il seulement des bains publics dans ce palais ?

Sytian le fixa avec incompréhension et Rhys en profita pour s’enfuir. Rien n’allait jamais comme il le voulait, alors autant jeter la politesse et privilégier la sécurité. Il dévala trois escaliers à la suite, courut le long de quelques couloirs somptueux et finit par arriver dans les cuisines. Enfin, l’une des cuisines. Parce que là encore, il y avait plusieurs cuisines à différents endroits dans le palais.

Vêtu d’une chemise blanche, le jeune danseur passa inaperçu parmi la foule de cuisiniers. Il se félicita intérieurement d’avoir décliné tous les costumes pimpants et pompeux qu’on lui avait proposés lors de son arrivée. Il avait déjà fait une fois l’expérience d’un vêtement d’apparat, un peu trop orange et froufrouté ; plus jamais il ne porterait quelque chose de semblable.

Rhys vola un fruit avant de quitter les cuisines. Après avoir essayé tout un tas de portes, il réussit à sortir à l’extérieur du palais. Il se prit un rayon de soleil dans les yeux et jura contre le beau temps et tous ces gens trop parfaits. Les jardins s’étendaient sur des centaines d’hectares, alors il avait entreprit de les visiter puisqu’il n’avait rien d’autre à faire.

Le jeune danseur se dépêcha de quitter la partie la plus animée du parc, là où se pressaient des invités saouls, pour rejoindre des sentiers battus qui serpentaient entre des massifs de jade. Il s’agissait d’arbustes extrêmement rares dont les fleurs de jade perdaient leurs pétales au fil de plusieurs semaines. Ces derniers devenaient violets, et formaient un tapis améthyste sur le sol.

La beauté demeurait intact durant une année entière, puis les végétaux mourraient et ne refleuriraient plus jamais. Il fallait attendre cinq ans avant que les prochains individus puissent fleurir.

Le vent balaya d’une douce caresse le visage de Rhys qui éternua bruyamment. Foutu pollen. Il s’aventura dans des endroits qu’il ne connaissait pas encore, jusqu’à déboucher sur une étendue rouge violacée. Il en demeura muet de stupéfaction. D’étranges végétaux rampaient sur le sol et dans les airs dans des teintes bordeaux. L’adolescent comprit avant de lire la pancarte : il avait trouvé le Jardin Pourpre, là où cet idiot d’Attributeur de Rois lui avait donné rendez-vous.

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